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Le lendemain au matin, une de ses voitures sans armoiries conduisit Nicole Trianon, la dposa prs de la grille avec son petit paquet et disparut.

Nicole, le front haut, lesprit libre et lespoir dans les yeux, vint, aprs stre informe, heurter la porte des communs.

Il tait dix heures du matin. Andre, dj leve et habille, crivait son pre pour linformer de cet heureux vnement de la veille, dont M. de Richelieu, comme nous lavons dit, stait fait le messager.

Nos lecteurs nont pas oubli quun perron de pierre conduit des jardins la chapelle du petit Trianon; que, sur le palier de cette chapelle, un escalier monte droite au premier tage, cest--dire aux chambres des dames de service, chambres quun long corridor clair sur les jardins borde comme une alle.

La chambre dAndre tait la premire gauche dans ce corridor. Elle tait assez spacieuse, bien claire sur la grande cour des curies, et prcde dune petite chambre flanque de deux cabinets droite et gauche.

Cette chambre, insuffisante si lon considre le train ordinaire des commensaux dune cour brillante, devenait une charmante cellule, trs habitable et trs riante comme retraite, aprs les agitations du monde qui peuplait le palais. L pouvait se rfugier une me ambitieuse pour dvorer les affronts ou les mcomptes de la journe; l aussi pouvait se reposer, dans le silence et la solitude cest--dire dans lisolement des grandeurs, une me humble et mlancolique.

En effet, plus de supriorit, plus de devoirs, plus de reprsentation, quand on avait une fois franchi ce perron et gravi cet escalier de la chapelle. Autant de calme quau couvent, autant de libert matrielle que dans la vie de prison. Lesclave au palais rentrait matre dans sa chambre des communs.

Une me douce et fire comme celle dAndre trouvait son compte en tous ces petits calculs, non pas quelle vint se reposer dune ambition due ou des fatigues dune fantaisie inassouvie; mais Andre pouvait penser plus laise dans ltroit quadrilatre de sa chambre que dans les riches salons de Trianon, sur ces dalles que son pied foulait avec tant de timidit quon et dit de la terreur.

De l, de ce coin obscur o elle se sentait bien sa place, la jeune fille regardait sans trouble toutes les grandeurs qui pendant le jour avaient bloui ses yeux. Au milieu de ses fleurs, avec son clavecin, entoure de livres allemands, qui sont une si douce compagnie aux gens qui lisent avec le cur, Andre dfiait le sort de lui envoyer un chagrin ou de lui ter une joie.

Ici, disait-elle, lorsque, le soir, aprs ses devoirs accomplis, elle revenait prendre son peignoir larges plis et respirer de toute son me comme de tous ses poumons, ici je possde peu prs tout ce que je possderai jusqu ma mort. Peut-tre me verrai-je un jour plus riche, mais jamais je ne me trouverai plus pauvre; il y aura toujours des fleurs, de la musique et une belle page pour recrer les isols.

Andre avait obtenu la permission de djeuner chez elle lorsque bon lui semblait. Cette faveur lui tait prcieuse. Elle pouvait, de cette faon, demeurer jusqu midi dans sa chambre, moins que la dauphine ne la ft demander pour quelque lecture ou quelque promenade matinale. Ainsi libre, dans les beaux jours elle partait le matin avec un livre et traversait seule les grands bois qui vont de Trianon Versailles, puis, aprs deux heures de promenade, de mditation et de rverie, elle rentrait pour djeuner, nayant aperu souvent ni un seigneur, ni un laquais, ni un homme, ni une livre.

La chaleur commenait-elle filtrer sous les pais ombrages, Andre avait sa petite chambre si frache, avec le double air de la fentre et de la porte du corridor. Un petit sofa recouvert dtoffe dindienne, quatre chaises pareilles, son chaste lit ciel rond, do tombaient des rideaux de la mme toffe que le meuble, deux vases de Chine sur la chemine, une table carre pieds de cuivre: voil de quoi se composait ce petit univers, aux confins duquel Andre bornait toutes ses esprances, limitait tous ses dsirs.

Nous disions donc que la jeune fille tait assise dans sa chambre et soccupait dcrire son pre lorsquun petit coup, discrtement frapp la porte du corridor, veilla son attention.

Elle leva la tte en voyant la porte souvrir, et poussa un lger cri dtonnement lorsque le visage radieux de Nicole apparut sortant de la petite antichambre.

Chapitre 95. Comment la joie des uns fait le dsespoir des autres

Bonjour, mademoiselle; cest moi, dit Nicole avec une joyeuse rvrence qui cependant, daprs la connaissance que la jeune fille avait du caractre de sa matresse, ntait pas exempte dinquitude.

Vous! et par quel hasard? rpliqua Andre en dposant sa plume pour mieux suivre la conversation qui sengageait ainsi.

Mademoiselle moubliait; moi, je suis venue.

Mais, si je vous oubliais, mademoiselle, cest que javais mes raisons pour cela. Qui vous a permis de venir?

M. le baron, sans doute, mademoiselle, dit Nicole en rapprochant dun air assez mcontent les deux beaux sourcils noirs quelle devait la gnrosit de M. Raft.

Mon pre a besoin de vous Paris, et, moi, je nai aucun besoin de vous ici Vous pouvez donc retourner, mon enfant.

Oh! mais, dit Nicole, mademoiselle na gure dattache Je croyais avoir plu bien davantage mademoiselle Aimez donc, ajouta philosophiquement Nicole, pour quon vous le rende de la sorte!

Et ses beaux yeux firent tous leurs efforts pour attirer une larme leurs paupires.

Il y avait assez de cur et de sensibilit dans le reproche pour exciter la compassion dAndre.

Mon enfant, dit-elle, ici lon me sert, et je ne puis me permettre de surcharger la maison de madame la dauphine dune bouche de plus.

Bon! comme si cette bouche tait bien grande! dit Nicole avec un charmant sourire.

Il nimporte, Nicole, ta prsence ici est impossible.

cause de cette ressemblance? dit la jeune fille. Vous navez donc pas regard ma figure, mademoiselle?

En effet, tu me parais change.

Je le crois bien; un beau seigneur, celui qui a fait donner un grade M. Philippe, est venu chez nous hier, et, comme il a vu M. le baron triste de vous laisser ici sans femme de chambre, il lui a cont que rien ntait plus facile que de me changer du blanc au noir. Il ma emmene, ma fait coiffer comme vous voyez; et me voici.

Andre sourit.

Tu maimes donc bien, dit-elle, que tu veux tout prix tenfermer Trianon, o je suis presque prisonnire?

Nicole jeta un rapide mais intelligent regard autour delle.

Cette chambre nest pas gaie, dit-elle; mais vous ny restez pas toujours?

Moi, sans doute, rpliqua Andre; mais toi?

Eh bien, moi?

Toi qui niras pas dans le salon, prs de madame la dauphine; toi qui nauras ni le jeu, ni la promenade, ni le cercle; toi qui resteras toujours ici, tu risques de mourir dennui.

Oh! dit Nicole, il y a bien quelque petite fentre; on pourra bien voir un coin de ce monde, ne ft-ce que par lembrasure dune porte. Si lon voit, on peut tre vue Voil tout ce quil me faut; ne vous inquitez pas de moi.

Je le rpte, Nicole, non, je ne puis te recevoir sans un ordre exprs.

De qui?

De mon pre.

Cest votre dernier mot?

Oui, cest mon dernier mot.

Nicole tira de sa gorgerette la lettre du baron de Taverney.

Alors, dit-elle, puisque mes prires et mon dvouement ne font pas deffet, voyons si la recommandation que voici aura plus de pouvoir.

Andre lut la lettre, qui tait ainsi conue:

Je sais, et lon remarque, ma chre Andre, que vous ne tenez pas Trianon ltat que votre rang vous commande imprieusement davoir; il vous faudrait deux femmes et un valet de pied, comme il me faudrait, moi, vingt bonnes mille livres de revenu; cependant, comme je me contente de mille livres, imitez-moi et prenez Nicole, qui vaut elle seule tout le domestique qui vous serait ncessaire.

Nicole est agile, intelligente et dvoue; elle prendra vite le ton et les manires de la localit; vous aurez le soin, non de stimuler, mais denchaner sa bonne volont. Gardez-la donc, et ne croyez pas que je fasse un sacrifice. Au cas o vous le croiriez, souvenez-vous que Sa Majest, qui a eu la bont de penser nous en vous voyant, a remarqu, ceci mest confi par un bon ami, que vous manquez de toilette et de reprsentation. Songez cela, cest dune haute importance.