Enfin, tant parvenu dnouer la chane que les deux beaux bras de la jeune femme avaient jete son cou:
Ma Lorenza chrie, lui dit-il en lui mettant le papier dans la main, peux tu me dire qui sont ces cheveux?
Lorenza les prit et les appuya sur sa poitrine, puis contre son front; quoique ses deux yeux fussent ouverts, ctait par la poitrine et le front quelle voyait pendant son sommeil.
Oh! dit-elle, cest une illustre tte que celle qui on les a drobs.
Nest-ce pas? Une tte heureuse? Dis!
Elle peut ltre.
Cherche bien, Lorenza.
Oui, elle peut ltre; il ny a pas dombre encore sur sa vie.
Cependant elle est marie
Oh! fit Lorenza avec un doux sourire.
Eh bien quoi? et que veut dire ma Lorenza?
Elle est marie, cher Balsamo, ajouta la jeune femme, et cependant
Et cependant?
Et cependant
Lorenza sourit encore.
Moi aussi, je suis marie, dit-elle.
Sans doute.
Et cependant
Balsamo regarda Lorenza avec un profond tonnement; malgr le sommeil de la jeune femme, une pudibonde rougeur stendait sur son visage.
Et cependant? rpta Balsamo. Achve.
Elle jeta de nouveau ses bras autour du cou de son amant, et, cachant sa tte dans sa poitrine:
Et cependant je suis vierge, dit-elle.
Et cette femme, cette princesse, cette reine, scria Balsamo, toute marie quelle est?
Cette femme, cette princesse, cette reine, rpta Lorenza, elle est aussi pure et aussi vierge que moi; plus pure, plus vierge mme, car elle naime pas comme moi.
Oh! fatalit! murmura Balsamo. Merci, Lorenza, je sais tout ce que je voulais savoir.
Il lembrassa, serra prcieusement les cheveux dans sa poche, et, coupant Lorenza une petite mche de ses cheveux noirs, il la brla aux bougies et en recueillit la cendre dans le papier qui avait envelopp les cheveux de la dauphine.
Alors il redescendit, et, tout en marchant, rveilla la jeune femme.
Le prlat, tout mu dimpatience, attendait, doutait.
Eh bien, monsieur le comte? dit-il.
Eh bien, monseigneur
Loracle?
Loracle a dit que vous pouviez esprer.
Il a dit cela? scria le prince transport.
Concluez, du moins, comme il vous plaira, monseigneur, loracle ayant dit que cette femme naimait pas son mari.
Oh! fit M. de Rohan avec un transport de joie.
Quant aux cheveux, dit Balsamo, il ma fallu les brler pour obtenir la rvlation par lessence; en voici les cendres que je vous rends scrupuleusement aprs les avoir recueillies, comme si chaque parcelle valait un million.
Merci, monsieur, merci, je ne pourrai jamais macquitter envers vous.
Ne parlons pas de cela, monseigneur. Une seule recommandation, dit-iclass="underline" nallez pas avaler les cendres dans du vin, comme font quelquefois les amoureux; cest dune sympathie si dangereuse que votre amour deviendrait incurable, tandis que le cur de lamante se refroidirait!
Ah! je naurai garde, dit le prlat presque pouvant. Adieu, monsieur le comte, adieu.
Vingt minutes aprs, le carrosse de Son minence croisait au coin de la rue des Petits-Champs la voiture de M. de Richelieu, quelle faillit renverser dans un de ces trous normes creuss par la construction dune maison.
Les deux seigneurs se reconnurent.
Eh! prince! dit Richelieu avec un sourire.
Eh! duc! rpliqua M. Louis de Rohan avec un doigt sur la bouche.
Et ils furent transports en sens inverse.
Chapitre 93. M. de Richelieu apprcie Nicole
M. de Richelieu sen allait droit au petit htel de M. de Taverney, rue Coq-Hron.
Grce au privilge que nous possdons de compter demi avec le Diable boiteux, et qui nous donne la facilit de pntrer dans chaque maison ferme, nous savons avant M. de Richelieu que le baron, devant sa chemine, les pieds sur dimmenses chenets sous lesquels se mourait un dbris de tison, sermonnait Nicole en lui prenant parfois le menton, malgr les petites moues rebelles et ddaigneuses de la jeune fille.
Nicole se ft-elle accommode de la caresse sans le sermon, ou bien et-elle prfr le sermon sans la caresse, voil ce que nous noserions affirmer.
La conversation roulait entre le matre et la servante sur un point important, cest--dire que jamais, de certaines heures du soir, Nicole narrivait exactement au coup de sonnette, quelle avait toujours quelque chose faire dans le jardin ou dans la serre, et que partout ailleurs quen ces deux endroits elle faisait mal son service.
quoi Nicole, se tournant et retournant avec une grce toute charmante et toute voluptueuse, rpondait:
Tant pis! moi, je mennuie ici, on mavait promis que jirais Trianon avec mademoiselle!
Ctait l-dessus que M. de Taverney avait cru devoir charitablement lui caresser les joues et le menton, sans doute pour la distraire.
Nicole, poursuivant son thme et repoussant toute consolation, dplorait son malheureux sort.
Cest vrai! gmissait-elle, je suis entre quatre vilains murs; je nai pas de socit, je nai presque pas dair; il y avait pour moi la perspective dun divertissement et dun avenir.
Quoi donc? dit le baron.
Trianon, donc! rpliqua Nicole; Trianon, o jaurais vu du monde, o jaurais vu du luxe, o jaurais regard et o lon maurait regarde.
Oh! oh! petite Nicole, fit le baron.
Eh! monsieur, je suis femme et jen vaux une autre.
Cordieu! voil parler, dit sourdement le baron. Cela vit, cela remue. Oh! si jtais jeune et si jtais riche!
Et il ne put sempcher de jeter un regard dadmiration et de convoitise sur tant de jeunesse, de sve et de beaut.
Nicole rvait et parfois simpatientait.
Allons, couchez-vous, monsieur, dit-elle, que je puisse aussi maller coucher, moi.
Encore un mot, Nicole.
Tout coup la sonnette de la rue fit tressaillir Taverney et bondir Nicole.
Qui peut venir, dit le baron, onze heures et demie du soir? Va voir, ma petite.
Nicole alla ouvrir, demanda le nom du visiteur, et laissa la porte de la rue entrebille.
Par cette ouverture bienheureuse, une ombre qui venait de la cour schappa, non sans faire assez de bruit pour que le marchal, car ctait lui, ne se retournt et ne vt la fuite.
Nicole revint lui, la bougie la main, lair tout panoui.
Tiens, tiens, tiens! dit le marchal en souriant et en la suivant au salon, ce vieux coquin de Taverney, il ne mavait parl que de sa fille.
Le duc tait un de ces gens qui nont pas besoin de regarder deux fois pour avoir vu, et vu compltement.
Lombre qui fuyait le fit penser Nicole; Nicole, lombre. Il devina sur la jolie figure de celle-ci ce que lombre tait venue faire, et aussitt, aprs avoir vu lil si malicieux, les dents si blanches et la taille si fine de la soubrette, il neut plus rien apprendre sur son caractre et ses gots.
Nicole annona, non sans un battement de cur, lentre du salon:
M. le duc de Richelieu!
Ce nom tait destin faire sensation ce soir-l. Il produisit un tel effet sur le baron, que celui-ci se leva de son fauteuil et marcha droit la porte, sans pouvoir en croire son oreille.
Mais, avant mme dtre arriv la porte, il aperut M. de Richelieu dans la pnombre du corridor.
Le duc! balbutia-t-il.
Mais oui, cher ami, le duc lui-mme, rpliqua Richelieu de sa voix la plus aimable. Oh! cela vous tonne, aprs la visite de lautre jour. Eh bien baron rien de plus vrai, pourtant Maintenant, la main, sil te plat.
Monsieur le duc, vous me comblez.
Tu nas plus desprit, mon cher, dit le vieux marchal en donnant sa canne et son chapeau Nicole pour sasseoir plus commodment dans un fauteuil; tu tencrotes, tu radotes tu ne sais plus ton monde, ce quil parat.
Cependant, duc, il me semble, rpondit Taverney fort mu, que ta rception de lautre jour tait tellement significative quil ny avait point a sy tromper.