Il en rsulte quelle parlera bien. Jai dj remarqu, dit M. de Choiseul, que Son Altesse royale est accomplie et na rien faire pour se perfectionner.
Chemin faisant, les deux voyageurs trouvrent M. le dauphin arrt sur une pelouse et qui prenait la hauteur du soleil.
M. de Choiseul sinclina fort bas, et, comme le dauphin ne lui parla pas, il ne parla pas non plus au dauphin.
Le roi dit assez haut pour tre entendu de son petit-fils:
Louis est un savant, et il a bien tort de se casser la tte des sciences, sa femme en souffrira.
Non pas, rpliqua une douce voix de femme sortie dun buisson.
Et le roi vit accourir lui la dauphine, qui causait avec un homme farci de papiers, de compas et de crayons.
Sire, dit la princesse, M. Mique, mon architecte.
Ah! fit le roi, vous avez aussi cette maladie, madame?
Sire, cest une maladie de famille.
Vous allez faire btir?
Je vais faire meubler ce grand parc, dans lequel tout le monde sennuie.
Oh! oh! ma fille, vous dites cela bien haut; le dauphin pourrait vous entendre.
Cest chose convenue entre nous, mon pre, rpliqua la princesse.
De vous ennuyer?
Non, mais de chercher nous divertir.
Et Votre Altesse royale veut faire btir? dit M. de Choiseul.
De ce parc, monsieur le duc, je veux faire un jardin.
Ah! ce pauvre Le Ntre! dit le roi.
Le Ntre tait un grand homme, sire, pour ce que lon aimait alors, mais pour ce que jaime
Quaimez-vous, madame?
La nature.
Ah! comme les philosophes.
Ou comme les Anglais.
Bon! dites cela devant Choiseul, vous allez avoir une dclaration de guerre. Il va vous lcher les soixante-quatre vaisseaux et les quarante frgates de M. de Praslin, son cousin.
Sire, dit la dauphine, je ferai dessiner un jardin naturel par M. Robert, le plus habile homme du monde pour ces sortes de plans.
Quappelez-vous jardins naturels? dit le roi. Je croyais que des arbres et des fleurs, voire mme des fruits, comme ceux que jai cueillis en passant, taient des choses naturelles.
Sire, vous vous promneriez cent ans chez vous, que vous verriez toujours des alles droites, ou des massifs taills angle de quarante-cinq degrs, comme dit M. le dauphin, ou des pices deau maries des gazons, lesquels sont maris des perspectives, ou des quinconces, ou des terrasses.
Eh bien, cest donc laid, cela?
Ce nest pas naturel.
Que voil une petite fille qui aime la nature! dit le roi avec un air plus jovial que joyeux. Voyons ce que vous ferez de mon Trianon.
Des rivires, des cascades, des ponts, des grottes, des rochers, des bois, des ravins, des maisons, des montagnes, des prairies.
Pour des poupes? dit le roi.
Hlas! sire, pour des rois tels que nous serons, rpliqua la princesse sans remarquer la rougeur qui couvrit les joues de son aeul, et sans remarquer quelle se prsageait elle-mme une lugubre vrit.
Alors, vous bouleverserez; mais qudifierez-vous?
Je conserve.
Ah! cest encore heureux que, dans ces bois et dans ces rivires, vous ne fassiez pas loger vos gens comme des Hurons, des Esquimaux ou des Groenlandais. Ils auraient l une vie naturelle, et M. Rousseau les appellerait les enfants de la nature Faites cela, ma fille, et vous serez adore des encyclopdistes.
Sire, mes serviteurs auraient trop froid dans ces habitations-l.
O les logerez-vous donc, si vous dtruisez tout? Ce ne sera pas dans le palais: peine y a-t-il place pour vous deux.
Sire, je garde les communs tels quils sont.
Et la dauphine indiqua les fentres de ce corridor que nous avons dcrit.
Qui est-ce que jy vois? dit le roi en se mettant une main sur les yeux en guise de garde-vue.
Une femme, sire, dit M. de Choiseul.
Une demoiselle que je prends chez moi, rpliqua la dauphine.
Mademoiselle de Taverney, fit Choiseul avec sa vue perante.
Ah! dit le roi; tiens, vous avez ici les Taverney?
Mademoiselle de Taverney seulement, sire.
Charmante fille Vous en faites?
Ma lectrice.
Trs bien, dit le roi sans quitter de lil la fentre grille par laquelle regardait, fort innocemment et sans se douter quon lobservait, mademoiselle de Taverney, ple encore de sa maladie.
Comme elle est ple! dit M. de Choiseul.
Elle a failli tre touffe le 31 mai, monsieur le duc.
Vrai? Pauvre fille! dit le roi. Ce M. Bignon mritait sa disgrce.
Elle est rtablie? dit M. de Choiseul trs vite.
Dieu merci, monsieur le duc.
Ah! fit le roi, elle se sauve.
Elle aura reconnu Votre Majest, et elle est timide.
Vous lavez depuis longtemps?
Depuis hier, sire; en minstallant, je lai fait venir.
Triste habitation pour une jolie fille, dit Louis XV; ce diable de Gabriel tait bien maladroit: il na pas pens que les arbres, en grandissant, borgneraient ce btiment des communs, et quon ny verrait plus clair.
Mais non, sire, je vous jure que le logement est supportable.
Ce nest pas possible, dit Louis XV.
Votre Majest veut-elle sen assurer? dit la dauphine jalouse de faire les honneurs de chez elle.
Soit. Venez-vous, Choiseul?
Sire, il est deux heures. Jai un conseil de parlement deux heures et demie. Le temps de retourner Versailles
Eh bien, allez, duc, allez, et secouez-moi les robes noires. Dauphine, montrez-moi les petits logements, sil vous plat. Je raffole des intrieurs.
Venez, monsieur Mique, dit la dauphine son architecte, vous aurez loccasion de recevoir quelques avis de Sa Majest qui sentend si bien tout.
Le roi marcha le premier, la dauphine le suivit.
Ils montrent le petit perron qui conduit la chapelle, laissant de ct le passage des cours.
La porte de la chapelle est gauche; de lautre ct, lescalier droit et simple, qui mne au corridor des logements.
Qui demeure ici? demanda Louis XV.
Mais personne encore, sire.
Voil une clef sur la porte du premier logement.
Ah! cest vrai, mademoiselle de Taverney se meuble aujourdhui et emmnage.
Ici? fit le roi en dsignant la porte.
Oui, sire.
Et elle est chez elle? Nentrons pas, alors.
Sire, elle vient de descendre; je lai vue sous lauvent de la petite cour des cuisines.
Alors, montrez-moi ses logements comme chantillon.
votre dsir, rpliqua la dauphine.
Et elle introduisit le roi dans lunique chambre, prcde dune antichambre et de deux cabinets.
Quelques meubles dj rangs, des livres, un clavecin, attirrent lattention du roi, et surtout un norme bouquet des plus belles fleurs, que mademoiselle de Taverney avait dj mis dans une potiche du Japon.
Ah! dit le roi, les belles fleurs! et vous voulez changer de jardin Qui diable fournit vos gens de fleurs pareilles? En garde-t-on pour vous?
En effet, voil un beau bouquet.
Le jardinier soigne mademoiselle de Taverney Qui est jardinier ici?
Je ne sais, sire. M. de Jussieu se charge de me les fournir.
Le roi donna un coup dil curieux tout le logement, regarda encore lextrieur, dans les cours, et se retira.
Sa Majest traversa le parc et revint au Grand Trianon; ses quipages lattendaient pour une chasse en carrosse aprs le dner, de trois six heures du soir.
Le dauphin mesurait toujours le soleil.
Chapitre 81. La conspiration se renoue
Tandis que le roi, pour bien rassurer M. de Choiseul et ne pas perdre son temps lui-mme, se promenait ainsi dans Trianon en attendant la chasse, Luciennes tait le centre dune runion de conspirateurs effars qui arrivaient tire-daile auprs de madame du Barry, comme des oiseaux qui ont senti la poudre du chasseur.