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En prsence du roi arrivant ainsi inopinment, madame la dauphine stait laisse glisser de son lit et se tenait debout, enveloppe de son grand peignoir, qui la cachait du bout des pieds jusquau col, aussi hermtiquement que la stole dune dame romaine.

On voit bien quelle est maigre, murmura Louis XV. Au diable M. de Choiseul, qui, parmi toutes les archiduchesses, va justement me choisir celle-l!

Votre Majest, dit madame de Noailles, peut remarquer que, quant ce qui me concerne, ltiquette a t strictement observe; il ny a que du ct de Monseigneur le dauphin.

Je prends linfraction sur mon compte, dit Louis XV, et cest trop juste, puisque cest moi qui lai fait commettre. Mais, comme la circonstance tait grave, ma chre madame de Noailles, jespre que vous me la pardonnerez.

Je ne comprends pas ce que Votre Majest veut dire.

Nous nous en irons ensemble, duchesse, et je vous conterai cela. Maintenant, voyons, que ces enfants se couchent.

Madame la dauphine sloigna dun pas du lit, et saisit le bras de madame de Noailles avec plus de terreur peut-tre que la premire fois.

Oh! par grce, madame! dit-elle, jen mourrais de honte.

Sire, dit madame de Noailles, madame la dauphine vous supplie de la laisser se coucher comme une simple bourgeoise.

Diable! diable! et cest vous qui demandez cela, madame ltiquette?

Sire, je sais bien que cest contraire aux lois du crmonial de France; mais regardez larchiduchesse

En effet, Marie-Antoinette, debout, ple, se soutenant de son bras raidi au dossier dun fauteuil, et sembl une statue de lEffroi si lon net entendu le lger claquement de ses dents, accompagnant la sueur froide qui coulait sur son visage.

Oh! je ne veux pas contrarier la dauphine ce point, dit Louis XV, prince aussi ennemi du crmonial que Louis XIV en tait ardent sectateur. Retirons-nous, duchesse. Dailleurs, il y a des serrures aux portes, et ce sera bien plus drle.

Le dauphin entendit ces dernires paroles de son grand-pre et rougit.

La dauphine entendit aussi, mais elle ne comprit pas.

Le roi Louis XV embrassa sa bru, et il sortit entranant la duchesse de Noailles et riant de ce rire moqueur, si triste pour ceux qui ne partagent pas la gaiet de celui qui rit.

Les autres assistants sortirent par lautre porte.

Les deux jeunes gens se trouvrent seuls.

Il se fit un instant de silence.

Enfin, le jeune prince sapprocha de Marie-Antoinette: son cour battait violemment; il sentait affluer la poitrine, aux tempes, aux artres des mains, ce sang rvolt de la jeunesse et de lamour.

Mais il sentait son grand-pre derrire la porte, et ce regard cynique, plongeant jusque dans lalcve nuptiale, glaait encore le dauphin, fort timide dailleurs et fort gauche de sa nature.

Madame, dit-il en regardant larchiduchesse, souffririez-vous? Vous tes bien ple, et lon dirait que vous tremblez.

Monsieur, dit-elle, je ne vous cacherai pas que jprouve une agitation trange; il faut quil y ait quelque violent orage au cieclass="underline" lorage a une influence terrible sur moi.

Ah! vous croyez que nous sommes menacs dun ouragan, dit le dauphin.

Oh! jen suis sre, jen suis sre; tout mon corps tremble, voyez.

Et en effet tout le corps de la pauvre princesse semblait frmir sous des secousses lectriques.

En ce moment, comme pour justifier ses prvisions, un coup de vent furieux, un de ces souffles puissants qui poussent la moiti des mers sur lautre, et qui rasent les montagnes, pareil au premier cri de la tempte qui savanait, emplit le chteau de tumulte, dangoisses et de craquements intenses.

Les feuilles arraches aux branches, les branches arraches aux arbres, les statues arraches leur base, une longue et immense clameur des cent mille spectateurs rpandus dans les jardins, un mugissement lugubre et infini courant dans les galeries et dans les corridors du chteau, composrent en ce moment la plus sauvage et la plus lugubre harmonie qui ait jamais vibr aux oreilles humaines.

Puis un cliquetis sinistre succda au mugissement; ctaient les vitres qui, brises en mille pices, tombaient sur les marbres des escaliers et des corniches, en lanant cette note saccade et nerveuse qui grince en senvolant dans lespace.

Le vent avait du mme coup arrach du pne une des persiennes mal fermes qui avait t battre contre la muraille, comme laile gigantesque dun oiseau de nuit.

Partout o les fentres taient ouvertes dans le chteau les lumires steignirent, ananties par ce coup de vent.

Le dauphin sapprocha de la fentre, sans doute pour refermer la persienne; mais la dauphine larrta.

Oh! monsieur, monsieur, par grce, dit-elle, nouvrez pas cette fentre, nos bougies steindraient et je mourrais de peur.

Le dauphin sarrta.

On voyait, travers le rideau quil venait de tirer, les cimes sombres des arbres du parc agites et tordues, comme si le bras de quelque gant invisible et secou leurs tiges au milieu des tnbres.

Toutes les illuminations steignirent.

Alors on put voir au ciel des lgions de grosses nues noires qui roulaient en tourbillonnant, ainsi que des escadrons lancs la charge.

Le dauphin resta ple et debout, une main appuye lespagnolette de la fentre. La dauphine tomba sur une chaise en poussant un soupir.

Vous avez bien peur, madame? demanda le dauphin.

Oh! oui; cependant votre prsence me rassure. Oh! quelle tempte! quelle tempte! Toutes les illuminations se sont teintes.

Oui, dit Louis, le vent souffle sud-sud-ouest, et cest celui qui annonce les ouragans les plus acharns. Sil continue, je ne sais comment on fera pour tirer le feu dartifice.

Oh! monsieur, pour qui le tirerait-on? Personne ne restera dans les jardins par un temps pareil.

Ah! madame, vous ne connaissez pas les Franais, il leur faut leur feu dartifice; celui-l sera superbe; le plan men a t communiqu par lingnieur. Eh! tenez, voyez que je ne me trompais pas, voici les premires fuses.

En effet, brillantes comme de longs serpents de flamme, les fuses dannonce slancrent vers le ciel; mais en mme temps, comme si lorage et pris ces jets brlants pour un dfi, un seul clair, mais qui sembla fendre le ciel, serpenta entre les pices dartifice et mla son feu bleutre au feu rouge des fuses.

En vrit, dit larchiduchesse, cest une impit lhomme que de lutter avec Dieu.

Ces fuses dannonce navaient prcd lembrasement gnral du feu dartifice que de quelques secondes; lingnieur sentait quil lui fallait se presser, et il mit le feu aux premires pices, que salua une immense clameur de joie.

Mais, comme sil y et en effet lutte entre la terre et le ciel; comme si, ainsi que lavait dit larchiduchesse, lhomme et commis une impit envers son Dieu, lorage, irrit, couvrit de sa clameur immense la clameur populaire, et toutes les cataractes du ciel souvrant la fois, des torrents de pluie se prcipitrent du haut des nues.

Le vent avait teint les illuminations, leau teignit le feu dartifice.

Ah! quel malheur! dit le dauphin, voil le feu dartifice manqu!

Eh! monsieur, rpliqua tristement Marie-Antoinette, tout ne manque-t-il pas depuis mon arrive en France?

Comment cela, madame?

Avez-vous vu Versailles?

Sans doute, madame. Versailles ne vous plat-il point?

Oh! si fait, Versailles me plairait sil tait aujourdhui tel que la laiss votre illustre aeul Louis XIV. Mais dans quel tat avons-nous trouv Versailles? Dites. Partout le deuil, la ruine. Oh! oui, oui, la tempte saccorde bien avec la fte quon me fait. Nest-il pas convenable quil y ait un ouragan pour cacher notre peuple les misres de notre palais? la nuit ne sera-t-elle pas favorable et bien venue qui cachera ces alles pleines dherbe, ces groupes de tritons vaseux, ces bassins sans eau et ces statues mutiles? Oh! oui, oui, souffle, vent du sud; mugis, tempte; amoncelez-vous, pais nuages; cachez bien tous les yeux ltrange rception que fait la France une fille des Csars, le jour o elle met sa main dans la main de son roi futur!