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Comtesse, comtesse! je commence croire, non pas que vous tes folle, mais ingrate.

Non, je ne suis ni folle ni ingrate, je suis

Eh bien, voyons, qutes-vous?

Je suis colre, monsieur le duc.

Ah! vraiment.

Cela vous tonne?

Pas le moins du monde, comtesse; et, sur mon honneur, il y a bien de quoi.

Tenez, voil ce qui me rvolte en vous, marchal.

Il y a quelque chose qui vous rvolte en moi, comtesse?

Oui.

Et quelle est cette chose, sil vous plat? Je suis bien vieux, et cependant il ny a pas defforts que je ne fasse pour vous plaire.

Cette chose, cest que vous ne savez pas seulement ce dont il sagit, marchal.

Oh! que si fait.

Vous savez ce qui me crispe?

Sans doute: Zamore a cass la fontaine chinoise.

Un sourire imperceptible effleura les lvres de la jeune femme; mais Zamore, qui se sentait coupable, baissa la tte avec humilit, comme si le ciel et t gros dun nuage de soufflets et de chiquenaudes.

Oui, dit la comtesse avec un soupir, oui, duc vous avez raison; cest cela, et vous tes en vrit un trs fin politique.

On me la toujours dit, madame, rpondit M. de Richelieu dun air tout confit de modestie.

Oh! je nai pas besoin quon me le dise pour le voir, duc; et vous avez trouv la raison mon ennui, comme cela, tout de suite, sans chercher ni droite, ni gauche: cest superbe!

Parfaitement; mais cependant ce nest pas tout.

Ah! vraiment.

Non. Je devine encore autre chose.

Vraiment?

Oui.

Et que devinez-vous?

Je devine que vous attendiez hier au soir Sa Majest.

O cela?

Ici.

Eh bien, aprs?

Et que Sa Majest nest pas venue.

La comtesse rougit et se releva un peu sur le coude.

Ah, ah! fit-elle.

Et cependant, dit le duc, jarrive de Paris.

Quest-ce que cela prouve?

Que je pourrais ne rien savoir de ce qui sest pass Versailles, pardieu! et cependant

Duc, mon cher duc, vous tes plein de rticences aujourdhui. Que diable! quand on a commenc, on achve; ou bien lon ne commence pas.

Vous en parlez fort votre aise, comtesse. Laissez-moi reprendre haleine, au moins. O en tais-je?

Vous en tiez cependant.

Ah! oui, cest vrai, et cependant, non seulement je sais que Sa Majest nest pas venue, mais encore je devine pourquoi elle nest pas venue.

Duc, jai toujours pens part moi que vous tiez sorcier; seulement, il me manquait une preuve.

Eh bien, cette preuve, je vais vous la donner.

La comtesse, qui attachait la conversation beaucoup plus dintrt quelle ne voulait paratre en attacher, abandonna la tte de Zamore, dont ses doigts blancs et fins fourrageaient la chevelure.

Donnez, duc, donnez, dit-elle.

Devant M. le gouverneur? dit le duc.

Disparaissez, Zamore, fit la comtesse au ngrillon, qui, fou de joie, slana dun seul bond du boudoir a lantichambre.

la bonne heure, murmura Richelieu; mais il faut donc tout vous dire, comtesse?

Comment, ce singe de Zamore vous gnait, duc!

Pour dire la vrit, comtesse, quelquun me gne toujours.

Oui, quelquun, je comprends; mais Zamore est-il quelquun?

Zamore nest pas aveugle, Zamore nest pas sourd, Zamore nest pas muet; cest donc quelquun. Or, je dcore de ce nom quiconque est mon gal en yeux, en oreilles et en langue, cest--dire quiconque peut voir ce que je fais, entendre ou rpter ce que je dis, enfin quiconque peut me trahir. Cette thorie pose, je continue.

Oui, continuez, duc, vous me ferez plaisir.

Plaisir, je ne crois pas, comtesse; nimporte, je dois continuer. Le roi visitait donc hier Trianon.

Le petit ou le grand?

Le petit. Madame la dauphine tait son bras.

Ah!

Et madame la dauphine, qui est charmante, comme vous savez

Hlas!

Lui faisait tant de cajoleries, de petit papa par-ci, de grand papa par-l, que Sa Majest, dont le cur est dor, ny put rsister, de sorte que le souper a suivi la promenade, que les jeux innocents ont suivi le souper. Enfin

Enfin, dit madame du Barry ple dimpatience, enfin le roi nest pas venu Luciennes, nest-ce pas, voil ce que vous voulez dire?

Eh bien, mon Dieu, oui.

Cest tout simple, Sa Majest avait l-bas tout ce quelle aime.

Ah! non point, et vous tes loin de penser un seul mot de ce que vous dites; tout ce qui lui plat, tout au plus.

Cest bien pis, duc, prenez garde: souper, causer, jouer, cest tout ce quil lui faut. Et avec qui a-t-il jou?

Avec M. de Choiseul.

La comtesse fit un mouvement dirritation.

Voulez-vous que nous nen parlions pas, comtesse? reprit Richelieu.

Au contraire, monsieur, parlons-en.

Vous tes aussi courageuse que spirituelle, madame; attaquons donc le taureau par les cornes, comme disent les Espagnols.

Voil un proverbe que madame de Choiseul ne vous pardonnerait pas, duc.

Il ne lui est pas applicable cependant. Je disais donc, madame, que M. de Choiseul, puisquil faut lappeler par son nom, tint les cartes, et avec tant de bonheur, tant dadresse

Quil gagna?

Non pas, quil perdit, et que Sa Majest gagna mille louis au piquet, jeu o Sa Majest a beaucoup damour-propre, attendu quelle le joue fort mal.

Oh! le Choiseul! le Choiseul! murmura madame du Barry. Et madame de Grammont, elle en tait, nest-ce pas?

Cest--dire, comtesse, quelle tait sur son dpart.

La duchesse?

Oui, elle fait une sottise, je crois.

Laquelle?

Voyant quon ne la perscute pas, elle boude; voyant quon ne lexile pas, elle sexile elle-mme.

O cela?

En province.

Elle va intriguer.

Parbleu! Que voulez-vous quelle fasse? Donc, tant sur son dpart, elle a tout naturellement voulu saluer la dauphine, qui naturellement laime beaucoup. Voil pourquoi elle tait Trianon.

Au grand?

Sans doute, le petit nest pas encore meubl.

Ah! madame la dauphine, en sentourant de tous ces Choiseul, montre bien quel parti elle veut embrasser.

Non, comtesse, nexagrons pas; car enfin, demain la duchesse sera partie.

Et le roi sest amus l o je ntais pas! scria la comtesse avec une indignation qui ntait pas exempte dune certaine terreur.

Mon Dieu! oui; cest incroyable, mais cependant cela est ainsi, comtesse. Voyons, quen concluez-vous?

Que vous tes bien inform, duc.

Et voil tout?

Non pas.

Achevez donc.

Jen conclus encore que, de gr ou de force, il faut tirer le roi des griffes de ces Choiseul, ou nous sommes perdus.

Hlas!

Pardon, reprit la comtesse; je dis nous, mais tranquillisez-vous, duc, cela ne sapplique qu la famille.

Et aux amis, comtesse; permettez-moi donc ce titre den prendre ma part. Ainsi donc

Ainsi donc, vous tes de mes amis?

Je croyais vous lavoir dit, madame.

Ce nest point assez.

Je croyais vous lavoir prouv.

Cest mieux, et vous maiderez?

De tout mon pouvoir, comtesse; mais

Mais quoi?

Luvre est bien difficile, je ne vous le cache point.

Sont-ils donc indracinables, ces Choiseul?

Ils sont vigoureusement plants, du moins.

Vous croyez, vous?

Je le crois.

Ainsi, quoi quen dise le bonhomme La Fontaine, il ny a contre ce chne ni vent ni orage.

Cest un grand gnie que ce ministre.

Bon! voil que vous parlez comme les encyclopdistes, vous.

Ne suis-je pas de lAcadmie?

Oh! vous en tes si peu, duc.

Cest vrai, et vous avez raison; cest mon secrtaire qui en est, et non pas moi. Mais je nen persiste pas moins dans mon opinion.

Que M. de Choiseul est un gnie?

Eh! oui.

Mais en quoi clate-t-il donc, ce grand gnie? Voyons.

En ceci, madame: quil a fait une telle affaire des parlements et des Anglais, que le roi ne peut plus se passer de lui.