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Ah! comtesse, murmurait-il, vous me le payerez!

Marchal, dit Jean avec finesse, nous allons raliser nous quatre ce fameux faisceau de lAntiquit; vous savez, celui quon ne pouvait rompre.

nous quatre? Cher monsieur Jean, comment comprenez-vous cela?

Ma sur la puissance, dAiguillon lautorit, vous le conseil, moi la surveillance.

Trs bien! Trs bien!

Et, de cette faon, quon vienne un peu entamer ma sur! Je dfie tout et tous!

Pardieu! fit Richelieu, dont le cerveau bouillait.

Quon oppose des rivales prsent! scria Jean ivre de ses plans et de ses ides triomphales.

Oh! dit Richelieu en se frappant le front.

Quoi donc, cher marchal? que vous prend-il?

Rien, je trouve votre ide de ligue admirable.

Nest-ce pas?

Et jentre avec les pieds et les mains dans votre opinion.

Bravo!

Est-ce que Taverney demeure Trianon avec sa fille?

Non, il demeure Paris.

Elle est trs belle, cette fille, cher vicomte.

Ft-elle belle comme Cloptre ou comme ma sur, je ne la crains plus ds que nous sommes ligus.

Vous dites que Taverney demeure Paris, rue Saint-Honor, je crois?

Je nai pas dit rue Saint-Honor, cest rue Coq-Hron quil demeure. Est ce que vous avez une ide, par hasard, pour chtier le Taverney?

Je crois que oui, vicomte, je crois que jai une ide.

Vous tes un homme incomparable; je vous quitte et je disparais, pour savoir un peu ce que lon dit en ville.

Adieu donc, vicomte propos, vous ne mavez pas dit le nouveau ministre?

Oh! des oiseaux de passage: Terray, Bertin, je ne sais plus qui La monnaie de dAiguillon, enfin, du vrai ministre ajourn.

Qui lest peut-tre indfiniment, pensa le marchal en envoyant Jean son plus gracieux sourire comme caresse dadieu.

Jean partit. Raft rentra. Il avait tout entendu et savait quoi sen tenir; tous ses soupons venaient de se raliser. Il ne dit pas un mot son matre, il le connaissait trop bien.

Il nappela pas mme de valet de chambre, il le dshabilla lui-mme et le conduisit son lit dans lequel le vieux marchal senfona aussitt, en grelottant la fivre, aprs avoir pris une pilule que son secrtaire lui fit avaler.

Raft ferma les rideaux et sortit. Lantichambre tait pleine de valets dj empresss, dj aux coutes. Raft prit le premier valet de chambre par le bras:

Soigne bien M. le marchal, dit-il; il souffre. Il a eu ce matin une vive contrarit; il a d dsobir au roi

Dsobir au roi? scria le valet de chambre pouvant.

Oui, Sa Majest envoyait un portefeuille monseigneur; le marchal a su que cela se faisait par lentremise de la du Barry, et il a refus! Oh! cest superbe, et les Parisiens lui doivent un arc de triomphe! Mais le choc tait rude, et notre matre est malade; soigne-le bien!

Raft, aprs ces quelques mots dont il connaissait davance la porte circulative, regagna son cabinet.

Un quart dheure aprs, tout Versailles connaissait la noble conduite et le patriotisme gnreux du marchal, qui dormait dun profond sommeil sur la popularit que venait de lui btir son secrtaire.

Chapitre 91. Le petit couvert de M. le dauphin

Le mme jour, mademoiselle de Taverney sortit de sa chambre trois heures pour se rendre chez la dauphine, qui avait lhabitude dune lecture avant son dner.

Labb, premier lecteur de Son Altesse royale, nexerait plus ses fonctions. Il sen tenait la politique transcendante depuis certaines intrigues diplomatiques dans lesquelles il avait dploy un assez beau talent de faiseur daffaires.

Mademoiselle de Taverney sortit donc assez pare pour se rendre son poste. Elle subissait, comme tous les htes de Trianon, les difficults dune installation un peu brusque. Elle navait encore rien organis, ni son service, ni lemmnagement de son petit mobilier, et elle avait t provisoirement habille par une des femmes de chambre de madame de Noailles, cette dame dhonneur intraitable que la dauphine appelait madame ltiquette.

Andre portait une robe de soie bleue taille longue et pince comme le corsage dune gupe. Cette robe souvrait et se divisait par devant pour laisser voir un dessous de mousseline trois rangs de tuyaux brods; des manches courtes galement brodes de mousseline festonne et tage depuis lpaule accompagnaient le fichu brod la paysanne qui cachait pudiquement la gorge de la jeune fille. Mademoiselle Andre avait relev simplement ses beaux cheveux avec un ruban bleu pareil la robe. Ces cheveux tombant de ses joues sur son cou et sur ses paules en longues et paisses boucles rehaussaient bien mieux que les plumes, les aigrettes et les dentelles dont on usait alors, la mine fire et modeste de la belle fille au teint mat et pur, que le rouge navait jamais souill.

Tout en marchant, Andre passait dans ses mitaines de soie blanche les doigts les plus effils et les plus suavement arrondis quil ft possible de voir, tandis que dans le sable du jardin simprimait la pointe du haut talon de ses mules de satin bleu tendre.

Elle apprit, en arrivant au pavillon de Trianon, que madame la dauphine tait alle faire un tour de promenade avec son architecte et son matre jardinier. On entendait cependant crier ltage suprieur la roue du tour sur lequel M. le dauphin soccupait faire une serrure de sret pour un coffre quil affectionnait beaucoup.

Andre, pour aller rejoindre la dauphine, traversa le parterre, o, malgr la saison avance, des fleurs, couvertes soigneusement la nuit, levaient leur tte plie pour aspirer les fugitifs rayons dun soleil plus ple quelles. Et, comme dj le soir approchait, car en cette saison la nuit vient six heures, des garons jardiniers soccupaient dabaisser les cloches de verre sur les plantes les plus frileuses de chaque plate-bande.

Au dtour dune alle darbres verts, qui, taills en charmille et bords de rosiers du Bengale, aboutissaient une belle pice de gazon, Andre aperut tout coup un de ces jardiniers qui, en la voyant, se relevait sur sa bche et la saluait avec une politesse plus habile et plus savante que ne lest la politesse du peuple.

Elle regarda, et dans cet ouvrier reconnut Gilbert, dont les mains, malgr le travail, taient encore assez blanches pour faire le dsespoir de M. de Taverney.

Andre rougit malgr elle; il lui semblait que la prsence de Gilbert en ce lieu tait le rsultat dune trange complaisance du sort.

Gilbert redoubla son salut, et Andre le lui rendit en continuant de marcher.

Mais elle tait une crature trop loyale et trop courageuse pour rsister un mouvement de lme, et laisser sans rponse une question de son esprit inquiet.

Elle revint sur ses pas, et Gilbert, qui dj tait devenu ple et la suivait sinistrement de lil, revint tout coup la vie et fit un bond pour se rapprocher delle.

Vous ici, monsieur Gilbert? dit froidement Andre.

Oui, mademoiselle.

Par quel hasard?

Mademoiselle, il faut bien vivre, et vivre honntement.

Mais savez-vous que vous avez du bonheur?

Oh! beaucoup, mademoiselle, dit Gilbert.

Plat-il?

Je dis, mademoiselle, que jai, comme vous le pensez, beaucoup de bonheur.

Qui vous a fait entrer ici?

M. de Jussieu, un protecteur moi.

Ah! fit Andre surprise, vous connaissez M. de Jussieu?

Ctait lami de mon premier protecteur, de mon matre, de M. Rousseau.

Bon courage, monsieur Gilbert! dit Andre en sapprtant partir.

Vous vous portez mieux, mademoiselle? dit Gilbert avec une voix si tremblante, quon devinait bien quelle stait fatigue en venant de son cur dont elle reprsentait chaque vibration.

Mieux? comment cela? dit Andre froidement.

Mais laccident?

Ah! oui Merci, monsieur Gilbert, je vais mieux; ce ntait rien.

Oh! vous avez bien failli prir, dit Gilbert au comble de lmotion, le danger tait terrible.