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Cependant, tout ce chaos se dbrouilla au matin; les premiers rayons du jour, glissant sur des nuages cuivrs, dcouvrirent aux yeux les ravages de louragan nocturne.

Versailles ntait plus reconnaissable.

La terre avait bu ce dluge deau; les arbres avaient absorb ce dluge de feu; partout de la fange et des arbres briss, tordus, calcins par ce serpent aux brlantes treintes quon appelle la foudre.

Louis XV, qui navait pu dormir, tant sa terreur tait grande, se fit habiller laurore par Lebel, qui ne lavait point quitt, et retourna par cette mme galerie, o grimaaient honteusement, aux livides lueurs du petit jour, les peintures que nous connaissons, peintures faites pour tre encadres dans les fleurs, les cristaux et les candlabres enflamms.

Louis XV, pour la troisime fois depuis la veille, poussa la porte de la chambre nuptiale, et frissonna en apercevant sur le prie-Dieu, renverse, ple, avec des yeux violacs comme ceux de la sublime Madeleine de Rubens, la future reine de France, dont le sommeil avait enfin suspendu les douleurs, et dont laube azurait la robe blanche avec un religieux respect.

Au fond de la chambre, sur un fauteuil adoss la muraille, reposait, les pieds chausss de soie, tendus dans une mare deau, le dauphin de France, aussi ple que sa jeune pouse, et comme elle ayant la sueur du cauchemar au front.

Le lit nuptial tait comme le roi lavait vu la veille.

Louis XV frona le sourciclass="underline" une douleur quil navait point ressentie encore traversa comme un fer rouge ce front glac par lgosme, alors mme que la dbauche essayait de le rchauffer.

Il secoua la tte, poussa un soupir et rentra dans son appartement, plus sombre et plus effray peut-tre cette heure quil ne lavait t dans la nuit.

Chapitre 66. Andre de Taverney

Le 30 mai suivant, cest--dire le surlendemain de cette effroyable nuit, nuit, comme lavait dit Marie-Antoinette, pleine de prsages et davertissements, Paris clbrait son tour les ftes du mariage de son roi futur. Toute la population, en consquence, se dirigea vers la place Louis XV, o devait tre tir le feu dartifice, ce complment de toute grande solennit publique que le Parisien prend en badinant, mais dont il ne peut se passer.

Lemplacement tait bien choisi. Six cent mille spectateurs y pouvaient circuler laise. Autour de la statue questre de Louis XV, des charpentes avaient t disposes circulairement, de faon permettre la vue du feu tous les spectateurs de la place, en levant ce feu de dix douze pieds au dessus du sol.

Les Parisiens arrivrent, selon leur habitude, par groupes, et cherchrent longtemps les meilleures positions, privilge inattaquable des premiers venus.

Les enfants trouvrent des arbres, les hommes graves des bornes, les femmes des garde-fous, des fosss et des chafaudages mobiles dresss en plein vent par les spculateurs bohmes comme on en trouve toutes les ftes parisiennes, et qui une riche imagination permet de changer de spculation chaque jour.

Vers sept heures du soir, avec les premiers curieux, on vit arriver quelques escouades darchers.

Le service de surveillance ne se fit point par les gardes-franaises, auxquelles le bureau de la ville ne voulut pas accorder la gratification de mille cus demande par le colonel marchal duc de Biron.

Ce rgiment tait la fois craint et aim de la population, prs de laquelle chaque membre de ce corps passait la fois pour un Csar et pour un Mandrin. Les gardes-franaises, terribles sur le champ de bataille, inexorables dans laccomplissement de leurs fonctions, avaient, en temps de paix et hors de service, une affreuse rputation de bandits; en tenue ils taient beaux, vaillants, intraitables, et leurs volutions plaisaient aux femmes et imposaient aux maris. Mais, libres de la consigne, dissmins en simples particuliers dans la foule, ils devenaient la terreur de ceux dont la veille ils avaient fait ladmiration, et perscutaient fort ceux quils allaient protger le lendemain.

Or, la ville, trouvant dans ses vieux ressentiments contre ces coureurs de nuit et ces habitus de tripots une raison de ne pas donner les mille cus aux gardes franaises, la ville, disons-nous, envoya ses seuls archers bourgeois, sous ce prtexte spcieux, du reste, que, dans une fte de famille pareille celle qui se prparait, le gardien ordinaire de la famille devait suffire.

On vit alors les gardes-franaises en cong se mler aux groupes dont nous avons parl, et, licencieux autant quils eussent t svres, causer dans la foule, en leur qualit de bourgeois de gurite, tous les petits dsordres quils eussent rprims de la crosse, des pieds et du coude, voire mme de larrestation, si leur chef, leur Csar Biron, et eu le droit de les appeler ce soir-l soldats.

Les cris des femmes, les grognements des bourgeois, les plaintes des marchands, dont on mangeait gratis les petits gteaux et le pain dpice, prparaient un faux tumulte avant le vrai tumulte qui devait naturellement avoir lieu quand six cent mille curieux seraient runis sur cette place, et ils animaient la scne de manire reproduire, vers les huit heures du soir, sur la place Louis XV, un vaste tableau de Teniers avec des grimaces franaises.

Aprs que les gamins parisiens, la fois les plus presss et les plus paresseux du monde connu, se furent placs ou hisss, que les bourgeois et le peuple eurent pris position, arrivrent les voitures de la noblesse et de la finance.

Aucun itinraire navait t trac; elles dbouchrent donc sans ordre par les rues de la Madeleine et Saint-Honor, amenant aux btiments neufs ceux qui avaient reu des invitations pour les fentres et les balcons du gouverneur, fentres et balcons do lon devait voir le feu admirablement.

Ceux des gens voiture qui navaient pas dinvitation laissrent leurs carrosses au tournant de la place et se mlrent pied, prcds de leurs valets, la foule serre dj, mais qui laisse toujours de la place quiconque sait la conqurir.

Il tait curieux de voir avec quelle sagacit ces curieux savaient dans la nuit aider leur marche ambitieuse de chaque ingalit de terrain. La rue trs large, mais non encore acheve, qui devait sappeler rue Royale, tait coupe et l de fosss profonds au bord desquels on avait entass des dcombres et des terres de fouille. Chacune de ces petites minences avait son groupe, pareil un flot plus lev au milieu de cette mer humaine.

De temps en temps, le flot, pouss par les autres flots, scroulait au milieu des rires de la multitude encore assez peu presse pour quil ny et point de danger de pareilles chutes, et pour que ceux qui taient tombs pussent se relever.

Vers huit heures et demie, tous les regards, divergents jusque-l, commencrent se braquer dans la mme direction et se fixrent sur la charpente du feu dartifice. Ce fut alors que les coudes, jouant sans relche, commencrent maintenir srieusement lintgrit de la possession du terrain contre les envahisseurs sans cesse renaissants.

Ce feu dartifice, combin par Ruggieri, tait destin rivaliser, rivalit que lorage de la surveille avait rendue facile, tait destin rivaliser, disons-nous, avec le feu dartifice excut Versailles par lingnieur Torre. On savait Paris que lon avait peu profit Versailles de la libralit royale, qui avait accord cinquante mille livres pour ce feu, puisquaux premires fuses, ce feu avait t teint par la pluie, et, comme le temps tait beau le soir du 30 mai, les Parisiens jouissaient davance de leur triomphe assur sur leurs voisins les Versaillais.

Dailleurs, Paris attendait beaucoup mieux de la vieille popularit de Ruggieri que de la nouvelle rputation de Torre.

Au reste, le plan de Ruggieri, moins capricieux et moins vague que celui de son confrre, accusait des intentions pyrotechniques dun ordre tout fait distingu: lallgorie, reine de cette poque, sy mariait au style architectonique le plus gracieux; la charpente figurait ce vieux temple de lHymen qui, chez les Franais, rivalise de jeunesse avec le temple de la Gloire: il tait soutenu par une colonnade gigantesque, et entour dun parapet aux angles duquel des dauphins, gueule bante, nattendaient que le signal pour vomir des torrents de flammes. En face des dauphins slevaient, majestueux et guinds, sur leurs urnes, la Loire, le Rhne, la Seine et le Rhin, ce fleuve que nous nous obstinons naturaliser franais malgr tout le monde, et, sil faut en croire les chants modernes de nos amis les Allemands, malgr lui-mme; tous quatre nous parlons des fleuves tous quatre, disons-nous, prts pancher, au lieu de leurs eaux, le feu bleu, blanc, vert et rose au moment o devait senflammer la colonnade.