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coute, mon vieil ami, rpondit Richelieu, lautre jour tu tes conduit comme un colier et moi comme un pdant; de toi moi, il ny avait que la frule. Tu veux parler, je veux ten pargner la peine; tu serais dans le cas de dire une sottise et moi de ten rpondre une autre. Sautons donc de lautre jour aujourdhui. Sais-tu ce que je viens faire ici ce soir?

Non, certes.

Je viens tapporter la compagnie que tu venais me demander avant-hier et que le roi a donne ton fils Que diable aussi, comprends donc les nuances; avant-hier, jtais quasi-ministre: demander tait une injustice; aujourdhui que jai refus le portefeuille et que je me retrouve le simple Richelieu dautrefois, je serais absurde en ne demandant pas. Jai demand. Jai obtenu, japporte.

Duc, est-ce bien vrai, et cette bont de ta part?

Est un effet naturel de mon devoir dami Le ministre refusait. Richelieu sollicite et donne.

Ah! duc, tu menchantes; tu es donc un vritable ami?

Pardieu!

Mais le roi, le roi qui me fait une telle faveur

Le roi ne sait pas seulement ce quil fait, ou peut-tre me tromp-je et le sait-il merveille.

Que veux-tu dire?

Je veux dire que Sa Majest a sans doute quelque motif en ce moment de dplaire madame du Barry, et que cest ce motif bien plus qu mon influence que tu dois la faveur quil taccorde.

Tu crois?

Jen suis sr, jy aide. Tu sais que cest cause de cette drlesse que jai refus le portefeuille?

On me la dit; mais, je lavoue

Que tu ny croyais pas. Allons, dis bravement.

Eh bien, bravement, je lavouerai

Cela veut dire que tu mas connu sans scrupules, nest-ce pas?

Cela veut dire du moins que je tai connu sans prjugs.

Mon cher, je vieillis, et je naime plus les jolies femmes que pour moi Et puis jai encore dautres ides Revenons ton fils, cest un charmant garon.

Fort mal avec le du Barry, qui tait chez toi quand jai eu la maladresse de my prsenter.

Je le sais, et voil pourquoi je ne suis pas ministre.

Bon!

Sans doute, mon ami.

Tu as refus le portefeuille pour ne pas dplaire mon fils?

Si je te le disais, tu ne le croirais pas: il nen est rien. Jai refus parce que les exigences des du Barry, qui commenaient par lexclusion de ton fils, eussent abouti des normits en tout genre.

Alors, tu es brouill avec ces espces?

Oui et non: ils me craignent, je les mprise, cest un prt pour un rendu.

Cest hroque, mais cest imprudent.

Pourquoi donc?

La comtesse a du crdit.

Peuh! fit Richelieu.

Comme tu dis cela!

Je le dis comme un homme qui sent le faible de la position, et qui, sil le fallait, attacherait le mineur au bon endroit pour faire sauter la place.

Je vois la vrit: tu rends service mon fils un peu pour piquer les du Barry.

Beaucoup pour cela, et ta perspicacit nest pas en dfaut; ton fils me sert de grenade, jincendie par son moyen Mais, propos, baron, est-ce que tu nas pas aussi une fille?

Oui.

Jeune?

Seize ans.

Belle?

Comme Vnus.

Qui habite Trianon.

Tu la connais donc?

Jai pass la soire avec elle, et jai caus delle une heure avec le roi.

Avec le roi? scria Taverney dont les joues sempourprrent.

En personne.

Le roi a parl de ma fille, de mademoiselle Andre de Taverney?

Quil dvore des yeux, oui, mon cher.

Ah! vraiment?

Je te contrarie en te disant cela?

Moi? Non, certes le roi mhonore en regardant ma fille mais

Mais quoi?

Cest que le roi

de mauvaises murs; est-ce cela que tu veux dire?

Dieu me prserve de parler mal de Sa Majest; elle a bien le droit davoir les murs quil lui plat davoir.

Eh bien, alors, que signifie cet tonnement? As-tu la prtention de faire que mademoiselle Andre ne soit pas une beaut accomplie, et que, par consquent, le roi ne la regarde pas dun il amoureux?

Taverney ne rpondit rien, il haussa seulement les paules et tomba dans une rverie o le poursuivit le regard impitoyablement inquisiteur de Richelieu.

Bon! je devine ce que tu dirais si, au lieu de penser tout bas, tu parlais tout haut, poursuivit le vieux marchal en rapprochant son fauteuil de celui du baron; tu dirais que le roi est habitu la mauvaise socit quil sencanaille, comme on dit aux Porcherons, et, par consquent, quil se gardera bien de tourner les yeux vers cette noble fille, au maintien pudique, aux chastes amours, et ne remarquera pas ce trsor de grces et de charmes de tout genre lui qui ne se prend quaux propos licencieux, quaux illades libertines et aux propos de grisette.

Dcidment tu es un grand homme, duc.

Et pourquoi cela?

Parce que tu as devin juste, dit Taverney.

Pourtant, avouez-le, baron, poursuivit Richelieu, il serait bien temps que notre matre ne nous fort pas, nous autres gentilshommes, nous pairs et compagnons du roi de France, baiser la main plate et avilie dune courtisane de cette espce. Il serait temps quil nous remt dans notre air, nous, et quaprs tre tomb de la Chteauroux, qui tait marquise et dun bois faire des duchesses, la Pompadour, fille et femme de traitant, puis de la Pompadour la du Barry, qui sappelle tout bonnement Jeanneton, il ne tombe pas de la du Barry quelque Maritorne de cuisine ou quelque Goton des champs. Cest humiliant pour nous, baron, qui avons une couronne au casque, de baisser la tte devant ces pronnelles.

Oh! que voil des vrits bien dites, murmura Taverney, et comme il est clair que le vide est fait la cour par ces nouvelles faons!

Plus de reine, plus de femmes; plus de femmes, plus de courtisans; le roi entretient une grisette, et le peuple est sur le trne, reprsent par mademoiselle Jeanne Vaubernier, lingre Paris.

Et cela est ainsi cependant, et

Vois-tu, baron, interrompit le marchal, il y aurait un bien beau rle pour une femme desprit qui voudrait rgner en France lheure quil est

Sans doute, dit Taverney, dont le cur battait; mais malheureusement la place est prise.

Pour une femme, continua le marchal, qui sans avoir les vices de ces prostitues, en aurait l hardiesse, le calcul et les vues; pour une femme qui pousserait si haut sa fortune, que lon en parlerait encore alors mme que la monarchie nexisterait plus. Sais-tu si ta fille a de lesprit, baron?

Beaucoup, et du bon sens surtout.

Elle est bien belle!

Nest-ce pas?

Belle de ce tour voluptueux et charmant qui plat tant aux hommes, belle de cette candeur et de cette fleur de virginit qui impose le respect aux femmes mmes Il faut bien soigner ce trsor-l, mon vieil ami.

Tu men parles avec un feu

Moi! cest--dire que jen suis amoureux fou, et que je lpouserais demain sans mes soixante-quatorze ans. Mais est-elle bien place l-bas? a-t-elle au moins ce luxe qui convient une si belle fleur? Songes-y, baron; ce soir, elle est rentre seule chez elle, sans femme, sans chasseur, avec un laquais du dauphin portant une lanterne devant elle: cela ressemble de la domesticit.

Que veux-tu, duc! tu le sais, je ne suis pas riche.

Riche ou non, mon cher, il faut au moins une femme de chambre ta fille.

Taverney soupira.

Je le sais bien, dit-il, quil la lui faut, ou plutt quil la lui faudrait.

Eh quoi! nen as-tu pas une?

Le baron ne rpondit pas.

Quest-ce que cette jolie fille, poursuivit Richelieu, que tu tenais l tout lheure? Jolie et fine, ma foi.

Oui, mais

Mais quoi, baron?

Je ne puis justement lenvoyer Trianon.

Pourquoi donc? Elle me semble, au contraire, convenir parfaitement lemploi; ce sera une soubrette quatre pingles.

Tu nas donc pas regard son visage, duc?

Moi? Je nai fait que cela.

Tu las regarde et tu nas pas constat sa ressemblance trange!