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Ces difficults, tu les vaincrais bien vite si tu voulais.

Dites si je croyais.

Tu ne crois donc pas?

Non, dit Balsamo.

Tu me tentes! tu me tentes! scria Althotas.

Non, je doute.

Eh bien, voyons; crois-tu la mort?

Je crois ce qui est, or, la mort est.

Althotas haussa les paules.

Donc la mort est, dit-il; cest un point que tu ne contestes pas?

Cest une chose incontestable.

Cest une chose infinie, invincible, nest-ce pas? ajouta le vieux savant avec un sourire qui fit frissonner son adepte.

Oh! oui, matre, invincible, infinie surtout.

Et quand tu vois un cadavre, la sueur te monte au front, le regret te vient au cur?

La sueur ne me monte pas au front, parce que je suis familiaris avec toutes les misres humaines; le regret ne me vient pas au cur, parce que jestime la vie peu de chose; mais je me dis en prsence du cadavre: Mort! mort! tu es puissante comme Dieu! Tu rgnes souverainement, mort! et nul ne prvaut contre toi!

Althotas couta Balsamo en silence et sans donner dautre signe dimpatience que de tourmenter un scalpel entre ses doigts; et, lorsque son lve eut achev la phrase douloureuse et solennelle, le vieillard jeta en souriant un regard autour de lui, et ses yeux, si ardents, quil semblait que pour eux la nature ne dt point avoir de secrets, ses yeux sarrtrent sur un coin de la salle o, couch sur quelques brins de paille, tremblait un pauvre chien noir, le seul qui restt de trois animaux de mme espce quAlthotas avait demand pour ses expriences, et que Balsamo lui avait fait apporter.

Prends ce chien, dit Althotas Balsamo, et apporte-le sur cette table.

Balsamo obit; il alla prendre le chien noir et lapporta sur le marbre.

Lanimal, qui semblait pressentir sa destine, et qui dj sans doute stait rencontr sous la main de lexprimentateur, se mit frissonner, se dbattre et hurler lorsquil sentit le contact du marbre.

Eh! eh! dit Althotas, tu crois la vie, nest-ce pas, puisque tu crois la mort?

Sans doute.

Voil un chien qui me parat trs vivant, quen dis-tu?

Assurment, puisquil crie, puisquil se dbat, puisquil a peur.

Que cest laid, les chiens noirs! Tche, la premire fois, de men procurer des blancs.

Jy tcherai.

Ah! nous disons donc que celui-ci est vivant! Aboie, petit, ajouta le vieillard avec son rire lugubre, aboie, pour convaincre le seigneur Acharat que tu es vivant.

Et il toucha le chien du doigt sur un certain muscle, et le chien aboya, ou plutt gmit aussitt.

Bon! avance la cloche; cest cela: introduis le chien dessous L! propos, joubliais de te demander quelle mort tu crois le mieux.

Je ne sais ce que vous voulez dire, matre; la mort est la mort.

Cest juste, trs juste, ce que tu viens de me dire l, et cest mon avis, moi aussi. Eh bien! puisque la mort est la mort, fais le vide, Acharat.

Balsamo tourna une roue qui dgagea par un tuyau lair enferm sous la cloche avec le chien, et peu peu lair senfuit avec un sifflement aigu. Le petit chien sinquita dabord, puis il chercha, fouilla, leva la tte, respira bruyamment et prcipitamment, et enfin il tomba suffoqu, gonfl, inanim.

Voil le chien mort dapoplexie, nest-ce pas? dit Althotas. Une belle mort qui ne fait pas souffrir longtemps!

Oui.

Il est bien mort?

Sans doute.

Tu ne me parais pas bien convaincu, Acharat?

Si fait, au contraire.

Oh! cest que tu connais mes ressources, nest-ce pas? Tu supposes que jai trouv linsufflation, hein? cet autre problme qui consiste faire circuler la vie avec lair dans un corps intact, comme on le peut faire dans une outre qui nest pas perce?

Non, je ne suppose rien; je crois que le chien est mort, voil tout.

Nimporte, pour plus grande scurit, nous allons le tuer deux fois. Lve la cloche, Acharat.

Acharat enleva lappareil de cristal, le chien ne bougea point; ses paupires taient closes, son cur ne battait plus.

Prends ce scalpel, et, tout en laissant le larynx intact, tranche-lui la colonne vertbrale.

Cest uniquement pour vous obir.

Et aussi pour achever le pauvre animal, au cas o il ne serait pas tout fait mort, rpondit Althotas avec ce sourire dopinitret particulier aux vieillards.

Balsamo donna un seul coup de la lame tranchante. Lincision spara la colonne vertbrale deux pouces du cervelet peu prs, et ouvrit une large plaie sanglante.

Lanimal ou plutt le cadavre de lanimal demeura immobile.

Oui, ma foi, il tait bien mort, dit Althotas; pas une fibre ne tressaille, pas un muscle ne frmit, pas un atome de chair ne sinsurge contre ce nouvel attentat. Nest-ce pas, il est mort, et bien mort?

Je le reconnais autant de fois que vous dsirerez que je le reconnaisse, dit Balsamo impatient.

Et voil un animal inerte, glac, jamais immobile. Rien ne prvaut contre la mort, as-tu dit. Nul na la puissance de rendre la vie ni mme lapparence de la vie la pauvre bte.

Nul, si ce nest Dieu!

Oui, mais Dieu ne sera pas assez inconsquent pour le faire. Quand Dieu tue, comme il est la suprme sagesse, cest quil a une raison ou un bnfice tuer. Un assassin, je ne sais plus comment on lappelle, un assassin disait cela, et ctait fort bien dit. La nature a un intrt dans la mort.

Ainsi voil un chien aussi mort que possible, et la nature a pris son intrt sur lui.

Althotas attacha son il perant sur Balsamo. Celui-ci, fatigu davoir soutenu si longtemps le radotage du vieillard, inclina la tte pour toute rponse.

Eh bien, que dirais-tu, continua Althotas, si ce chien ouvrait lil et te regardait?

Cela mtonnerait beaucoup, matre, rpondit Balsamo en souriant.

Cela ttonnerait? Ah! cest bien heureux!

En achevant ces paroles avec son rire faux et lugubre, le vieillard attira prs du chien un appareil compos de pices de mtal spares par des tampons de drap. Le drap de cet appareil trempait dans un mlange deau acidule; les deux extrmits ou les deux ples, comme on les appelle, sortaient du baquet.

Quel il veux-tu quil ouvre, Acharat? demanda le vieillard.

Le droit.

Les deux extrmits rapproches, mais spares lune de lautre par un morceau de soie, sarrtrent sur un muscle du cou.

Aussitt lil droit du chien souvrit, et regarda fixement Balsamo, qui recula effray.

Maintenant, passons la gueule, veux-tu?

Balsamo ne rpondit rien, il tait sous lempire dun profond tonnement.

Althotas toucha un autre muscle, et la place de lil, qui stait referm, ce fut la gueule qui souvrit, laissant voir les dents blanches et aigus, la racine desquelles la gencive rouge frmissait comme dans la vie.

Balsamo eut peur et ne put cacher son motion.

Oh! voil qui est trange! dit-il.

Vois comme la mort est peu de chose, dit Althotas triomphant de la stupfaction de son lve, puisquun pauvre vieillard comme moi, qui va lui appartenir bientt, la fait dvier de son inexorable chemin.

Et tout coup, avec un rire strident et nerveux:

Prends garde, Acharat, dit-il, voil un chien mort qui tout lheure voulait te mordre, et qui maintenant va courir aprs toi. Prends garde!

Et en effet, le chien, avec son cou tranch, sa gueule bante et son il tressaillant, se leva soudain sur ses quatre pattes, et, la tte hideusement pendante, vacilla sur ses jambes.

Balsamo sentit ses cheveux se hrisser; la sueur lui tomba du front, et il alla reculons se coller contre la porte dentre, incertain sil devait fuir ou demeurer.

Allons, allons, je ne veux pas te faire mourir de peur en essayant de tinstruire, dit Althotas repoussant le cadavre et la machine, assez dexpriences comme cela.