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Vous les hassez donc bien?

Qui?

Les Richelieu.

Je les excre.

Tous?

Tous. Voil-t-il pas un beau duc et pair que M. Fronsac; il a dix fois mrit la roue.

Je vous le livre; mais il y a encore des Richelieu de par le monde.

Ah! oui, dAiguillon.

Eh bien?

On juge si, ces mots, loreille du neveu tait droite dans le boudoir.

Celui-l, je devrais le har plus que les autres, car il me met sur les bras tout ce quil y a de braillards en France; mais cest un faible dont je ne puis me gurir, il est hardi et ne me dplat pas.

Cest un homme desprit, scria la comtesse.

Un homme courageux et pre dfendre la prrogative royale. Voil un vrai pair!

Oui, oui, cent fois oui! Faites-en quelque chose.

Alors le roi regarda la comtesse en se croisant les bras:

Comment se peut-il, comtesse, que vous me proposiez une chose pareille au moment o toute la France me demande dexiler et de dgrader le duc?

Madame du Barry se croisa les bras son tour.

Tout lheure, dit-elle, vous appeliez Richelieu une poule mouille; eh bien, cest vous que ce nom revient de droit.

Oh! comtesse

Vous voil bien fier, parce que vous avez renvoy M. de Choiseul.

Eh! ce ntait pas ais.

Vous lavez fait, cest bien! et, prsent, vous reculez devant les consquences.

Moi?

Sans doute. Que faites-vous en renvoyant le duc?

Je donne un coup de pied au derrire du parlement.

Et vous nen voulez pas donner deux! Que diable! levez les deux jambes, lune aprs lautre, bien entendu. Le parlement voulait garder Choiseul; renvoyez Choiseul. Il veut renvoyer dAiguillon; gardez dAiguillon.

Je ne le renvoie pas.

Gardez-le, corrig et augment considrablement.

Vous voulez un ministre pour ce brouille-tout?

Je veux une rcompense pour celui qui vous a dfendu au pril de ses dignits et de sa fortune.

Dites de sa vie, car on le lapidera un de ces matins, votre duc, en compagnie de votre ami Maupeou.

Vous encourageriez beaucoup vos dfenseurs, sils vous entendaient.

Ils me le rendent bien, comtesse.

Ne dites pas cela, les faits parlent.

Ah ! mais pourquoi cette fureur pour dAiguillon?

Fureur! je ne le connais pas; je lai vu aujourdhui, et lui ai parl pour la premire fois.

Ah! cest diffrent; il y a conviction alors, et je respecte toutes les convictions, nen ayant jamais eu moi-mme.

Alors donnez quelque chose Richelieu, au nom de dAiguillon, puisque vous ne voulez rien donner dAiguillon.

Richelieu! rien, rien, rien, jamais rien!

M. dAiguillon, alors, puisque vous ne donnez pas Richelieu.

Quoi! lui donner un portefeuille, en ce moment? Cest impossible.

Je le conois mais plus tard Songez quil est homme de ressources, daction, et quavec Terray, dAiguillon et Maupeou, vous aurez les trois ttes de Cerbre; songez aussi que votre ministre est une plaisanterie qui ne peut pas durer.

Vous vous trompez, comtesse, il durera bien trois mois.

Dans trois mois, je retiens votre parole.

Oh! oh! comtesse.

Cest dit; maintenant il me faut du prsent.

Mais je nai rien.

Vous avez les chevau-lgers; M. dAiguillon est un officier, cest ce quon appelle une pe; donnez-lui vos chevau-lgers.

Allons, soit, il les aura.

Merci! scria la comtesse transporte de joie, merci!

Et M. dAiguillon put entendre rsonner un baiser tout plbien sur les joues de Sa Majest Louis XV.

prsent, dit le roi, faites-moi souper, comtesse.

Non, dit-elle, il ny a rien ici; vous mavez assomme de politique Mes gens ont fait des discours et des feux dartifice, mais de cuisine point.

Alors venez Marly; je vous emmne.

Impossible: jai ma pauvre tte fendue en quatre.

La migraine?

Impitoyable.

Il faut vous coucher alors, comtesse.

Cest ce que je vais faire, sire.

Alors, adieu

Au revoir, cest--dire.

Jai un peu lair de M. de Choiseuclass="underline" on me renvoie.

En vous reconduisant, en vous festoyant, en vous cajolant, dit la foltre femme, qui tout doucement poussait le roi vers la porte et finit par le mettre dehors, riant aux clats et se retournant chaque marche de lescalier.

Du haut du pristyle, la comtesse tenait un bougeoir.

Dites donc, comtesse, fit le roi en remontant un degr.

Sire?

Pourvu que le pauvre marchal nen meure pas.

De quoi?

De son portefeuille rentr.

tes-vous mauvais! dit la comtesse en lescortant dun dernier clat de rire.

Et Sa Majest partit fort satisfaite de son dernier quolibet sur le duc, quil excrait rellement.

Quand madame du Barry rentra dans son boudoir, elle trouva dAiguillon genoux devant la porte, les mains jointes, les yeux ardemment fixs sur elle.

Elle rougit.

Jai chou, dit-elle; ce pauvre marchal

Oh! je sais tout, dit-il, on entend Merci, madame, merci!

Je crois que je vous devais cela, rpliqua-t-elle avec un doux sourire; mais relevez-vous, duc, sinon je croirais que vous avez autant de mmoire que vous avez desprit.

Cela peut bien tre, madame; mon oncle vous la dit, je ne suis rien que votre passionn serviteur.

Et celui du roi; demain, il faudra rendre vos devoirs Sa Majest; relevez-vous, je vous prie.

Et elle lui donna sa main, quil baisa respectueusement.

La comtesse fut bien mue, ce quil parat, car elle najouta pas un mot.

M. dAiguillon resta aussi muet, aussi troubl quelle; la fin, madame du Barry relevant la tte:

Pauvre marchal, dit-elle encore, il faudra quil sache cette dfaite.

M. dAiguillon regarda ces mots comme un cong dfinitif, il sinclina.

Madame, dit-il, je vais me rendre auprs de lui.

Oh! duc, toute mauvaise nouvelle doit sannoncer le plus tard possible; faites mieux que daller chez le marchal, soupez avec moi.

Le duc sentit comme un parfum de jeunesse et damour embraser, rgnrer le sang de son cur.

Vous ntes pas une femme, dit-il, vous tes

LAnge, nest-ce pas? lui dit loreille la bouche brlante de la comtesse, qui leffleura pour lui parler plus bas, et qui lentrana table

Ce soir-l, M. dAiguillon dut se regarder comme bien heureux, car il prit le portefeuille son oncle et mangea la part du roi.

Chapitre 89. Les antichambres de M. le duc de Richelieu

M. de Richelieu, comme tous les courtisans, avait un htel Versailles, un Paris, une maison Marly, une Luciennes; un logement, en un mot, prs de chacun des logements ou des stations du roi.

Louis XIV, en multipliant ses sjours, avait impos tout homme de qualit, privilgi des grandes ou des petites entres, lobligation dtre fort riche, pour suivre dans une proportion gale le train de sa maison et lessor de ses caprices.

M. de Richelieu habitait donc, au moment du renvoi de MM. de Choiseul et de Praslin, son htel de Versailles; ctait l quil stait fait conduire la veille, au retour de Luciennes, aprs avoir prsent son neveu madame du Barry.

On avait vu Richelieu au bois de Marly avec la comtesse, on lavait vu Versailles aprs la disgrce du ministre, on savait son audience secrte et prolonge Luciennes; cen fut assez pour que toute la cour, avec les indiscrtions de Jean du Barry, pour que toute la cour, disons-nous, se crt oblige daller rendre ses devoirs M. de Richelieu.

Le vieux marchal allait donc humer son tour ce parfum de louanges, de flatteries et de caresses que tout intress fait brler sans discernement devant lidole du jour.

M. de Richelieu ne sattendait pourtant pas ce qui allait lui arriver, mais il se leva le matin du jour o nous sommes parvenus avec la ferme rsolution de calfeutrer ses narines contre le parfum, de mme quUlysse bouchait son oreille avec de la cire contre le chant des sirnes.