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Le rsultat pour lui devait arriver le lendemain seulement; ctait, en effet, le lendemain que serait connue et publie par le roi lui-mme la nomination du nouveau ministre.

La surprise du marchal fut donc grande lorsquen se rveillant, ou plutt lorsque, rveill par un grand bruit de voitures, il apprit de son valet de chambre que les cours de lhtel taient encombres ainsi que les antichambres et les salons.

Oh! oh! dit-il, je fais du bruit, ce quil parat.

Il est de bien bonne heure, monsieur le marchal, dit le valet de chambre voyant la prcipitation que le duc mettait dfaire son bonnet de nuit.

Dsormais, rpliqua le duc, il ny aura plus dheure pour moi, souvenez vous de cela.

Oui, monseigneur.

Qua-t-on rpondu aux visiteurs?

Que monseigneur ntait pas lev.

Tout simplement?

Tout simplement.

Cest une sottise; il fallait ajouter que javais veill tard, ou, bien mieux, il fallait Voyons, o est Raft?

M. Raft dort, dit le valet de chambre.

Comment, il dort? Mais quon le rveille, le malheureux!

Allons, allons! dit un vieillard vert et souriant qui parut sur le seuil, voil Raft; que lui veut-on?

Toute la boursouflure du duc tomba devant ces paroles.

Ah! je disais bien aussi, moi, que tu ne dormais pas.

Et quand jaurais dormi, quy aurait-il l dtonnant? il est jour peine.

Mais, mon cher Raft, tu vois que, moi, je ne dors pas.

Cest autre chose, vous tes ministre, vous Comment dormiriez-vous?

Allons, voil que tu vas me gronder, dit le marchal en grimaant devant la glace; est-ce que tu nes pas content?

Moi! quest-ce que cela me fait? Vous allez vous fatiguer beaucoup, et puis vous serez malade; il en rsultera que ce sera moi qui gouvernerai ltat, et ce nest pas amusant, monseigneur.

Oh! comme tu as vieilli, Raft.

Jai juste quatre ans de moins que vous, monseigneur. Oh! oui, je suis vieux.

Le marchal frappa du pied avec impatience.

As-tu pass par lantichambre? dit-il.

Oui.

Qui est l?

Tout le monde.

Que dit-on?

Chacun se raconte ce quil va vous demander.

Cest bien naturel Mais, de ma nomination, en as-tu entendu parler?

Oh! jaime autant ne pas vous dire ce quon en dit.

Ouais! dj la critique?

Et parmi ceux qui ont besoin de vous. Que sera-ce, monseigneur, chez les gens dont vous aurez besoin!

Ah! par exemple, Raft, dit le vieux marchal en affectant de rire, ceux qui diraient que tu me flattes

Tenez, monseigneur, dit Raft, pourquoi diable vous tes-vous attel cette charrue quon appelle le ministre? Vous tes donc las dtre heureux et de vivre?

Mon cher, jai got de tout, except de cela.

Corbleu! Vous navez jamais got darsenic non plus; que nen avalez-vous dans votre chocolat, par curiosit?

Raft, tu nes quun paresseux; tu devines que toi, mon secrtaire, tu vas avoir beaucoup de besogne, et tu recules tu las dit, dailleurs.

Le marchal se fit habiller avec soin.

Donne-moi une tournure militaire, recommanda-t-il au valet de chambre, et donne-moi mes ordres militaires.

Il parat que nous sommes la Guerre? fit Raft.

Mon Dieu oui, il parat que nous sommes cela.

Ah ! mais, continua Raft, je nai pas vu la nomination du roi, ce nest pas rgulier.

Elle va arriver, sans doute.

Alors sans doute est le mot officiel aujourdhui.

Que tu es devenu dsagrable, Raft, en vieillissant! tu es formaliste et puriste. Si javais su cela, je ne taurais pas fait faire mon discours de rception lAcadmie, cest cela qui ta rendu pdant.

coutez donc, monseigneur, puisque nous sommes gouvernement, soyons rguliers Cest bizarre.

Quoi donc est bizarre?

M. le comte de la Vaudraye, qui vient de me parler dans la rue, mannonait que rien ntait fait encore pour le ministre.

Richelieu sourit.

M. de la Vaudraye a raison, dit-il. Mais tu es donc dj sorti?

Pardieu! il le fallait bien; cet enrag vacarme de carrosses ma rveill, je me suis fait habiller, jai pris mes ordres militaires aussi, et jai fait un tour par la ville.

Ah! M. Raft sgaie mes dpens?

Oh! monseigneur, Dieu men prserve! cest que

Cest que quoi?

En me promenant, jai rencontr encore quelquun.

Qui cela?

Le secrtaire de labb Terray.

Eh bien?

Eh bien, il ma dit que son matre tait mis la Guerre.

Oh! oh! dit Richelieu avec son ternel sourire.

Quen conclut monseigneur?

Que, si M. Terray est la Guerre, je ny suis pas; que sil ny est pas, jy suis peut-tre.

Raft en avait assez fait pour sa conscience. Ctait un homme hardi, infatigable, ambitieux, tout aussi spirituel que son matre, et bien plus arm que lui, car il se savait roturier et dpendant, deux dfauts de cuirasse qui, pendant quarante ans, avaient exerc toute sa ruse, toute sa force, toute son agilit desprit. Raft, voyant son matre si bien assur, crut lui-mme navoir plus rien craindre.

Allons, dit-il, monseigneur, htez-vous, ne vous faites pas trop attendre, ce serait dun mauvais augure.

Je suis prt; mais qui est l, encore une fois?

Voici la liste.

Il prsenta une longue liste son matre, qui lut avec satisfaction les premiers noms de la noblesse, de la robe et de la finance.

Si jallais tre populaire, hein, Raft?

Nous sommes au temps des miracles, rpondit celui-ci.

Tiens, Taverney! dit le marchal en continuant sa lecture. Que vient-il faire ici?

Je nen sais rien, monsieur le marchal. Allons, faites votre entre.

Et, presque avec autorit, le secrtaire fora son matre passer dans le grand salon.

Richelieu dut tre satisfait, laccueil quil reut net pas t au-dessous des ambitions dun prince du sang.

Mais toute la politesse, si fine, si habile, si cauteleuse de cette poque et de cette socit servit mal le hasard, qui mnageait Richelieu une dure mystification.

Par convenance et par respect de ltiquette toute cette foule sabstint de prononcer devant Richelieu le mot ministre; quelques-uns, plus hardis, allrent jusquau mot compliment; ceux-l savaient quil fallait glisser lgrement sur le mot, et que Richelieu ny rpondait qu peine.

Pour tout le monde, cette visite faite au lever du soleil fut une simple dmonstration, comme un souhait par exemple.

Il ntait pas rare, cette poque, que les insaisissables nuances fussent comprises par des masses et lunanimit.

Il y eut quelques courtisans qui se hasardrent, dans la conversation, exprimer un vu, un dsir, une esprance.

Lun aurait souhait, disait-il, voir son gouvernement plus rapproch de Versailles. Il se plaisait causer de cela avec un homme dun crdit aussi grand que celui de M. de Richelieu.

Un autre prtendait avoir t oubli trois fois par M. de Choiseul dans des promotions de chevaliers de lordre; il comptait sur lobligeante mmoire de M. de Richelieu pour rafrachir celle du roi, prsent que rien ne faisait plus obstacle au bon vouloir de Sa Majest.

Enfin, cent demandes plus ou moins avides, mais toutes enveloppes avec un art extrme, se produisirent aux oreilles charmes du marchal.

Peu peu la foule sloigna; on voulait, disait-on, laisser M. le marchal ses importantes occupations.

Un seul homme demeura dans le salon.

Il ne stait pas approch avec les autres, il navait rien demand, il ne stait pas prsent mme.

Quand les rangs furent claircis, cet homme vint au duc avec un sourire sur les lvres.

Ah! monsieur de Taverney, fit le marchal; enchant, enchant!

Je tattendais, duc, pour te faire mon compliment, et un compliment positif, un compliment sincre.

Ah vraiment! et de quoi donc? rpliqua Richelieu, que la rserve de ses visiteurs avait mis lui-mme dans la ncessit dtre discret et comme mystrieux.