Выбрать главу

Andre baissa les yeux, et Philippe, lui prenant la main:

M. le baron a raison, dit-il, vous tes bien tout ce quil dit, Andre, et nulle ne sera plus digne que vous dentrer Versailles.

Mais je serai spare de vous, rpliqua Andre.

Pas du tout, pas du tout, interrompit le baron; Versailles est grand, ma chre.

Oui, mais Trianon est petit, riposta Andre, fire et peu maniable lorsquon sobstinait avec elle.

Trianon sera toujours assez grand pour fournir une chambre M. de Taverney. Un homme comme moi se loge toujours, ajouta-t-il avec une modestie qui signifiait: sait toujours se loger.

Andre, peu rassure par cette proximit de son pre, se tourna vers Philippe.

Ma sur, dit celui-ci, vous ne ferez sans doute pas partie de ce quon appelle la cour. Au lieu de vous mettre dans un couvent o elle payerait votre dot, madame la dauphine, qui a bien voulu vous distinguer, vous tiendra prs delle avec un emploi quelconque. Aujourdhui, ltiquette nest pas impitoyable comme au temps de Louis XIV; il y a fusion et divisibilit dans les charges. Vous pourrez servir la dauphine de lectrice ou de dame de compagnie; elle dessinera avec vous, elle vous tiendra toujours prs delle; on ne vous verra jamais, cest possible; mais vous ne relverez pas moins de sa protection immdiate, et, comme telle, vous inspirerez beaucoup denvie. Voil ce que vous craignez, nest-ce pas?

Oui, mon frre.

la bonne heure, dit le baron; mais ne nous affligeons pas pour si peu quun ou deux envieux Rtablissez-vous donc bien vite, Andre, et jaurai le plaisir de vous conduire Trianon moi-mme. Cest lordre de madame la dauphine.

Cest bien; jirai, mon pre.

propos, continua le baron, vous tes en argent, Philippe?

Si vous en avez besoin, monsieur, rpliqua le jeune homme, je nen aurais pas assez pour vous en offrir; mais, si vous me faites une offre, au contraire, je puis vous rpondre quil men reste assez pour moi.

Cest vrai, tu es philosophe, toi, dit le baron en ricanant. Et toi, Andre, es-tu philosophe aussi, et ne demandes-tu rien, ou as-tu besoin de quelque chose?

Je craindrais de vous gner, mon pre.

Oh! nous ne sommes plus Taverney, ici. Le roi ma fait remettre cinq cents louis compte, a dit Sa Majest. Songe tes toilettes, Andre.

Merci, mon pre, rpliqua la jeune fille joyeuse.

L, l! dit le baron, voil les extrmes. Tout lheure, elle ne voulait rien; maintenant, elle ruinerait un empereur de Chine. Oh! mais nimporte, demande; les belles robes tiront bien, Andre.

L-dessus, et aprs un baiser trs tendre, le baron ouvrit la porte dune chambre qui sparait la sienne de celle de sa fille, et disparut en disant:

Cette damne Nicole, qui nest point l pour mclairer!

Voulez-vous que je la sonne, mon pre?

Non, jai La Brie, qui dort sur quelque fauteuil; bonsoir, mes enfants.

Philippe stait lev de son ct.

Bonsoir aussi, mon frre, fit Andre, je suis brise de fatigue. Voil la premire fois que je parle autant depuis mon accident. Bonsoir, cher Philippe.

Et elle donna sa main au jeune homme, qui la baisa fraternellement, mais en mlant cette fraternit une sorte de respect quil avait toujours eu pour sa sur, et qui partit en effleurant dans le corridor la portire derrire laquelle tait cach Gilbert.

Voulez-vous que jappelle Nicole? dit-il son tour en sloignant.

Non, non, cria Andre, je me dferai seule. Adieu, Philippe.

Chapitre 74. Ce quavait prvu Gilbert

Andre, reste seule, se souleva sur sa chaise, et un frisson passa dans tout le corps de Gilbert.

La jeune fille tait debout; de ses mains blanches comme lalbtre, elle dtachait une une les pingles de sa coiffure, tandis que le lger peignoir qui la couvrait, glissant de ses paules, dcouvrait son cou si pur et si gracieux, sa poitrine encore palpitante, et ses bras qui, nonchalamment arrondis sur sa tte, foraient la cambrure de ses reins au profit dune gorge exquise frmissant sous la batiste.

Gilbert, genoux, haletant, ivre, sentait le sang battre furieusement son front et son cur. Des flots embrass circulaient dans ses artres, un nuage de flammes descendait sur sa vue, un murmure inconnu et fbrile bourdonnait ses oreilles; il touchait ce moment dgarement farouche qui prcipite les hommes dans le gouffre de la folie. Il allait franchir le seuil de la chambre dAndre en criant:

Oh! oui, tu es belle, tu es belle! mais ne sois pas si fire de ta beaut, car tu me la dois, car je tai sauv la vie!

Tout coup, un nud de la ceinture embarrassa Andre; elle sirrita, frappa du pied, sassit tout en dsordre sur un lit de repos, comme si le lger obstacle quelle venait de rencontrer avait suffi pour briser ses forces, et, se penchant demi nue vers le cordon de la sonnette, elle lui imprima une impatiente secousse.

Ce bruit rappela Gilbert la raison. Nicole avait laiss la porte ouverte pour entendre. Nicole allait venir.

Adieu le rve, adieu le bonheur; plus rien quune image, plus rien quun souvenir ternellement brlant dans limagination, ternellement prsent au fond du cur.

Gilbert voulut slancer hors du pavillon; mais le baron, entrant, avait attir lui les portes du corridor. Gilbert, qui ignorait cet obstacle, fut quelques secondes les ouvrir.

Au moment o il entrait dans la chambre de Nicole, Nicole arrivait. Le jeune homme entendit craquer sous ses pas le sable du jardin. Il neut que le temps de seffacer dans lombre pour laisser passer la jeune fille, qui traversa lantichambre aprs en avoir ferm la porte, et slana dans le corridor lgre comme un oiseau.

Gilbert gagna lantichambre et essaya de sortir.

Mais Nicole, tout en accourant et en criant: Me voil, me voil, mademoiselle! je ferme la porte! Nicole fermait la porte effectivement, et non seulement la fermait double tour, mais encore, dans son trouble, mettait la clef dans sa poche.

Gilbert essaya donc inutilement de rouvrir la porte: il eut recours aux fentres. Les fentres taient grilles; au bout de cinq minutes dinvestigations, Gilbert comprit quil lui tait impossible de sortir.

Le jeune homme se tapit dans un coin, arm de cette rsolution bien arrte de se faire ouvrir la porte par Nicole.

Quant celle-ci, aprs avoir donn son absence ce prtexte plausible davoir t fermer les chssis de la serre, de peur que lair de la nuit ne ft mal aux fleurs de mademoiselle, elle acheva de dshabiller Andre et de la mettre au lit.

Il y avait bien dans la voix de Nicole un frmissement, il y avait bien dans ses mains une agitation, il y avait bien dans son service un empressement qui ntaient pas ordinaires et qui dnonaient un reste dmotion; mais Andre, du ciel placide o planaient ses ides, regardait rarement sur la terre et, quand elle y regardait, les tres infrieurs apparaissaient comme des atomes ses yeux.

Elle ne saperut donc de rien.

Gilbert bouillait dimpatience depuis que la retraite lui tait ferme. Il naspirait plus qu la libert.

Andre congdia Nicole aprs une courte causerie dans laquelle Nicole dploya toute la clinerie dune soubrette qui a des remords.

Elle borda la couverture de sa matresse, baissa la lampe, sucra dans le gobelet dargent la boisson tidie sur la veilleuse dalbtre, souhaita de sa plus douce voix un gracieux bonsoir sa matresse, et sortit de la chambre sur la pointe du pied.

En sortant, elle ferma la porte vitre.

Puis, tout en chantonnant pour faire croire la tranquillit de son esprit, elle traversa sa chambre et savana vers la porte du jardin.

Gilbert comprit lintention de Nicole, et un instant il se demanda si, au lieu de se faire reconnatre, il ne sortirait point par surprise, profitant du moment o la porte serait entrouverte pour fuir; mais alors il serait vu sans tre reconnu; il serait pris pour un voleur, Nicole crierait au secours, il naurait pas le temps de regagner sa corde, et, la regagnt-il, il serait vu dans sa fuite arienne, ce qui dnoncerait sa retraite et ferait scandale, scandale qui ne pouvait manquer dtre grand chez des gens aussi mal intentionns que ltaient les Taverney pour le pauvre Gilbert.