Выбрать главу

Mais M. le dauphin, sombre et soucieux, prtexta un grand mal de tte et se retira avant quon se mt table.

Le souper se prolongea jusqu onze heures.

Cependant, les gens de la suite, et force tait la fire Andre davouer quelle tait de ces gens l, cependant les gens de la suite souprent aux pavillons, au son de la musique que leur envoya le roi. En outre, comme les pavillons taient trop petits, cinquante matres souprent des tables dresses sur le gazon, servis par cinquante valets la livre royale.

Gilbert, toujours dans son taillis, ne perdit rien de ce coup dil. Il tira de sa poche un morceau de pain quil avait achet Clichy-la-Garenne et soupa comme les autres, tout en surveillant ceux qui partaient.

Madame la dauphine, aprs le souper, parut sur le balcon: elle venait prendre cong de ses htes. Le roi se tenait prs delle; madame du Barry, avec le tact que ses ennemis mme admiraient en elle, se tint au fond de la chambre et demeura hors de vue.

Chacun passa au pied du balcon pour saluer le roi, et Son Altesse royale madame la dauphine connaissant dj beaucoup de ceux qui lavaient accompagne, le roi lui nommait ceux quelle ne connaissait pas. De temps en temps un mot gracieux, un heureux -propos tombait de ses lvres et faisait la joie de ceux auxquels il tait adress.

Gilbert voyait de loin toute cette bassesse, et se disait:

Je suis plus grand que tous ces gens-l, car, pour tout lor du monde, je ne ferais pas ce quils font.

Le tour vint de M. de Taverney et de sa famille. Gilbert se souleva sur un genou.

Monsieur Philippe, dit la dauphine, je vous donne cong pour conduire monsieur votre pre et mademoiselle votre sur Paris.

Gilbert entendit ces paroles, qui, dans le silence de la nuit et au milieu du recueillement de ceux qui coutaient et regardaient, vinrent vibrer ses oreilles.

Madame la dauphine ajouta:

Monsieur de Taverney, je ne puis vous loger encore; partez donc avec mademoiselle pour Paris, jusqu ce que jaie install ma maison Versailles; mademoiselle, pensez un peu moi.

Gilbert vit la blanche figure dAndre sincliner sous ces paroles avec un respect ml dattendrissement.

Bon, murmura Gilbert, elle retourne Paris o je demeure aussi, moi.

Le baron passa avec son fils et sa fille. Beaucoup dautres venaient aprs eux, qui la dauphine avait encore de pareilles choses dire, mais peu importait Gilbert.

Il se glissa hors du taillis et suivit le baron au milieu des cris confus de deux cents laquais courant aprs leurs matres, de cinquante cochers rpondant aux laquais, et de soixante voitures roulant sur le pav comme autant de tonnerres.

Comme M. de Taverney avait un carrosse de la cour, ce carrosse attendait part. Il y monta avec Andre et Philippe, puis la portire se referma sur eux.

Mon ami, dit Philippe au laquais qui refermait la portire, montez sur le sige avec le cocher.

Pourquoi donc? pourquoi donc? demanda le baron.

Parce que le pauvre diable se tient debout depuis le matin et doit tre fatigu, dit Philippe.

Le baron grommela quelques paroles que Gilbert ne put entendre. Le laquais monta prs du cocher.

Gilbert sapprocha.

Au moment o la voiture allait se mettre en route, on saperut quun des traits tait dtach.

Le cocher descendit, et la voiture demeura un instant encore stationnaire.

Il est bien tard, dit le baron.

Je suis horriblement fatigue, murmura Andre; trouverons-nous coucher, au moins?

Je lespre, dit Philippe. Jai envoy directement La Brie et Nicole de Soissons Paris. Je leur ai donn une lettre pour un de mes amis, le chargeant de retenir un petit pavillon que sa mre et sa sur ont habit lanne passe. Ce nest pas un logement de luxe, mais cest une demeure commode. Vous ne cherchez point paratre, vous ne demandez qu attendre.

Ma foi, dit le baron, cela vaudra toujours bien Taverney.

Malheureusement, oui, mon pre, dit Philippe en souriant avec mlancolie.

Aurai-je des arbres? demanda Andre.

Oui, et de fort beaux. Seulement, selon toute probabilit, vous nen jouirez pas longtemps; car, aussitt le mariage fait, vous serez prsente.

Allons, nous faisons un beau rve: tchons de ne pas nous rveiller trop tt. Philippe, as-tu donn ladresse au cocher?

Gilbert couta avec anxit.

Oui, mon pre, dit Philippe.

Gilbert, qui avait tout entendu, avait eu un instant lespoir dentendre ladresse.

Nimporte, dit-il, je les suivrai. Il ny a quune lieue dici Paris.

Le trait tait rattach, le cocher remont sur son sige, le carrosse se mit rouler.

Mais les chevaux du roi vont vite, quand la file ne les force point aller doucement; si vite, quils rappelrent au pauvre Gilbert la route de la Chausse, son vanouissement, son impuissance.

Il fit un effort, atteignit le marchepied de derrire, laiss vacant par le laquais. Fatigu, Gilbert sy cramponna, sy assit et roula.

Mais presque aussitt la pense lui vint quil tait mont derrire la voiture dAndre, cest--dire la place dun laquais.

Eh bien, non! murmura linflexible jeune homme, il ne sera pas dit que je nai point lutt jusquau dernier moment; mes jambes sont fatigues, mais mes bras ne le sont point.

Et, saisissant de ses deux mains le marchepied, sur lequel il avait pos la pointe de ses souliers, il se fit traner au-dessous du sige, et, malgr les cahots, les secousses, il se maintint par la vigueur de ses bras dans cette position difficile, plutt que de capituler avec sa conscience.

Je saurai son adresse, murmura-t-il, je la saurai. Encore une mauvaise nuit passer; mais demain je me reposerai sur mon sige, en copiant de la musique. Il me reste de largent, dailleurs, et je puis maccorder deux heures de sommeil si je veux.

Puis il pensait que Paris tait bien grand, et quil allait tre perdu, lui qui ne le connaissait pas, quand le baron, son fils et sa fille seraient rentrs dans la maison que leur avait choisie Philippe.

Heureusement quil tait prs de minuit et que le jour venait trois heures et demie du matin.

Comme il rflchissait tout cela, Gilbert remarqua quil traversait une grande place au milieu de laquelle slevait une statue questre.

Tiens, lon dirait la place des Victoires, fit-il joyeux et surpris la fois.

La voiture tourna, Andre mit sa tte la portire.

Philippe dit:

Cest la statue du feu roi. Nous arrivons.

On descendit par une pente assez rapide; Gilbert faillit rouler sous les roues.

Nous voici arrivs, dit Philippe.

Gilbert laissa ses pieds toucher la terre et slana de lautre ct de la rue, o il se tapit derrire une borne.

Philippe sauta le premier hors de la voiture, sonna, et, se retournant, reut Andre dans ses bras.

Le baron descendit le dernier.

Eh bien! dit-il, ces marauds-l vont-ils nous faire passer la nuit ici?

En ce moment les voix de La Brie et de Nicole rsonnrent, et une porte souvrit.

Les trois voyageurs sengloutirent dans une sombre cour dont la porte se referma sur eux.

La voiture et les laquais partirent; ils retournaient aux curies du roi.

La maison dans laquelle venaient de disparatre les trois voyageurs navait rien de remarquable; mais la voiture, en passant, claira la maison voisine, et Gilbert put lire:

Htel dArmenonville.

Il lui restait connatre la rue.

Il gagna lextrmit la plus voisine, celle dailleurs par laquelle stait loign le carrosse, et, son grand tonnement, cette extrmit il rencontra la fontaine laquelle il avait lhabitude de boire.

Il fit dix pas dans une rue en retour parallle celle quil quittait, et reconnut le boulanger qui lui vendait son pain.

Il doutait encore et revint jusqu langle de la rue. la lueur lointaine dun rverbre, il put lire alors sur un fond de pierre blanche les deux mots quil avait lus trois jours auparavant en revenant dherboriser avec Rousseau dans les bois de Meudon: