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Le roi lappelant rester, M. de la Vauguyon put croire que Sa Majest comprenait cette perte et voulait len ddommager par quelque rcompense. Une ducation acheve, dordinaire on gratifie le prcepteur.

Ce qui engagea M. le duc de la Vauguyon, homme trs sensible, redoubler de sensibilit; pendant tout le dner, il avait port son mouchoir ses yeux, pour tmoigner du regret que lui causait la perte de son lve. Une fois le dessert achev, il avait sanglot; mais se trouvant enfin seul, il partait plus calme.

Lappel du roi tira de nouveau le mouchoir de sa poche et les larmes de ses yeux.

Venez, mon pauvre la Vauguyon, dit le roi en stablissant laise dans une chaise longue; venez, que nous causions.

Je suis aux ordres de Votre Majest, rpondit le duc.

Asseyez-vous l, mon trs cher; vous devez tre fatigu.

Masseoir, sire?

Oui, l, sans faon, tenez.

Et Louis XV indiqua au duc un tabouret plac de telle manire que les lumires tombassent daplomb sur le visage du prcepteur et laissassent dans lombre celui du roi.

Eh bien, cher duc, dit Louis XV, voil une ducation faite.

Oui, sire.

Et la Vauguyon soupira.

Belle ducation, sur ma foi, continua Louis XV.

Sa Majest est trop bonne.

Et qui vous fait bien de lhonneur, duc.

Sa Majest me comble.

M. le dauphin est, je crois, un des savants princes de lEurope?

Je le crois, sire.

Bon historien?

Trs bon.

Gographe parfait?

Sire, M. le dauphin dresse tout seul des cartes quun ingnieur ne ferait pas.

Il tourne dans la perfection?

Ah! sire, le compliment revient un autre, et ce nest pas moi qui lui ai appris cela.

Nimporte, il le sait.

merveille mme.

Et lhorlogerie, hein? quelle dextrit!

Cest prodigieux, sire.

Depuis six mois, toutes mes horloges courent les unes aprs les autres, comme les quatre roues dun carrosse, sans pouvoir se rejoindre. Eh bien, cest lui seul qui les rgle.

Ceci rentre dans la mcanique, sire, et je dois avouer encore que je ny suis pour rien.

Oui, mais les mathmatiques, la navigation?

Oh! par exemple, sire, voil les sciences vers lesquelles jai toujours pouss M. le dauphin.

Et il y est trs fort. Lautre soir, je lai entendu parler avec M. de la Peyrouse de grelins, de haubans et de brigantines.

Tous termes de marine Oui, sire.

Il en parle comme Jean Bart.

Le fait est quil y est trs fort.

Cest pourtant vous quil doit tout cela

Votre Majest me rcompense bien au del de mes mrites en mattribuant une part, si lgre quelle soit, dans les avantages prcieux que M. le dauphin a tirs de ltude.

La vrit, duc, est que je crois que M. le dauphin sera rellement un bon roi, un bon administrateur, un bon pre de famille propos, monsieur le duc, rpta le roi en appuyant sur ces mots, sera-t-il un bon pre de famille?

Eh! mais, sire, rpondit navement M. de la Vauguyon, je prsume que, toutes les vertus tant en germe dans le cur de M. le dauphin, celle-l y doit tre renferme comme les autres.

Vous ne me comprenez pas, duc, dit Louis XV. Je vous demande sil sera un bon pre de famille.

Sire, je lavoue, je ne comprends pas Votre Majest. Dans quel sens me fait-elle cette question?

Mais dans le sens, dans le sens Vous ntes pas sans avoir lu la Bible, monsieur le duc?

Certainement, sire, que je lai lue.

Eh bien, vous connaissez les patriarches, nest-ce pas?

Sans doute.

Sera-t-il un bon patriarche?

M. de la Vauguyon regarda le roi, comme sil lui et parl hbreu; et, tournant son chapeau entre ses mains:

Sire, rpondit-il, un grand roi est tout ce quil veut.

Pardon, monsieur le duc, insista le roi, je vois que nous ne nous entendons pas trs bien.

Sire, je fais cependant de mon mieux.

Enfin, dit le roi, je vais parler plus clairement. Voyons, vous connaissez le dauphin comme votre enfant, nest-ce pas?

Oh! certes, sire.

Ses gots?

Oui.

Ses passions?

Oh! quant ses passions, sire, cest autre chose; monseigneur en et-il eu, que je les eusse extirpes radicalement. Mais je nai pas eu cette peine, heureusement; monseigneur est sans passions.

Vous avez dit heureusement?

Sire, nest-ce pas un bonheur?

Ainsi, il nen a pas?

Des passions? Non, sire.

Pas une?

Pas une, jen rponds.

Eh bien, voil justement ce que je redoutais. Le dauphin sera un trs bon roi, un trs bon administrateur, mais il ne sera jamais un bon patriarche.

Hlas! sire, vous ne mavez aucunement recommand de pousser M. le dauphin au patriarcat.

Et cest un tort que jai eu. Jaurais d songer quil se marierait un jour. Mais, bien quil nait point de passions, vous ne le condamnez point tout fait?

Comment?

Je veux dire que vous ne le jugez point incapable den avoir un jour.

Sire, jai peur.

Comment, vous avez peur?

En vrit, dit lamentablement le pauvre duc, Votre Majest me met au supplice.

Monsieur de la Vauguyon, scria le roi, qui commenait simpatienter, je vous demande clairement si, avec passion ou sans passion, M. le duc de Berry sera un bon poux. Je laisse de ct la qualification de pre de famille et jabandonne le patriarche.

Eh bien, sire, voil ce que je ne saurais prcisment dire Votre Majest.

Comment, voil ce que vous ne sauriez me dire?

Non, sans doute, car je ne le sais pas, moi.

Vous ne le savez pas! scria Louis XV avec une stupfaction qui fit osciller la perruque sur le chef de M. de la Vauguyon.

Sire, M. le duc de Berry vivait sous le toit de Votre Majest dans linnocence de lenfant qui tudie.

Eh! monsieur, cet enfant ntudie plus, il se marie.

Sire, jtais le prcepteur de monseigneur

Justement, monsieur, il fallait donc lui apprendre tout ce quil doit savoir.

Et Louis XV se renversa dans son fauteuil en haussant les paules.

Je men doutais, ajouta-t-il avec un soupir.

Mon Dieu, sire

Vous savez lhistoire de France, nest-ce pas, monsieur de la Vauguyon?

Sire, je lai toujours cru, et je continuerai mme de le croire, moins toutefois que Votre Majest ne me dise le contraire.

Eh bien, alors, vous devez savoir ce qui mest arriv, moi, la veille de mes noces.

Non, sire, je ne le sais pas.

Ah! mon Dieu! mais vous ne savez donc rien?

Si Votre Majest voulait mapprendre ce point qui mest rest inconnu?

coutez, et que ceci vous serve de leon pour mes deux autres petits-fils, duc.

Jcoute, sire.

Moi aussi, javais t lev comme vous avez lev le dauphin, sous le toit de mon grand-pre. Javais M. de Villeroy, un brave homme, mais un trs brave homme, tout comme vous, duc. Oh! sil met laiss plus souvent dans la socit de mon oncle le rgent! mais non, linnocence de ltude, comme vous dites, duc, mavait fait ngliger ltude de linnocence. Cependant, je me mariai, et, quand un roi se marie, monsieur le duc, cest srieux pour le monde.

Oh! oui, sire, je commence comprendre.

En vrit, cest bien heureux. Je continue donc. M. le cardinal me fit sonder sur mes dispositions au patriarcat. Mes dispositions taient parfaitement nulles, et jtais l-dessus dune candeur faire craindre que le royaume de France ne tombt en quenouille. Heureusement, M. le cardinal consulta M. de Richelieu l-dessus: ctait dlicat; mais M. de Richelieu tait un grand matre en pareille matire. M. de Richelieu eut une ide lumineuse. Il y avait une demoiselle Lemaure ou Lemoure, je ne sais plus trop, laquelle faisait des tableaux admirables; on lui commanda une srie de scnes; vous comprenez?

Non, sire.