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Et tu naimes pas mieux mon amour, scria Lorenza en frappant avec rage dans ses belles mains, qui sempourprrent, et tu naimes pas mieux mon amour que tous les rves que tu poursuis, que toutes les chimres que tu cres? Et tu me condamnes la chastet de la religieuse, avec les tentations de lardeur invitable de ta prsence? Ah! Joseph, Joseph, tu commets un crime! cest moi qui te le dis.

Ne blasphme pas, ma Lorenza, scria Balsamo; car, comme toi, je souffre. Tiens, tiens, lis dans mon cur, je le veux, et dis encore que je ne taime pas.

Mais alors, pourquoi rsistes-tu toi-mme?

Parce que je veux tlever avec moi sur le trne du monde.

Oh! ton ambition, Balsamo, murmura la jeune femme, ton ambition te donnera-t-elle jamais ce que te donne mon amour?

perdu son tour, Balsamo laissa aller sa tte sur la poitrine de Lorenza.

Oh! oui, oui, scria-t-elle, oui, je vois enfin que tu maimes plus que ton ambition, plus que ta puissance, plus que ton espoir. Oh! tu maimes comme je taime, enfin!

Balsamo essaya de secouer le nuage enivrant qui commenait noyer sa raison. Mais son effort fut inutile.

Oh! puisque tu maimes tant, dit-il, pargne-moi.

Lorenza ncoutait plus; elle venait de faire de ses deux bras une de ces invincibles chanes plus tenaces que les crampons dacier, plus solides que le diamant.

Je taime comme tu voudras, dit-elle, sur ou femme, vierge ou pouse, mais un baiser, un seul.

Balsamo tait subjugu; vaincu, bris par tant damour, sans force pour rsister davantage, les yeux ardents, la poitrine haletante, la tte renverse, il sapprochait de Lorenza, aussi invinciblement attir que lest le fer par laimant.

Ses lvres allaient toucher les lvres de la jeune femme!

Soudain la raison lui revint.

Ses mains fouettrent lair charg denivrantes vapeurs.

Lorenza! scria-t-il, rveillez-vous, je le veux!

Aussitt cette chane, quil navait pu briser, se relcha, les bras qui lenlaaient se dtendirent, le sourire ardent qui cartait les lvres dessches de Lorenza seffaa languissant comme un reste de vie au dernier soupir; ses yeux ferms souvrirent, ses pupilles dilates se resserrrent; elle secoua les bras avec effort, fit un grand mouvement de lassitude et retomba tendue, mais veille, sur le sofa.

Balsamo, assis trois pas delle, poussa un profond soupir.

Adieu le rve, murmura-t-il; adieu le bonheur.

Chapitre 57. La double existence La veille

Aussitt que le regard de Lorenza eut recouvr sa puissance, elle jeta un rapide coup dil autour delle.

Aprs avoir examin chaque chose sans quaucun de ces mille riens qui font la joie des femmes part drider la gravit de sa physionomie, la jeune femme arrta ses yeux sur Balsamo avec un tressaillement douloureux.

Balsamo tait assis et attentif quelques pas delle.

Encore vous! fit-elle en se reculant.

Et tous les signes de leffroi apparurent sur sa physionomie; ses lvres plirent, la sueur perla la racine de ses cheveux.

Balsamo ne rpondit point.

O suis-je? demanda-t-elle.

Vous savez do vous venez, madame, dit Balsamo; cela doit vous conduire naturellement deviner o vous tes.

Oui, vous avez raison de rappeler mes souvenirs; je me souviens en effet. Je sais que jai t perscute par vous, poursuivie par vous, arrache par vous aux bras de la royale intermdiaire que javais choisie entre Dieu et moi.

Alors vous savez aussi que cette princesse, toute puissante quelle est, na pu vous dfendre.

Oui, vous lavez vaincue par quelque violence magique! scria Lorenza en joignant les mains. Oh! mon Dieu! mon Dieu! dlivrez-moi de ce dmon!

O voyez-vous en moi un dmon, madame? dit Balsamo en haussant les paules. Une fois pour toutes, laissez donc, je vous prie, ce bagage de croyances puriles apportes de Rome, et tout ce fatras de superstitions absurdes que vous avez tranes votre suite depuis votre sortie du couvent.

Oh! mon couvent! qui me rendra mon couvent? scria Lorenza en fondant en larmes.

En effet, dit Balsamo, cest une chose bien regrettable quun couvent!

Lorenza slana vers une des fentres, elle en ouvrit les rideaux, puis, aprs les rideaux, elle leva lespagnolette, et sa main tendue sarrta sur un des barreaux pais et recouverts dun grillage de fer cach sous des fleurs, qui lui faisaient perdre beaucoup de sa signification sans lui rien ter de son efficacit.

Prison pour prison, dit-elle, jaime mieux celle qui conduit au ciel que celle qui mne lenfer.

Et elle appuya furieusement ses poings dlicats sur les tringles.

Si vous tiez plus raisonnable, Lorenza, vous ne trouveriez votre fentre que des fleurs sans barreaux.

Ntais-je pas raisonnable quand vous menfermiez dans cette autre prison roulante avec ce vampire que vous appelez Althotas? Non, et cependant vous ne me perdiez pas de vue; cependant jtais votre prisonnire; cependant, quand vous me quittiez, vous souffliez en moi cet esprit qui me possde et que je ne puis combattre! O est-il cet effrayant vieillard qui me fait mourir de terreur? L, dans quelque coin, nest-ce pas? Taisons-nous tous deux, et nous entendrons sortir de terre sa voix de fantme!

Vous vous frappez limagination comme un enfant, madame, dit Balsamo. Althotas, mon prcepteur, mon ami, mon second pre, est un vieillard inoffensif, qui ne vous a jamais vue, jamais approche, ou qui, sil vous a approche ou vue, na pas mme fait attention vous, lanc quil est la poursuite de son uvre.

Son uvre! murmura Lorenza; et quelle est son uvre? Dites.

Il cherche llixir de vie, ce que tous les esprits suprieurs ont cherch depuis six mille ans.

Et vous, que cherchez-vous?

Moi? la perfection humaine.

Oh! les dmons! les dmons! dit Lorenza en levant les mains au ciel.

Bon! dit Balsamo en se levant, voil votre accs qui va vous reprendre.

Mon accs?

Oui, votre accs; il y a une chose que vous ignorez, Lorenza: cest que votre vie est spare en deux priodes gales; pendant lune, vous tes douce, bonne et raisonnable; pendant lautre, vous tes folle.

Et cest sous le vain prtexte de cette folie que vous menfermez?

Hlas! il le faut bien.

Oh! soyez cruel, barbare, sans piti; emprisonnez-moi, tuez-moi, mais ne soyez pas hypocrite, et nayez pas lair de me plaindre en me dchirant.

Voyons, dit Balsamo sans se fcher et mme avec un sourire bienveillant, est-ce une torture que dhabiter une chambre lgante, commode?

Des grilles, des grilles de tous les cts; des barreaux, des barreaux, pas dair!

Ces grilles sont l dans lintrt de votre vie, entendez-vous, Lorenza?

Oh! scria-t-elle, il me fait mourir petit feu, et il me dit quil songe ma vie, quil prend intrt ma vie!

Balsamo sapprocha de la jeune femme, et avec un geste amical il lui voulut prendre la main; mais elle, se reculant comme si un serpent let effleure:

Oh! ne me touchez point! dit-elle.

Vous me hassez donc, Lorenza?

Demandez au patient sil hait son bourreau.

Lorenza, Lorenza, cest parce que je ne veux pas le devenir que je vous te un peu de votre libert. Si vous pouviez aller et venir votre volont, qui peut savoir ce que vous feriez dans un de vos instants de folie?

Ce que je ferais? Oh! que je sois libre un jour, et vous verrez!

Lorenza, vous traitez mal lpoux que vous avez choisi devant Dieu.

Moi, vous avoir choisi? Jamais!

Vous tes ma femme, cependant.

Oh! voil o est luvre du dmon.

Pauvre insense! dit Balsamo avec un tendre regard.

Mais je suis romaine, murmura Lorenza, et un jour, un jour je me vengerai.

Balsamo secoua doucement la tte.

Nest-ce pas que vous dites cela pour meffrayer, Lorenza? demanda-t-il en souriant.

Non, non, je le ferai comme je le dis.

Femme chrtienne, que dites-vous? scria Balsamo avec une autorit surprenante. Votre religion, qui dit de rendre le bien pour le mal, nest donc quhypocrisie, puisque vous prtendez suivre cette religion et que vous rendez, vous, le mal pour le bien?

Lorenza parut un instant frappe de ces paroles.

Oh! dit-elle, ce nest pas une vengeance que de dnoncer la socit ses ennemis, cest un devoir.

Si vous me dnoncez comme un ncroman, comme un sorcier, ce nest pas la socit que joffense, cest Dieu que je brave. Pourquoi alors, si je brave Dieu, Dieu, qui na quun signe faire pour me foudroyer, ne se donne-t-il pas la peine de me punir, et laisse-t-il ce soin aux hommes, faibles comme moi, soumis lerreur comme moi?

Il oublie, il tolre, murmura la jeune femme; il attend que vous vous rformiez.

Balsamo sourit.

Et, en attendant, dit-il, il vous conseille de trahir votre ami, votre bienfaiteur, votre poux.

Mon poux? Ah! Dieu merci, jamais votre main na touch la mienne sans me faire rougir ou frissonner.

Et, vous le savez, jai toujours gnreusement cherch vous pargner ce contact.

Cest vrai, vous tes chaste, et cest la seule compensation qui soit accorde mes malheurs. Oh! sil met fallu subir votre amour!

Oh! mystre, mystre impntrable! murmura Balsamo, qui semblait suivre sa pense plutt que rpondre celle de Lorenza.

Terminons, dit Lorenza; pourquoi me prenez-vous ma libert?

Pourquoi, aprs me lavoir donne volontairement, voulez-vous la reprendre? Pourquoi fuyez-vous celui qui vous protge? Pourquoi allez-vous demander appui une trangre contre celui qui vous aime? Pourquoi menacez-vous sans cesse celui qui ne vous menace jamais de rvler des secrets qui ne sont point vous, et dont vous ignorez la porte?

Oh! dit Lorenza sans rpondre linterrogation, le prisonnier qui veut fermement redevenir libre le redevient toujours, et vos barreaux ne marrteront pas plus que ne la fait votre cage ambulante.

Ils sont solides heureusement pour vous, Lorenza! dit Balsamo avec une menaante tranquillit.

Dieu menverra quelque orage comme celui de la Lorraine, quelque tonnerre qui les brisera!

Croyez-moi, priez Dieu de nen rien faire; croyez-moi, dfiez-vous de ces exaltations romanesques, Lorenza; je vous parle en ami, coutez-moi.

Il y avait tant de colre concentre dans la voix de Balsamo, tant de feu sombre couvait dans ses yeux, sa main blanche et musculeuse se crispait dune faon si trange chacune des paroles quil prononait lentement et presque solennellement, que Lorenza, tourdie au plus fort de sa rbellion, couta malgr elle.

Voyez-vous, mon enfant, continua Balsamo sans que sa voix et rien perdu de sa menaante douceur, jai tch de rendre cette prison habitable pour une reine; fussiez-vous reine, rien ne vous y manquera. Calmez donc cette exaltation folle. Vivez ici comme vous eussiez vcu dans votre couvent. Habituez-vous ma prsence; aimez-moi comme un ami, comme un frre. Jai de grands chagrins, je vous les confierai; deffroyables dceptions, parfois un sourire de vous me consolera. Plus je vous verrai bonne, attentive, patiente, plus jamincirai les barreaux de votre cellule. Qui sait? dans un an, dans six mois, peut-tre serez vous aussi libre que moi, en ce sens que vous ne voudrez plus me voler votre libert.

Non, non, scria Lorenza, qui ne pouvait comprendre quune rsolution si terrible sallit avec une si douce voix, non, plus de promesses, plus de mensonges: vous mavez enleve, enleve violemment; je suis moi et moi seule; rendez-moi donc au moins Dieu, si vous ne voulez pas me rendre moi-mme. Jusquici, jai tolr votre despotisme, parce que je me souviens que vous mavez arrache des brigands qui allaient me dshonorer, mais dj cette reconnaissance saffaiblit. Encore quelques jours de cette prison qui me rvolte, et je ne serai plus votre oblige, et plus tard, plus tard, prenez garde, jen arriverai peut-tre croire que vous aviez avec ces brigands des rapports mystrieux.

Me feriez-vous lhonneur de voir en moi un chef de bandits? demanda ironiquement Balsamo.

Je ne sais, mais tout au moins, ai-je surpris des signes, des paroles.

Vous avez surpris des signes, des paroles? scria Balsamo en plissant.

Oui, oui, dit Lorenza, je les ai surpris, je les sais, je les connais.

Mais vous ne les direz jamais? Vous ne les redirez me qui vive, vous les enfermerez au plus profond de votre souvenir, afin quils y meurent touffs?

Oh! tout au contraire! scria Lorenza, heureuse comme on lest dans la colre, de trouver enfin lendroit vulnrable de son antagoniste. Je les garderai prcieusement dans ma mmoire, ces mots! Je les redirai tout bas tant que je serai seule, et tout haut la premire occasion; je les ai dj dits.

Et qui? demanda Balsamo.

la princesse.

Eh bien! Lorenza, coutez bien ceci, dit Balsamo en enfonant ses doigts dans sa chair pour en teindre leffervescence et pour refouler son sang rvolt, si vous les avez dits, vous ne les redirez plus; vous ne les redirez plus, parce que je tiendrai les portes closes, parce que jaiguiserai les pointes de ces barreaux, parce que jlverai, sil le faut, les murs de cette cour aussi haut que ceux de Babel.

Je vous lai dit, Balsamo, scria Lorenza, on sort de toute prison, surtout quand lamour de la libert se renforce de la haine du tyran.

merveille, sortez-en donc, Lorenza; mais coutez ceci: vous navez plus que deux fois en sortir: la premire je vous chtierai si cruellement que vous rpandrez toutes les larmes de votre corps; la seconde, je vous frapperai si impitoyablement que vous rpandrez tout le sang de vos veines.

Mon Dieu! mon Dieu! il massassinera! hurla la jeune femme arrive au dernier paroxysme de la colre, en sarrachant les cheveux et en se roulant sur le tapis.

Balsamo la considra un instant avec un mlange de colre et de piti. Enfin, la piti parut lemporter sur la colre.

Voyons, Lorenza, dit-il, revenez vous, soyez calme; un jour viendra o vous serez grandement rcompense de ce que vous aurez souffert ou cru souffrir.

Enferme! enferme! criait Lorenza sans couter Balsamo.

Patience.

Frappe!

Cest un temps dpreuve.

Folle! Folle!

Vous gurirez.

Oh! jetez-moi tout de suite dans un hpital de fous! Enfermez-moi tout fait dans une vraie prison!

Non pas! vous mavez trop bien prvenu de ce que vous feriez contre moi.

Eh bien! hurla Lorenza, la mort alors! la mort tout de suite!

Et, se relevant avec la souplesse et la rapidit dune bte fauve, elle slana pour se briser la tte contre la muraille.

Mais Balsamo neut qu tendre la main vers elle et prononcer du fond de sa volont, bien plus encore que des lvres, un seul mot pour larrter en route: Lorenza, lance, sarrta tout coup, chancela et tomba endormie dans les bras de Balsamo.

Ltrange enchanteur, qui semblait stre soumis tout le ct matriel de cette femme, mais qui luttait en vain contre le ct moral, souleva Lorenza entre ses bras et la porta sur son lit; alors il dposa sur ses lvres un long baiser, tira les rideaux de son lit, puis ceux des fentres, et sortit.

Quant Lorenza, un sommeil doux et bienfaisant lenveloppa comme le manteau dune bonne mre enveloppe lenfant volontaire qui a beaucoup souffert, beaucoup pleur.