Comment dirai-je cela? Des scnes champtres.
Dans le genre des tableaux de Teniers, alors.
Mieux que cela, primitives.
Primitives?
Naturelles Je crois que jai enfin trouv le mot; vous comprenez, cette fois?
Comment! scria M. de la Vauguyon rougissant, on osa prsenter Votre Majest?
Et qui vous parie de me prsenter quelque chose, duc?
Mais pour que Votre Majest pt voir
Il fallait que Ma Majest regardt; voil tout.
Eh bien?
Eh bien, jai regard.
Et?
Et comme lhomme est essentiellement imitateur jai imit.
Certainement, sire, le moyen est ingnieux, certain, excellent, quoique dangereux pour un jeune homme.
Le roi regarda le duc de la Vauguyon avec ce sourire que lon eut appel cynique sil net gliss sur la bouche la plus spirituelle du monde.
Laissons le danger pour aujourdhui, dit-il, et revenons ce qui nous reste faire.
Ah!
Le savez-vous?
Non, sire, et Votre Majest me rendra bien heureux en me lapprenant.
Eh bien, le voici: vous allez aller trouver M. le dauphin, qui reoit les derniers compliments des hommes tandis que madame la dauphine reoit les derniers compliments des femmes.
Oui, sire.
Vous vous munirez dun bougeoir, et vous prendrez M. le dauphin part.
Oui, sire.
Vous indiquerez votre lve le roi appuya sur les deux mots vous indiquerez votre lve que sa chambre est situe au bout du corridor neuf.
Dont personne na la clef, sire.
Parce que je la gardais, monsieur; je prvoyais ce qui arrive aujourdhui; voici cette clef.
M. de la Vauguyon la prit en tremblant.
Je veux bien vous dire, vous, monsieur le duc, continua le roi, que cette galerie renferme une vingtaine de tableaux que jai fait placer l.
Ah! sire, oui, oui.
Oui, monsieur le duc; vous embrasserez votre lve, vous lui ouvrirez la porte du corridor, vous lui mettrez le bougeoir la main, vous lui souhaiterez le bonsoir, et vous lui direz quil doit mettre vingt minutes gagner la porte de sa chambre, une minute par tableau.
Ah! sire, je comprends.
Cest heureux. Bonsoir, monsieur de la Vauguyon.
Votre Majest a la bont de mexcuser?
Mais je ne sais pas trop, car, sans moi, vous eussiez fait de belles choses dans ma famille!
La porte se referma sur M. le gouverneur.
Le roi se servit de sa sonnette particulire.
Lebel parut.
Mon caf, dit le roi. propos, Lebel
Sire?
Quand vous maurez donn mon caf, vous irez derrire M. de la Vauguyon, qui sort pour prsenter ses devoirs M. le dauphin.
Jy vais, sire.
Mais attendez donc, que je vous apprenne pourquoi vous y allez.
Cest vrai, sire; mais mon empressement obir Sa Majest est tel
Trs bien. Vous suivrez donc M. de la Vauguyon.
Oui, sire.
Il est si troubl, si chagrin, que je crains son attendrissement pour M. le dauphin.
Et que dois-je faire, sire, sil sattendrit?
Rien; vous viendrez me le dire, voil tout.
Lebel dposa le caf auprs du roi, qui se mit le savourer lentement.
Puis le valet de chambre historique sortit.
Un quart dheure aprs, il reparut.
Eh bien, Lebel? demanda le roi.
Sire, M. de la Vauguyon a t jusquau corridor neuf, tenant monseigneur par le bras.
Bien! aprs?
Il ne semblait pas fort attendri, bien au contraire, il roulait de petits yeux tout grillards.
Bon! aprs?
Il a tir une clef de sa poche, la donne M. le dauphin, qui a ouvert la porte et a mis le pied dans le corridor.
Ensuite?
Ensuite, M. le duc a fait passer son bougeoir dans la main de monseigneur et lui a dit tout bas, mais pas si bas que je naie pu lentendre:
Monseigneur, la chambre nuptiale est au bout de cette galerie dont je viens de vous remettre la clef. Le roi dsire que vous mettiez vingt minutes arriver cette chambre.
Comment! a dit le prince, vingt minutes; mais il faut vingt secondes peine!
Monseigneur, a rpondu M. de la Vauguyon, ici expire mon autorit. Je nai plus de leons vous donner, mais un dernier conseiclass="underline" regardez bien les murailles droite et gauche de cette galerie, et je rponds Son Altesse quelle trouvera le temps demployer ses vingt minutes.
Pas mal.
Alors, sire, M. de la Vauguyon a fait un grand salut, toujours accompagn de regards fort allums, qui semblaient vouloir pntrer dans le corridor; puis il a laiss monseigneur la porte.
Et monseigneur est entr, je suppose?
Tenez, sire, voyez la lumire dans la galerie. Il y a au moins un quart dheure quelle sy promne.
Allons! allons! elle disparat, dit le roi aprs quelques instants passs les yeux levs sur les vitres. moi aussi, on mavait donn vingt minutes, mais je me rappelle quau bout de cinq jtais chez ma femme. Hlas! dirait-on de M. le dauphin ce quon disait du second Racine: Cest le petit-fils dun grand-pre!
Chapitre 65. La nuit des noces de M. le dauphin
Le dauphin ouvrit la porte de la chambre nuptiale, ou plutt de lantichambre qui la prcdait.
Larchiduchesse, en long peignoir blanc, attendait dans le lit dor, peine affaiss par le poids si lger de son corps frle et dlicat; et, chose trange, si lon et pu lire sur son front, travers le nuage de tristesse qui le couvrait, on y et reconnu, au lieu de la douce attente de la fiance, la terreur de la jeune fille menace dun de ces dangers que les natures nerveuses voient en pressentiments et supportent quelquefois avec plus de courage quelles ne les ont pressentis.
Prs du lit, madame de Noailles tait assise.
Les dames se tenaient au fond, attentives au premier geste de la dame dhonneur qui leur ordonnerait de se retirer.
Celle-ci, fidle aux lois de ltiquette, attendait impassiblement larrive de M. le dauphin.
Mais, comme si cette fois toutes les lois de ltiquette et du crmonial eussent d cder la malignit des circonstances, il se trouva que les personnes qui devaient introduire M. le dauphin dans la chambre nuptiale, ignorant que Son Altesse, daprs les dispositions du roi Louis XV, devait arriver par le corridor neuf, attendaient dans une autre antichambre.
Celle o venait dentrer M. le dauphin tait vide, et la porte qui donnait dans la chambre coucher tant lgrement entrebille, il en rsultait que M. le dauphin pouvait voir et entendre ce qui se passait dans cette chambre.
Il attendit, regardant la drobe, coutant furtivement.
La voix de madame la dauphine sleva pure et harmonieuse, quoique un peu tremblante:
Par o entrera M. le dauphin? demanda-t-elle.
Par cette porte, Madame, dit la duchesse de Noailles.
Et elle montrait la porte oppose celle o se trouvait M. le dauphin.
Et quentend-on par cette fentre? ajouta la dauphine; on dirait le bruit de la mer?
Cest le bruit des innombrables spectateurs qui se promnent la lueur de lillumination, et qui attendent le feu dartifice.
Lillumination? dit la dauphine avec un triste sourire. Elle na pas t inutile ce soir, car le ciel est bien lugubre; avez-vous vu, madame?
En ce moment, le dauphin, ennuy dattendre, poussa doucement la porte, passa sa tte par lentrebillement, et demanda sil pouvait entrer.
Madame de Noailles poussa un cri, car elle ne reconnut pas le prince dabord.
Madame la dauphine, jete, par les motions successives quelle avait prouves, dans cet tat nerveux o tout nous effraie, saisit le bras de madame de Noailles.
Cest moi, madame, dit le dauphin, nayez pas peur.
Mais pourquoi par cette porte? demanda madame de Noailles.
Parce que, dit le roi Louis XV en passant son tour sa tte cynique par la porte entrebille, parce que M. de la Vauguyon, en vritable jsuite quil est, sait trop bien le latin, les mathmatiques et la gographie, et pas assez autre chose.