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Moi, sire? Ma foi, non; je suis trop heureux pour cela des bonts de Votre Majest pour ma maison.

Le roi ne sattendait pas ce coup; il se prparait railler, on allait au devant de lui.

Quest-ce que jai donc fait, duc?

Sire, Votre Majest a donn le commandement de ses chevau-lgers M. le duc dAiguillon.

Oui, cest vrai, duc.

Et pour cela il fallait toute lnergie, toute lhabilet de Votre Majest. Cest presque un coup tat.

On tait la fin du repas; le roi attendit un moment et se leva de table.

La conversation et pu lembarrasser, mais Richelieu tait dcid ne pas lcher sa proie. Aussi, lorsque le roi se mit causer avec madame de Noailles, la dauphine et mademoiselle de Taverney, Richelieu manuvra-t-il si savamment, quil se retrouva en pleine conversation, conversation quil avait dirige selon son gr.

Sire, dit-il, Votre Majest sait que les succs enhardissent.

Est-ce pour nous dire que vous tes hardi, duc?

Cest pour demander Votre Majest une nouvelle grce, aprs celle que le roi a daign me faire; un de mes bons amis, un ancien serviteur de Votre Majest, a son fils dans les gendarmes. Le jeune homme est plein de mrite, mais pauvre. Il a reu dune auguste princesse un brevet de capitaine, mais il lui manque la compagnie.

La princesse est ma fille? demanda le roi en se retournant vers la dauphine.

Oui, sire, dit Richelieu, et le pre de ce jeune homme sappelle le baron de Taverney.

Mon pre! scria involontairement Andre. Philippe! Cest pour Philippe, monsieur le duc, que vous demandez une compagnie?

Puis, honteuse de cet oubli de ltiquette, Andre fit un pas en arrire, rougissante et les mains jointes.

Le roi se retourna pour admirer la rougeur, lmotion de la belle enfant; il revint aussi Richelieu avec un regard de bienveillance qui apprit au courtisan combien sa demande tait agrable cause de loccasion quelle fournissait.

En effet, dit la dauphine, ce jeune homme est charmant, et javais pris lengagement de faire sa fortune. Que les princes sont malheureux! Dieu, quand il leur donne la bonne volont, leur te la mmoire ou le raisonnement; ne devais-je pas penser que ce jeune homme tait pauvre, que ce ntait pas assez de lui donner lpaulette, et quil fallait encore lui donner la compagnie?

Eh! madame, comment Votre Altesse let-elle su?

Oh! je le savais, rpliqua vivement la dauphine avec un geste qui rappela au souvenir dAndre la maison si nue, si modeste, et pourtant si heureuse son enfance; oui, je le savais, et jai cru avoir tout fait en donnant un grade M. Philippe de Taverney. Il sappelle Philippe, nest-ce pas, mademoiselle?

Oui, madame.

Le roi regarda toutes ces physionomies si nobles, si ouvertes; puis il arrta les yeux sur celle de Richelieu, qui silluminait aussi dun reflet de gnrosit quil empruntait sans doute son auguste voisine.

Ah! duc, dit-il demi-voix, je vais me brouiller avec Luciennes.

Puis vivement, Andre:

Dites que cela vous fera plaisir, mademoiselle, ajouta-t-il.

Ah! sire, fit Andre en joignant les mains, je vous en supplie!

Accord, alors, dit Louis XV. Vous choisirez une bonne compagnie ce pauvre jeune homme, duc, et jen ferai les fonds si dj elle nest toute paye et toute vacante.

Cette bonne action rjouit tous les assistants; elle valut au roi un cleste sourire dAndre, elle valut Richelieu un remerciement de cette belle bouche, qui, dans sa jeunesse, il et demand plus encore, ambitieux et avare comme il tait.

Quelques visiteurs arrivrent successivement; parmi eux le cardinal de Rohan, qui, depuis linstallation de la dauphine Trianon, faisait assidment sa cour.

Mais le roi, pendant toute la soire, neut de bons gards et dagrables paroles que pour Richelieu. Il se fit mme accompagner de lui lorsquil prit cong de la dauphine pour retourner son Trianon. Le vieux marchal suivit le roi avec des tressaillements de joie.

Tandis que Sa Majest regagnait avec le duc et ses deux officiers les alles sombres qui aboutissent au palais, Andre avait t congdie par la dauphine.

Vous avez besoin dcrire cette bonne nouvelle Paris, avait dit la princesse; vous pouvez vous retirer, mademoiselle.

Et, prcde dun valet de pied qui portait une lanterne, la jeune fille traversait lesplanade de cent pas qui sparait Trianon des communs.

Devant elle aussi, de buisson en buisson, bondissait dans les feuillages une ombre qui suivait chaque mouvement de la jeune fille avec des yeux tincelants: ctait Gilbert.

Lorsque Andre fut arrive au perron et quelle commena monter les marches de pierre, le valet retourna aux antichambres de Trianon.

Alors Gilbert, se glissant son tour dans le vestibule, arriva aux cours des curies, et, par un petit escalier roide comme une chelle, grimpa dans sa mansarde, situe en face des fentres de la chambre dAndre, dans un angle des btiments.

Il vit de l Andre appeler laide une femme de chambre de madame de Noailles, qui avait sa chambre dans le mme corridor. Mais, lorsque cette fille entra dans la chambre dAndre, les rideaux de la fentre tombrent comme un voile impntrable entre les ardents dsirs du jeune homme et lobjet de ses ides.

Au palais, il ne restait plus que M. de Rohan, redoublant de galanterie auprs de madame la dauphine, qui le traitait assez froidement.

Le prlat finit par craindre dtre indiscret, dautant plus quil avait dj vu M. le dauphin se retirer. Il prit donc cong de Son Altesse royale avec les marques du plus profond et du plus tendre respect.

Au moment o il montait en carrosse, une femme de chambre de la dauphine sapprocha de lui et entra presque dans sa voiture.

Voici, dit-elle.

Et elle lui mit dans la main un petit papier soyeux dont le contact fit frissonner le cardinal.

Voici, rpliqua-t-il vivement en mettant dans la main de cette femme une bourse lourde, et qui, vide, et t un salaire honorable.

Le cardinal, sans perdre de temps, commanda au cocher de partir pour Paris, et de demander de nouveaux ordres la barrire.

Pendant tout le chemin, dans lobscurit de la voiture, il palpa et baisa comme un amant enivr le contenu de ce papier.

Une fois la barrire:

Rue Saint-Claude, dit-il.

Bientt aprs, il traversait la cour mystrieuse et retrouvait ce petit salon o se tenait Fritz, lintroducteur aux silencieuses faons.

Balsamo se fit attendre un quart dheure. Il parut enfin et donna au cardinal, pour cause de son retard, lheure avance, qui pouvait lui permettre de croire quaucune visite ne lui viendrait plus.

En effet, il tait prs de onze heures du soir.

Cest vrai, monsieur le baron, dit le cardinal, et je vous demande pardon de ce drangement. Mais vous souvenez-vous de mavoir dit, un jour, que pour tre assur de certains secrets?

Il me fallait les cheveux de la personne dont nous parlions ce jour-l, interrompit Balsamo, qui avait vu dj le petit papier aux mains du naf prlat.

Prcisment, monsieur le baron.

Et vous mapportez ces cheveux, monseigneur? Trs bien.

Les voici.

Croyez-vous quil sera possible de les ravoir aprs lexprience?

moins que le feu nait t ncessaire auquel cas

Sans doute, sans doute, dit le cardinal; mais alors je pourrai men procurer dautres. Puis-je avoir une solution?

Aujourdhui?

Je suis impatient, vous le savez.

Il faut dabord essayer, monseigneur.

Balsamo prit les cheveux et monta prcipitamment chez Lorenza.

Je vais donc savoir, se disait-il en chemin, le secret de cette monarchie; je vais donc savoir le dessein cach de Dieu.

Et, de lautre ct de la muraille, avant mme davoir ouvert la porte mystrieuse, il endormit Lorenza. La jeune femme le reut donc avec un tendre embrassement.

Balsamo sarracha avec peine de ses bras. Il et t difficile de dire quelle chose tait plus douloureuse au pauvre baron, ou des reproches de la belle Italienne quand elle tait veille, ou de ses caresses quand elle dormait.