Rue Pltrire.
Ainsi Andre tait cent pas de lui, moins loin quil ny avait, Taverney, de sa petite chambre prs de la grille au chteau.
Alors, il regagna sa porte, esprant que le bienheureux bout de ficelle qui soulevait le loquet intrieur ne serait point tir en dedans.
Gilbert tait dans son jour de chance. Il en passait quelques fils; laide de ces fils, il attira le tout lui: la porte cda.
Le jeune homme trouva lescalier ttons, monta marche marche, sans faire de bruit, et finit par toucher des doigts le cadenas de sa chambre, auquel Rousseau, par complaisance, avait laiss la clef.
Au bout de dix minutes, la fatigue lavait emport sur la proccupation, et Gilbert sendormait dans limpatience du lendemain.
Chapitre 54. Le pavillon
Rentr tard, couch vite, endormi lourdement, Gilbert avait oubli de placer sur sa lucarne le lambeau de toile laide duquel il interceptait la lumire du soleil levant.
Ce soleil, frappant sur ses yeux cinq heures du matin, le rveilla bientt; il se leva, inquiet davoir trop dormi.
Gilbert, homme des champs, savait merveille reconnatre lheure au gisement du soleil et la couleur plus ou moins chaude de ses rayons. Il courut consulter son horloge.
La pleur de la lumire, clairant peine le fate des hauts arbres, le rassura; au lieu de stre lev trop tard, il stait lev trop tt.
Gilbert fit sa toilette sa lucarne, songeant aux vnements de la veille, et exposa avec dlices son front brlant et alourdi la brise frache du matin; puis il se souvint quAndre logeait dans une rue voisine, prs de lhtel dArmenonville, et il chercha deviner dans laquelle de toutes ces maisons logeait Andre.
La vue des ombrages quil dominait lui rappela une des paroles de la jeune fille quil avait entendues la veille.
Y a-t-il des arbres? avait demand Andre Philippe.
Que navait-elle choisi le pavillon inhabit du jardin, se disait Gilbert.
Cette rflexion ramena naturellement le jeune homme soccuper de ce pavillon.
Par une concidence trange avec sa pense, un bruit et un mouvement inaccoutums appelaient dailleurs son regard de ce ct; une des fentres de ce pavillon, fentre qui semblait depuis si longtemps condamne, sbranlait sous une main maladroite ou faible; le bois cdait par en haut; mais, attach sans doute par lhumidit au rebord de la croise, il rsistait en refusant de se dvelopper au dehors.
Enfin une secousse plus violente fit crier le chne, et les deux battants, brusquement chasss, laissrent entrevoir une jeune fille, toute rouge encore des efforts quelle venait de faire, et secouant ses mains poudreuses.
Gilbert jeta un cri dtonnement et se retira en arrire. Cette jeune fille, toute bouffie encore de sommeil, et qui se dtirait au grand air, ctait mademoiselle Nicole.
Il ny avait pas un doute conserver. La veille, Philippe avait annonc son pre et sa sur que La Brie et Nicole prparaient leur logement. Ce pavillon tait donc le logement prpar. Cette maison de la rue Coq-Hron, o staient engouffrs les voyageurs, avait donc ses jardins contigus au derrire de la rue Pltrire.
Le mouvement de Gilbert avait t si accentu, que, si Nicole, assez loigne du reste, net pas t si occupe de cette contemplation oisive qui devient un bonheur au moment du rveil, elle et vu notre philosophe au moment o il se retirait de sa lucarne.
Mais Gilbert stait retir dautant plus rapidement, quil ne se ft pas arrang dtre dcouvert par Nicole la lucarne dun toit; peut-tre sil et habit un premier tage, et si, par sa fentre ouverte, on et pu apercevoir derrire lui de riches tapisseries et des meubles somptueux, Gilbert et-il moins craint de se faire voir, mais la mansarde du cinquime le classait encore trop bas dans les infriorits sociales pour quil ne mt pas une grande attention se drober. Dailleurs, il y a toujours un grand avantage dans ce monde voir sans tre vu.
Puis, si Andre savait quil tait l, ne serait-ce pas suffisant ou pour faire dmnager Andre, ou pour quAndre ne se proment point dans le jardin?
Hlas! lorgueil de Gilbert le grandissait encore ses propres yeux. Quimportait Gilbert Andre et en quoi Andre pouvait-elle remuer un pied pour sapprocher ou pour sloigner de Gilbert? Ntait-elle pas de cette race de femmes qui sortent du bain devant un laquais ou un paysan, parce quun laquais ou un paysan ne sont point des hommes?
Mais Nicole, elle, ntait point de cette race-l, et il fallait viter Nicole.
Voil surtout pourquoi Gilbert stait retir si brusquement.
Mais Gilbert ne pouvait stre retir pour demeurer loign de la fentre; il se rapprocha donc doucement et hasarda son il langle de la lucarne.
Une seconde fentre venait de souvrir, situe au rez-de-chausse, exactement au-dessous de la premire, et une forme blanche apparaissait cette fentre: ctait Andre qui venait de sveiller, en peignoir du matin et occupe chercher sa mule, qui venait de schapper de son petit pied encore tout endormi et qui stait gare sous une chaise.
Gilbert avait beau se jurer, chaque fois quil voyait Andre, de se faire un rempart de sa haine, au lieu de se laisser aller son amour, le mme effet tait reproduit par la mme cause; il fut oblig de sappuyer la muraille, son cur battait comme sil allait se rompre, et ses battements faisaient bouillonner le sang par tout son corps.
Cependant peu peu les artres du jeune homme se calmrent, et il put rflchir. Il sagissait, comme nous lavons dit de voir sans tre vu. Il prit une des robes de Thrse, lattacha avec une pingle une corde qui traversait sa fentre dans toute sa largeur, et, sous ce rideau improvis, il put voir Andre sans crainte den tre vu.
Andre imita Nicole; elle tendit ses beaux bras blancs, qui, un instant, par leur extension, disjoignirent le peignoir; puis elle se pencha sur la rampe de sa fentre pour interroger plus son aise les jardins environnants.
Alors son visage exprima une satisfaction marque; elle qui souriait si rarement aux hommes, elle sourit sans arrire-pense aux choses. De tous cts elle tait ombrage par de grands arbres, de tous cts elle tait entoure de verdure.
La maison de Gilbert attira les regards dAndre comme toutes les autres maisons qui faisaient ceinture au jardin. De la place o tait Andre, on ne pouvait en voir que les mansardes, de mme que les mansardes seules aussi pouvaient voir chez Andre. Elle nattira donc point son attention. Que pouvait importer la fire jeune fille la race qui demeurait l-haut?
Andre demeura donc convaincue, aprs son examen, quelle tait seule, invisible, et que sur les limites de cette tranquille retraite napparaissait aucun visage curieux ou jovial de ces Parisiens moqueurs, si redouts des femmes de province.
Ce rsultat fut immdiat. Andre, laissant sa fentre toute grande ouverte, pour que lair matinal pt baigner jusquaux derniers recoins de sa chambre, alla vers sa chemine, tira le cordon dune sonnette et commena de shabiller, ou plutt de se dshabiller, dans la pnombre de la chambre.
Nicole arriva, dtacha les courroies dun ncessaire de chagrin qui datait de la reine Anne, prit le peigne dcaille et droula les cheveux dAndre.
En un moment les longues tresses et les boucles touffues glissrent comme un manteau sur les paules de la jeune fille.
Gilbert poussa un soupir touff. peine sil reconnaissait ces beaux cheveux dAndre, que la mode et ltiquette venaient de couvrir de poudre. Mais il reconnaissait Andre, Andre moiti dvtue, cent fois plus belle de sa ngligence quelle ne let t des plus pompeux apprts. Sa bouche crispe navait plus de salive, ses doigts brlaient de fivre, son il steignait force de fixit.
Le hasard fit que, tout en se faisant coiffer, Andre leva la tte et que ses yeux se fixrent sur la mansarde de Gilbert.
Oui, oui, regarde, regarde, murmura Gilbert; tu auras beau regarder, tu ne verras rien, et moi je vois tout.