Aussitt le cadavre, cessant dtre en rapport avec la pile, retomba morne et immobile comme auparavant.
Aurais-tu cru cela de la mort, Acharat? dit le vieillard, et la croyais-tu daussi bonne composition, dis?
trange, en effet, trange! dit Balsamo en se rapprochant.
Tu vois quon peut arriver ce que je disais, mon enfant, et que le premier pas est fait. Quest-ce que prolonger la vie, quand on est dj parvenu annuler la mort?
Mais on ne le sait pas encore, objecta Balsamo, car cette vie que vous lui avez rendue est une vie factice.
Ayons du temps et nous retrouverons la vie relle. Nas-tu pas lu dans les potes romains que Casside rendait la vie aux cadavres?
Dans les potes, oui.
Les Romains appelaient les potes vates, mon ami, noublie pas cela.
Voyons, dites-moi cependant
Une objection encore?
Oui. Si votre lixir de vie tait compos et que vous en fissiez prendre ce chien, il vivrait donc ternellement?
Sans doute.
Et sil tombait dans les mains dun exprimentateur comme vous qui lgorget?
Bon, bon! scria le vieillard avec joie et en frappant ses deux mains lune contre lautre, voil o je tattendais.
Alors, si vous mattendiez l, rpondez-moi.
Je ne demande pas mieux.
Llixir empchera-t-il une chemine de tomber sur une tte, une balle de percer un homme doutre en outre, un cheval douvrir dun coup de pied le ventre de son cavalier?
Althotas regardait Balsamo du mme il quun spadassin doit regarder son adversaire dans un coup qui va lui permettre de le toucher.
Non, non, non, dit-il, et tu es vraiment logicien, mon cher Acharat. Non, la chemine, non, la balle, non, le coup de pied de cheval, ne pourront pas tre vits tant quil y aura des maisons, des fusils et des chevaux.
Il est vrai que vous ressusciterez les morts.
Momentanment, oui; indfiniment, non. Il faudrait dabord pour cela que je trouvasse lendroit du corps o lme est loge, et cela pourrait tre un peu long; mais jempcherai cette me de sortir du corps par la blessure qui aura t faite.
Comment cela?
En la refermant.
Mme si cette blessure tranche une artre?
Sans doute.
Ah! je voudrais voir cela.
Eh bien, regarde, dit le vieillard.
Et, avant que Balsamo et pu larrter, il se piqua la veine du bras gauche avec une lancette.
Il restait si peu de sang dans le corps du vieillard, et ce sang roulait si lentement, quil fut quelque temps venir aux lvres de la plaie; mais enfin il y vint, et, ce passage ouvert, il sortit bientt abondamment.
Grand Dieu! scria Balsamo.
Eh bien, quoi? dit Althotas.
Vous tes bless, et grivement.
Puisque tu es comme saint Thomas, et que tu ne crois quen voyant et quen touchant, il faut bien te faire voir, il faut bien te faire toucher.
Il prit alors une petite fiole quil avait place la porte de sa main, et, en versant quelques gouttes sur la plaie:
Regarde! dit-il.
Alors, devant cette eau presque magique, le sang scarta, la chair se resserra, fermant la veine, et la blessure devint une piqre trop troite pour que cette chair coulante quon appelle le sang pt sen chapper.
Cette fois, Balsamo regardait le vieillard avec stupfaction.
Voil encore ce que jai trouv; quen dis-tu, Acharat?
Oh! je dis, matre, que vous tes le plus savant des hommes.
Et que, si je nai pas vaincu tout fait la mort, nest-ce pas? je lui ai du moins port un coup dont il lui sera difficile de se relever. Vois-tu, mon fils, le corps humain a des os fragiles et qui peuvent se briser: je rendrai ces os aussi durs que lacier. Le corps humain a du sang qui, lorsquil schappe, emmne avec lui la vie: jempcherai que le sang ne sorte du corps. La chair est molle et facile entamer, je la rendrai invulnrable comme celle des paladins du Moyen ge, sur laquelle smoussait le fil des pes et le tranchant des haches. Il ne faut pour cela quun Althotas qui vive trois cents ans. Eh bien, donne-moi ce que je te demande, et jen vivrai mille. Oh! mon cher Acharat, cela dpend de toi. Rends-moi ma jeunesse, rends-moi la vigueur de mon corps, rends-moi la fracheur de mes ides, et tu verras si je crains lpe, la balle, le mur qui croule, ou la bte brute qui mord ou qui rue. ma quatrime jeunesse, Acharat, cest--dire avant que jaie vcu lge de quatre hommes, jaurai renouvel la face de la terre, et, je te le dis, jaurai fait pour moi et pour lhumanit rgnre un monde mon usage, un monde sans chemines, sans pes, sans balles de mousquet, sans chevaux qui ruent; car alors, les hommes comprendront quil vaut mieux vivre, sentraider, saimer, que de se dchirer et de se dtruire.
Cest vrai, ou du moins, cest possible, matre.
Eh bien! apporte-moi lenfant, alors.
Laissez-moi rflchir encore, et rflchissez vous-mme.
Althotas lana son adepte un regard de souverain mpris.
Va! dit-il, va, je te convaincrai plus tard, et dailleurs, le sang de lhomme nest pas un ingrdient si prcieux quil ne puisse se remplacer peut-tre par une autre matire. Va! je chercherai, je trouverai. Je nai pas besoin de toi. Va!
Balsamo frappa du pied la trappe, et descendit dans lappartement infrieur, muet, immobile, et tout courb sous le gnie de cet homme, qui forait de croire aux choses impossibles, en faisant lui-mme des choses impossibles.
Chapitre 61. Les renseignements
Cette nuit si longue, si fertile en vnements et que nous avons promene, comme le nuage des dieux mythologiques, de Saint-Denis la Muette, de la Muette la rue Coq-Hron, de la rue Coq-Hron la rue Pltrire, et de la rue Pltrire la rue Saint-Claude, cette nuit, madame du Barry lavait employe essayer de ptrir lesprit du roi, selon ses vues, dune politique nouvelle.
Elle avait surtout beaucoup insist sur le danger quil y aurait laisser les Choiseul gagner du terrain auprs de la dauphine.
Le roi avait rpondu, en haussant les paules, que madame la dauphine tait une enfant et M. de Choiseul un vieux ministre; quen consquence il ny avait pas de danger, attendu que lune ne saurait pas travailler et que lautre ne saurait pas amuser.
Puis, enchant de ce bon mot, le roi avait coup court aux explications.
Il nen avait pas t de mme de madame du Barry, qui avait cru remarquer des distractions chez le roi.
Louis XV tait coquet. Son grand bonheur consistait donner de la jalousie ses matresses, pourvu cependant que cette jalousie ne se traduist point par des querelles et des bouderies trop prolonges.
Madame du Barry tait jalouse, dabord par amour-propre, ensuite par crainte. Sa position lui avait donn trop de peine conqurir, et la position leve o elle se trouvait tait trop loigne de son point de dpart pour quelle ost, comme madame de Pompadour, tolrer dautres matresses au roi, et lui en chercher mme quand Sa Majest paraissait sennuyer, ce qui, on le sait, lui arrivait souvent.
Donc, madame du Barry tant jalouse, comme nous lavons dit, elle voulut connatre fond les causes de la distraction du roi.
Le roi rpondit ces paroles mmorables, dont il ne pensait pas un seul mot:
Je moccupe beaucoup du bonheur de ma bru, et je ne sais vraiment si M. le dauphin lui donnera tout le bonheur.
Et pourquoi pas, sire?
Parce que M. Louis, Compigne, Saint-Denis et la Muette, ma paru regarder beaucoup les autres femmes et trs peu la sienne.
En vrit, sire, si Votre Majest elle-mme ne me disait une pareille chose, je ne le croirais pas: madame la dauphine est jolie, cependant.
Elle est un peu maigre.
Elle est si jeune!
Bon! voyez mademoiselle de Taverney, elle a lge de larchiduchesse.
Eh bien?
Eh bien, elle est parfaitement belle.
Un clair brilla dans les yeux de la comtesse et avertit le roi de son tourderie.