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Le dauphin, visiblement embarrass, car il ne savait que rpondre ces reproches et surtout cette mlancolie exalte, si loin de son caractre, le dauphin poussa son tour un long soupir.

Je vous afflige, dit Marie-Antoinette; cependant ne croyez pas que ce soit mon orgueil qui parle; oh! non, non! il nen est rien; que ne ma-t-on montr seulement ce Trianon si riant, si ombreux, si fleuri, dont, hlas! lorage effeuille sans piti les bosquets et trouble les eaux; je me fusse contente de ce nid charmant; mais les ruines meffraient, elles rpugnent ma jeunesse, et pourtant que de ruines va faire encore cet affreux ouragan!

Une nouvelle bourrasque, plus terrible encore que la premire, branla le palais. La princesse se leva pouvante.

Oh! mon Dieu! dites-moi quil ny a pas de danger! dites-le-moi, y en et-il Je meurs deffroi!

Il ny en a point, madame. Versailles, bti en terrasse, ne peut attirer la foudre. Si elle tombait, ce serait probablement sur la chapelle, qui a un toit aigu, ou sur le petit chteau, qui offre des asprits. Vous savez que les pointes sollicitent le fluide lectrique, et que les corps plats, au contraire, les repoussent.

Non! scria Marie-Antoinette, je ne sais pas! je ne sais pas!

Louis prit la main de larchiduchesse, main palpitante et glace.

En ce moment, un clair blafard inonda la chambre de ses lueurs livides et violaces; Marie-Antoinette poussa un cri et repoussa le dauphin.

Mais, madame, demanda-t-il, quy a-t-il donc?

Oh! dit-elle, vous mavez apparu la lueur de cet clair ple, dfait, sanglant. Jai cru voir un fantme.

Cest la rflexion du feu de soufre, dit le prince, et je puis vous expliquer

Un effroyable coup de tonnerre, dont les chos se prolongrent en gmissant jusqu ce que, arrivs au point culminant, ils commenassent se perdre dans le lointain, un effroyable coup de tonnerre coupa court lexplication scientifique que le jeune homme allait donner flegmatiquement sa royale pouse.

Allons, madame, dit-il aprs un moment de silence, du courage, je vous prie; laissons ces craintes au vulgaire: lagitation physique est une des conditions de la nature. Il ne faut pas plus sen tonner que du calme; seulement, le calme et lagitation se succdent; le calme est troubl par lagitation, lagitation est refroidie par le calme. Aprs tout, madame, ce nest quun orage, et un orage est un des phnomnes les plus naturels et les plus frquents de la cration. Je ne sais donc pas pourquoi on sen pouvanterait.

Oh! isol, peut-tre ne mpouvanterait-il pas ainsi; mais cet orage, le jour mme de nos noces, ne vous semble-t-il pas un effroyable prsage joint ceux qui me poursuivent depuis mon entre en France?

Que dites-vous, madame? scria le dauphin, mu malgr lui dune terreur superstitieuse; des prsages, dites-vous?

Oui, oui, affreux, sanglants!

Et ces prsages, dites-les, madame; on maccorde, en gnral, un esprit ferme et froid; peut-tre ces prsages qui vous pouvantent, aurai-je le bonheur de les combattre et de les terrasser.

Monsieur, la premire nuit que je passai en France, ctait Strasbourg; on minstalla dans une grande chambre o lon alluma des flambeaux, car il faisait nuit; or, ces flambeaux allums, leur lueur me montra une muraille ruisselante de sang. Jeus cependant le courage dapprocher des parois et dexaminer ces teintes rouges avec plus dattention. Ces murs taient tendus dune tapisserie qui reprsentait le massacre des Innocents. Partout le dsespoir avec des regards dsols, le meurtre avec des yeux flamboyants, partout lclair de la hache ou de lpe, partout des larmes, des cris de mre, des soupirs dagonie semblaient slancer ple-mle de cette muraille prophtique, qui, force de la regarder, me semblait vivante. Oh! glace de terreur, je ne pus dormir Et dites, dites, voyons, ntait-ce pas un triste prsage?

Pour une femme de lAntiquit peut-tre, madame, mais non pour une princesse de notre sicle.

Monsieur, ce sicle est gros de malheurs, ma mre me la dit, comme ce ciel qui senflamme au-dessus de nos ttes est gros de soufre, de feux et de dsolation. Oh! voil pourquoi jai si grand-peur, voil pourquoi tout prsage me semble un avertissement.

Madame, aucun danger ne peut menacer le trne o nous montons; nous vivons, nous autres rois, dans une rgion au-dessus des nuages. La foudre est nos pieds, et, quand elle tombe sur la terre, cest nous qui la lanons.

Hlas! hlas! ce nest point ce qui ma t prdit, monsieur.

Et que vous a-t-on prdit?

Quelque chose daffreux, dpouvantable.

On vous a prdit?

Ou plutt on ma fait voir.

Voir?

Oui, jai vu, vu, vous dis-je, et cette image est reste dans mon esprit, reste si profondment, quil ny a pas de jour o je ne frissonne en y songeant, pas de nuit o je ne la revoie en rve.

Et ne pouvez-vous nous dire ce que vous avez vu? A-t-on exig de vous le silence?

Rien, on na rien exig.

Alors, dites, madame.

coutez, cest impossible dcrire: ctait une machine, leve au-dessus de la terre comme un chafaud, mais cet chafaud sadaptaient comme les deux montants dune chelle, et entre ces deux montants glissait un couteau, un couperet, une hache. Je voyais cela, et, chose trange, je voyais aussi ma tte au-dessous du couteau. Le couteau glissa entre les deux montants, et spara de mon corps ma tte, qui tomba et roula terre. Voil ce que jai vu, monsieur, voil ce que jai vu.

Pure hallucination, madame, dit le dauphin; je connais peu prs tous les instruments de supplice laide desquels on donne la mort, et celui-l nexiste point; rassurez-vous donc.

Hlas! dit Marie-Antoinette, hlas! je ne puis chasser cette odieuse pense. Jy fais ce que je puis cependant.

Vous y parviendrez, madame, dit le dauphin en se rapprochant de sa femme; il y a prs de vous, partir de ce moment, un ami affectueux, un protecteur assidu.

Hlas! rpta Marie-Antoinette en fermant les yeux et en se laissant retomber sur son fauteuil.

Le dauphin se rapprocha encore de la princesse, et elle put sentir le souffle de son mari effleurer sa joue.

En ce moment, la porte par laquelle tait entr le dauphin sentrouvrit doucement, et un regard curieux, avide, le regard de Louis XV, pera la pnombre de cette vaste chambre, que deux bougies demeures seules clairaient peine en coulant flots sur le chandelier de vermeil.

Le vieux roi ouvrait la bouche pour formuler sans doute voix basse un encouragement son petit fils, lorsquun fracas quon ne saurait exprimer retentit dans le palais, accompagn cette fois de lclair qui avait toujours prcd les autres dtonations; en mme temps une colonne de flamme blanche, diapre de vert, se prcipita devant la fentre, faisant clater toutes les vitres et crasant une statue situe sous le balcon; puis, aprs un dchirement pouvantable, elle remonta au ciel et svanouit comme un mtore.

Les deux bougies steignirent, enveloppes par la bouffe de vent qui sengouffra dans la chambre. Le dauphin, pouvant, chancelant, bloui, recula jusqu la muraille, contre laquelle il demeura adoss.

La dauphine, demi vanouie, alla tomber sur les marches de son prie-Dieu et y demeura ensevelie dans la plus mortelle torpeur.

Louis XV, tremblant, crut que la terre allait sabmer sous lui et regagna, suivi de Lebel, ses appartements dserts.

Pendant ce temps, au loin senfuyait comme une vole doiseaux effars, le peuple de Versailles et de Paris, parpill par les jardins, par les routes et par les bois, poursuivi dans toutes les directions par une grle paisse, qui, dchiquetant les fleurs dans le jardin, les feuillages dans la fort, les seigles et les bls dans les champs, les ardoises et les fines sculptures sur les btiments, ajoutait le dgt la dsolation.

La dauphine, le front dans ses mains, priait avec des sanglots.

Le dauphin regardait dun air morne et insensible leau qui ruisselait dans la chambre par les vitres brises et qui refltait sur le parquet, en nappes bleutres, les clairs non interrompus pendant plusieurs heures.