Et un fort bel homme. Jai un caprice pour cet homme-l, duc
Vous allez me rendre jaloux, dit Richelieu en riant et press dailleurs de ramener la conversation un srieux plus prononc Ce serait un terrible ministre de la police que M. le comte de Fnix.
Jy songeais, rpliqua la comtesse. Seulement, il est impossible.
Pourquoi, comtesse?
Parce quil rendrait impossibles ses collgues.
Comment cela?
Sachant tout, voyant dans leur jeu
Richelieu rougit sous son rouge.
Comtesse, rpliqua-t-il, je voudrais, si jtais son collgue, quil ft perptuellement dans le mien et quil vous communiqut les cartes: vous y verriez toujours le valet de cur aux genoux de la dame et aux pieds du roi.
Il ny a personne qui ait plus desprit que vous, mon cher duc, rpliqua la comtesse. Mais parlons un peu de notre ministre Je croyais que vous aviez d faire avertir votre neveu?
DAiguillon? Il est arriv, madame, et dans des conjonctures quun augure romain et juges les meilleures du monde: son carrosse a crois celui de M. de Choiseul partant.
Cest, en effet, dun augure favorable, dit la comtesse. Donc, il va venir?
Madame, jai compris que M. dAiguillon, sil tait vu Luciennes par tout le monde et dans un moment comme celui-ci, donnerait lieu toutes sortes de commentaires; je lai pri de demeurer en bas, au village, jusqu ce que je le mande daprs vos ordres.
Mandez-le donc, marchal, et tout de suite; car nous voil seuls, ou peu prs.
Dautant plus volontiers que nous nous sommes tout fait entendus, nest-ce pas, comtesse?
Absolument, oui, duc Vous prfrez la Guerre aux Finances, nest-ce pas? Ou bien, est-ce la Marine que vous dsirez?
Je prfre la Guerre, madame; cest l que je pourrai rendre le plus de services.
Cest juste. Voil donc le sens dans lequel je parlerai au roi. Vous navez pas dantipathies?
Pour qui?
Pour ceux de vos collgues que Sa Majest prsentera.
Je suis lhomme du monde le moins difficile vivre, comtesse. Mais vous permettez que je fasse appeler mon neveu, puisque vous voulez bien lui accorder la faveur de le recevoir.
Richelieu sapprocha de la fentre; les dernires lueurs du crpuscule clairaient encore la cour. Il fit signe un de ses valets de pied, qui guettait cette fentre, et qui partit en courant sur son signe.
Cependant, on commenait allumer chez la comtesse.
Dix minutes aprs le dpart du valet, une voiture entra dans la premire cour. La comtesse tourna vivement les yeux vers la fentre.
Richelieu surprit le mouvement, qui lui parut un excellent pronostic pour les affaires de M. dAiguillon, et, par consquent, pour les siennes.
Elle gote loncle, se dit-il, elle prend got au neveu; nous serons les matres ici.
Tandis quil se repaissait de ces fumes chimriques, un petit bruit se fit entendre la porte, et la voix du valet de chambre de confiance annona le duc dAiguillon.
Ctait un seigneur fort beau et fort gracieux, dune mise aussi riche qulgante et bien entendue. M. dAiguillon avait pass lge de la frache jeunesse; mais il tait de ces hommes qui, par le regard et la volont, sont jeunes jusqu la vieillesse dcrpite.
Les soucis du gouvernement navaient pas imprim une ride sur son front. Ils avaient seulement agrandi le pli naturel qui semble, chez les hommes dtat et chez les potes, lasile des grandes penses. Il tenait droite et haute sa belle tte pleine de finesse et de mlancolie, comme sil savait que la haine de dix millions dhommes pesait sur cette tte, mais comme si, en mme temps, il et voulu prouver que le poids ntait pas au-dessus de sa force.
M. dAiguillon avait les plus belles mains du monde, de ces mains qui semblent blanches et dlicates, mme dans les flots de la dentelle. On prisait fort en ce temps une jambe bien tourne; celle du duc tait un modle dlgance nerveuse et de forme aristocratique. Il y avait en lui de la suavit du pote, de la noblesse du grand seigneur, de la souplesse et du moelleux dun mousquetaire. Pour la comtesse, ctait un triple idaclass="underline" elle trouvait en un seul modle trois types que dinstinct cette belle sensuelle devait aimer.
Par une singularit remarquable, ou, pour mieux dire, par un enchanement de circonstances combines par la savante tactique de M. dAiguillon, ces deux hros de lanimadversion publique, la courtisane et le courtisan, ne staient pas encore vus face face, avec tous leurs avantages.
Depuis trois ans, en effet, M. dAiguillon stait fait trs occup en Bretagne ou dans son cabinet. Il avait peu prodigu sa personne la cour, sachant bien quil allait arriver une crise favorable ou dfavorable: que, dans le premier cas, mieux fallait offrir ses administrs les bnfices de linconnu; dans le second, disparatre sans trop laisser de traces pour pouvoir facilement sortir du gouffre plus tard avec une figure neuve.
Et puis une autre raison dominait tous ces calculs; celle-ci est du ressort du roman, elle tait pourtant la meilleure.
Avant que madame du Barry ft comtesse et effleurt chaque nuit de ses lvres la couronne de France, elle avait t une jolie crature souriante et adore; elle avait t aime, bonheur sur lequel elle ne devait plus compter jamais depuis quelle tait crainte.
Parmi tous les hommes jeunes, riches, puissants et beaux qui avaient fait leur cour Jeanne Vaubernier, parmi tous les rimeurs qui avaient accol au bout de deux vers ces mots Lange et ange, M. le duc dAiguillon avait autrefois figur en premire ligne. Mais, soit que le duc net pas t press, soit que mademoiselle Lange net pas t aussi facile que ses dtracteurs le prtendaient, soit quenfin, et ceci ntera de mrite ni lun ni lautre, soit que lamour subit du roi et divis les deux curs prts sentendre, M. dAiguillon avait rengain vers, acrostiches, bouquets et parfums; mademoiselle Lange avait ferm sa porte de la rue des Petits-Champs; le duc avait tir vers la Bretagne, touffant ses soupirs, et mademoiselle Lange avait envoy tous les siens du ct de Versailles, M. le baron de Gonesse, cest--dire au roi de France.
Il en rsulta que cette disparition subite de dAiguillon avait fort peu occup dabord madame du Barry, parce quelle avait peur du pass, mais quensuite, voyant lattitude silencieuse de son ancien adorateur, elle avait t intrigue, puis merveille, et que, bien place pour juger les hommes, elle avait jug celui-l un vritable homme desprit.
Ctait beaucoup, cette distinction, pour la comtesse; mais ce ntait pas tout, et le moment allait venir o peut-tre elle jugerait dAiguillon un homme de cur.
Il faut dire que la pauvre mademoiselle Lange avait ses raisons pour craindre le pass. Un mousquetaire, amant jadis heureux, disait-il, tait entr un jour jusque dans Versailles pour redemander mademoiselle Lange un peu de ses faveurs passes, et ces paroles, touffes bien vite par une hauteur toute royale, nen avaient pas moins fait jurer lcho pudique du palais de madame de Maintenon.
On a vu que, dans toute sa conversation avec madame du Barry, le marchal navait jamais effleur le chapitre dune connaissance de son neveu et de mademoiselle Lange. Ce silence, de la part dun homme aussi habitu que le vieux duc dire les choses du monde les plus difficiles, avait profondment surpris, et, faut-il le dire, inquit la comtesse.
Elle attendait donc impatiemment M. dAiguillon pour savoir enfin quoi sen tenir, et si le marchal avait t discret, ou tait ignorant.
Le duc entra.
Respectueux avec aisance et assez sr de lui pour saluer entre la reine et la femme de cour ordinaire, il subjugua tout dun coup, par cette nuance dlicate, une protectrice toute dispose trouver le bien parfait et le parfait merveilleux.
M. dAiguillon prit ensuite la main de son oncle qui, savanant vers la comtesse, lui dit de sa voix pleine de caresses:
Voici M. le duc dAiguillon, madame: ce nest pas mon neveu, cest un de vos serviteurs les plus passionns que jai lhonneur de vous prsenter.