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Prs de madame de Noailles taient les autres dames auxquelles leur position la cour constituait le droit ou mritait la faveur dassister au souper de Leurs Altesses royales.

Trois fois par semaine, madame de Noailles soupait la mme table que M. le dauphin et madame la dauphine. Mais, les jours o elle ne soupait pas, elle se ft bien garde de ne point assister au souper; ctait dailleurs un moyen de protester contre lexclusion de ces quatre jours sur sept.

En face de la duchesse de Noailles, surnomme par la dauphine madame ltiquette, se tenait sur un gradin peu prs pareil M. le duc de Richelieu.

Lui aussi tait un strict observateur des convenances; seulement, son tiquette lui demeurait invisible tous les yeux, ternellement cache quelle tait sous llgance la plus parfaite, et quelquefois mme sous le persiflage le plus fin.

Il rsultait de cette antithse entre le premier gentilhomme de la chambre et la premire dame dhonneur de Son Altesse royale madame la dauphine, que la conversation, sans cesse abandonne par la duchesse de Noailles, tait sans cesse releve par M. de Richelieu.

Le marchal avait voyag dans toutes les cours de lEurope, et il avait pris dans chacune delles le ton dlgance qui tait le mieux appropri sa nature, de sorte que, admirable de tact et de convenance, il savait la fois toutes les anecdotes qui pouvaient se raconter une table de jeunes infantes et au petit couvert de madame du Barry.

Il saperut, ce soir-l, que la dauphine mangeait avec apptit et que le dauphin dvorait. Il supposa quils ne lui tiendraient pas tte dans la conversation, et quil ne sagissait que de faire passer madame de Noailles une heure de purgatoire anticip.

Il se mit parler philosophie, thtre, double sujet de conversation doublement antipathique la vnrable duchesse.

Il raconta donc le sujet dune des dernires boutades philanthropiques du philosophe de Ferney, nom que lon donnait dj lauteur de la Henriade; et, quand il vit la duchesse sur les dents, il changea de texte et dtailla tout ce quen sa qualit de gentilhomme de la chambre, il avait de tracas pour faire jouer plus ou moins mal mesdames les comdiennes ordinaires du roi.

La dauphine aimait les arts, et surtout le thtre; elle avait trouv un costume complet de Clytemnestre mademoiselle Raucourt; elle couta donc M. de Richelieu non seulement avec indulgence, mais encore avec plaisir.

Alors on vit la pauvre dame dhonneur, au mpris de ltiquette, sagiter sur son gradin, se moucher haut et secouer sa vnrable tte, sans songer au nuage de poudre qui, chacun de ses mouvements, enveloppait son front, comme chaque bouffe de bise un nuage de neige enveloppe la cime du mont Blanc.

Mais ce ntait pas le tout que damuser madame la dauphine, il fallait encore plaire M. le dauphin. Richelieu abandonna donc la question du thtre, pour lequel lhritier de la couronne de France navait jamais eu une grande sympathie, pour parler philosophie humanitaire. Il eut, propos des Anglais, toute cette chaleur que Rousseau jette comme un fluide vivifiant sur le personnage ddouard Bomston.

Or, madame de Noailles excrait les Anglais autant que les philosophes.

Une ide neuve tait une fatigue pour elle, et une fatigue drangeait lconomie de toute sa personne. Madame de Noailles, qui se sentait faite pour conserver, hurlait aux ides nouvelles comme les chiens aux masques.

Richelieu avait un double but en jouant ce jeu, il tourmentait madame ltiquette, ce qui faisait sensiblement plaisir madame la dauphine, et il trouvait par-ci par-l quelques apophtegmes vertueux, quelques axiomes de mathmatiques recueillis joyeusement par M. le dauphin, prince amateur des choses exactes.

Il faisait donc sa cour merveille, cherchant de tous ses yeux quelquun quil comptait voir l et quil ny trouvait pas, lorsquun cri pouss au bas de lescalier monta dans la vote sonore, rpt par deux autres voix tages sur le palier dabord, puis sur lescalier mme.

Le roi!

ce mot magique, madame de Noailles se leva comme si un ressort dacier let fait saillir de son gradin; Richelieu se souleva lentement avec habitude; le dauphin essuya prcipitamment sa bouche avec sa serviette et se tint debout devant sa place, le visage tourn vers la porte.

Quant madame la dauphine, elle se dirigea vers lescalier, pour rencontrer le roi plus vite et lui faire les honneurs de sa maison.

Chapitre 92. Les cheveux de la reine

Le roi tenait encore mademoiselle de Taverney par la main en arrivant sur le palier, et, en arrivant cette place seulement, il la salua si courtoisement, si longuement, que Richelieu eut le temps de voir le salut, den admirer la grce, et de se demander quelle heureuse mortelle il avait t adress.

Son ignorance ne dura pas longtemps. Louis XV prit le bras de la dauphine, qui avait tout vu et qui avait dj parfaitement reconnu Andre.

Ma fille, lui dit-il, je viens sans faon vous demander souper. Jai travers tout le parc, et, en chemin, rencontrant mademoiselle de Taverney, je lai prie de me faire compagnie.

Mademoiselle de Taverney! murmura Richelieu, presque tourdi de ce coup imprvu. Par ma foi! jai trop de bonheur!

En sorte que non seulement je ne gronderai pas mademoiselle, qui tait en retard, rpondit gracieusement la dauphine, mais que je la remercierai de nous avoir amen Votre Majest.

Andre, rouge comme une des belles cerises qui garnissaient le surtout au milieu des fleurs, sinclina sans rpondre.

Diable! diable! elle est belle, en effet, se dit Richelieu; et ce vieux drle de Taverney nen disait pas plus sur elle quelle nen mrite.

Dj le roi tait table, aprs avoir reu le salut de M. le dauphin. Dou comme son aeul dun apptit complaisant, le monarque fit honneur au service improvis que le matre dhtel plaa devant lui comme par enchantement.

Cependant, tout en mangeant, le roi, qui tournait le dos la porte, semblait chercher quelque chose, ou plutt quelquun.

En effet, mademoiselle de Taverney, qui ne jouissait daucun privilge, sa position ntant pas encore bien fixe auprs de madame la dauphine, mademoiselle de Taverney, disons-nous, ntait point entre dans la salle manger, et, aprs sa profonde rvrence en rponse celle du roi, elle tait entre dans la chambre de madame la dauphine, qui, deux ou trois fois dj, lui avait fait faire la lecture, aprs stre mise au lit.

Madame la dauphine comprit que ctait sa belle compagne de route que cherchait le regard du roi.

Monsieur de Coigny, dit-elle un jeune officier des gardes plac derrire le roi, faites donc entrer, je vous prie, mademoiselle de Taverney. Avec la permission de madame de Noailles, nous drogerons ce soir ltiquette.

M. de Coigny sortit, et un instant aprs introduisit Andre, qui, ne comprenant rien cette succession de faveurs inaccoutumes, entra toute tremblante.

Mettez-vous l, mademoiselle, dit la dauphine, prs de madame la duchesse.

Andre monta timidement le gradin; elle tait si trouble, quelle eut laudace de sasseoir un pied seulement de la dame dhonneur.

Aussi reut-elle un coup dil si foudroyant de celle-ci, que la pauvre enfant, comme si elle eut t mise en contact avec une bouteille de Leyde rudement charge, recula de quatre pieds au moins.

Le roi Louis XV la regardait et souriait.

Ah ! mais, se dit le duc de Richelieu, ce nest presque pas la peine que je men mle, et voil des choses qui marchent toutes seules.

Le roi se retourna alors et aperut le marchal, tout prpar soutenir ce regard.

Bonjour, monsieur le duc, dit Louis XV; faites-vous bon mnage avec madame la duchesse de Noailles?

Sire, rpliqua le marchal, madame la duchesse me fait toujours lhonneur de me maltraiter comme un tourdi.

Est-ce que vous tes all aussi sur la route de Chanteloup, vous, duc?