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Et, comme il conduisait son antagoniste avec cette fine repartie, la porte souvrit, et un homme entra bruyamment en disant:

O est-il, ce cher duc?

Cet homme enlumin, aux yeux dilats de satisfaction, aux bras arrondis par la bienveillance, tait Jean du Barry, ni plus ni moins.

laspect du nouveau venu, Taverney recula de surprise et de dpit.

Jean vit ce geste, reconnut cette tte, et tourna le dos.

Je crois comprendre, dit le baron tranquillement, et je me retire. Je laisse M. le ministre en parfaite compagnie.

Et il se retira fort noblement.

Chapitre 90. Dsenchantement

Jean, furieux de cette sortie pleine de provocation, fit deux pas derrire le baron, puis haussa les paules en revenant au marchal.

Vous recevez cela chez vous?

Eh! mon cher, vous vous trompez; je chasse cela, au contraire.

Vous savez ce que cest que ce monsieur?

Hlas! oui

Non, mais savez-vous bien?

Cest un Taverney.

Cest un monsieur qui veut mettre sa fille dans le lit du roi

Allons donc!

Un monsieur qui veut nous supplanter, et qui prend tous les chemins pour cela Oui, mais Jean est l, et Jean voit clair.

Vous croyez quil veut?

Cest bien difficile voir, nest-ce pas? Parti dauphin, mon cher et puis lon a son petit tueur

Bah!

On a un jeune homme tout dress mordre les mollets des gens, un bretteur qui donne des coups dpe dans lpaule de Jean de ce pauvre Jean.

vous? cest un ennemi personnel vous, mon cher vicomte? dit Richelieu jouant la surprise.

Eh! oui, cest mon adversaire dans laffaire du relais, vous savez?

Ah! mais voyez la sympathie, jignorais cela, et je lai dbout de toutes demandes; seulement, je leusse, non pas vinc, mais chass, si javais su Soyez tranquille, vicomte, prsent, voil ce digne bretteur sous ma coupe, et il sen apercevra.

Oui, vous pouvez lui faire perdre le got des attaques sur le grand chemin Car enfin, voyons, je ne vous ai pas encore fait mon compliment.

Mais, oui, vicomte, il parat que cest dfinitivement fini.

Oh! tout est fait Voulez-vous que je vous embrasse?

De grand cur.

Ma foi, on a eu du mal; mais le mal nest rien quand on russit. Vous tes content, nest-ce pas?

Voulez-vous que je vous parle franc? oui, car je crois que je pourrai tre utile.

Nen doutez pas mais cest un fier coup on va hurler.

Est-ce que je ne suis pas aim dans le public?

Vous? Mais il ny a ni pour ni contre cest lui qui est excr.

Lui? dit Richelieu avec surprise; qui, lui?

Sans doute, interrompit Jean. Oh! les parlements vont sinsurger, cest une rptition du fouet de Louis XIV; ils sont flagells, duc, ils le sont!

Expliquez-moi

Mais cela sexplique de soi par la haine des parlements pour lauteur de ses perscutions.

Ah! vous croyez que

Jen suis certain, comme toute la France Cest gal, duc, vous avez merveilleusement bien fait de le faire venir comme cela tout au chaud.

Qui? mais qui donc, vicomte? Je suis sur les pines, je ne comprends pas un mot de ce que vous me dites.

Mais je vous parle de M. dAiguillon, de votre neveu.

Eh bien, aprs?

Eh bien, je vous dis que vous avez bien fait de le faire venir.

Ah! trs bien! trs bien! Il maidera, voulez-vous dire?

Il nous aidera tous Vous savez quil est au mieux avec Jeannette?

Bon! vraiment?

Au mieux. Ils ont caus dj et sentendent merveille, je parie.

Vous savez cela?

Cest bien facile. Jeannette est la plus paresseuse dormeuse qui soit.

Ah! oui

Et elle ne quitte pas le lit avant neuf, dix ou onze heures.

Oui; eh bien?

Eh bien, ce matin, Luciennes, il tait six heures au plus, jai vu partir la chaise de dAiguillon.

six heures? scria Richelieu souriant.

Oui.

Du matin, ce matin?

Du matin, ce matin. Vous jugez que, pour tre si matineuse que davoir donn audience pareille heure, Jeannette doit tre folle de votre cher neveu.

Oui, oui, continua Richelieu en se frottant les mains, six heures. Bravo, dAiguillon!

Il faut que laudience ait commenc cinq heures La nuit! cest miraculeux!

Cest miraculeux! rpta le marchal. Miraculeux en effet, mon cher Jean!

Et vous voil tous trois comme seraient Oreste, Pylade, et encore un autre Pylade.

ce moment, et lorsque le marchal se frottait le plus joyeusement les mains, dAiguillon entra dans le salon.

Le neveu salua loncle dun air de condolance qui suffit Richelieu, sinon pour comprendre toute la vrit, du moins pour en deviner la meilleure partie.

Il plit comme sil et reu une blessure mortelle: lide lui vint tout de suite qu la cour il ny a ni amis, ni parents, et que chacun prend son avantage.

Jtais un grand sot, se dit-il.

Eh bien, dAiguillon? fit-il en touffant un gros soupir.

Eh bien, monsieur le marchal?

Cest un fier coup pour les parlements, dit Richelieu en reprenant toutes les paroles de Jean.

DAiguillon rougit.

Vous savez? dit-il.

M. le vicomte ma tout appris, rpliqua Richelieu, mme votre visite Luciennes, ce matin avant le jour; votre nomination est un triomphe pour ma famille.

Croyez bien, monsieur le marchal, tout mon regret.

Que diable dit-il l? fit Jean, qui se croisait les bras.

Nous nous entendons, interrompit Richelieu, nous nous entendons.

Cest diffrent; mais, moi, je ne vous comprends pas Des regrets Ah! mais oui parce quil ne sera pas reconnu ministre tout de suite; oui, oui trs bien.

Ah! il y aura un intrim, fit le marchal, qui sentit au fond de son cur rentrer lespoir, cet hte ternel de lambitieux et de lamant.

Un intrim, oui, monsieur le marchal.

Mais, en attendant, scria Jean, il est assez pay comme cela Le plus beau commandement de Versailles.

Ah! fit Richelieu perc dune nouvelle blessure, il y a un commandement?

M. du Barry exagre peut-tre un peu, dit le duc dAiguillon.

Mais enfin, quest-ce que ce commandement?

Les chevau-lgers du roi.

Richelieu sentit encore la pleur envahir ses joues rides.

Oh! oui, dit-il avec un sourire dont rien ne saurait rendre lexpression, oui, cest bien peu de chose pour un homme aussi charmant; mais que voulez-vous, duc! la plus belle fille du monde ne peut donner que ce quelle a, ft-elle la matresse du roi.

Ce fut au tour de dAiguillon plir.

Jean regardait les beaux Murillo du marchal.

Richelieu frappa sur lpaule de son neveu en lui disant:

Heureusement que vous avez promesse dun avancement prochain. Mes compliments, duc mes bien sincres compliments. Votre adresse, votre habilet dans les ngociations galent votre bonheur Adieu, jai affaire; ne moubliez pas dans vos faveurs, mon cher ministre.

DAiguillon rpondit seulement:

Vous, cest moi, monsieur le marchal; moi, cest vous.

Et, saluant son oncle, il sortit, gardant la dignit qui lui tait naturelle, et se sauvant dune des plus difficiles positions quil et abordes en sa vie, seme de tant de difficults.

Ce quil y a de bon, se hta de dire Richelieu, lorsquil fut parti, Jean qui ne savait trop quoi sen tenir sur lchange de politesses du neveu et de loncle; ce quil y a dadmirable dans dAiguillon, cest sa navet. Il est homme desprit et candide; il sait la cour, et il est honnte comme une jeune fille.

Et puis il vous aime, dit Jean.

Comme un mouton.

Eh! mon Dieu, dit Jean, cest plutt votre fils que M. de Fronsac

Ma foi, oui ma foi, oui, vicomte.

Et Richelieu rpondait tout cela en se promenant avec agitation autour de son fauteuil; il cherchait et ne trouvait pas.