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Votre affectionn pre.

Cette lettre jeta Andre dans une perplexit douloureuse.

Ainsi elle allait tre poursuivie jusque dans sa prosprit nouvelle par une pauvret que seule elle ne sentait pas tre un dfaut, lorsque tout la lui reprochait comme une tache.

Elle fut sur le point de briser sa plume avec colre et de dchirer la lettre commence, pour rpondre au baron quelque belle tirade pleine dun dsintressement philosophique que Philippe eut signe des deux mains.

Mais il lui sembla voir le sourire ironique du baron lorsquil lirait ce chef-duvre, et aussitt toute sa rsolution svanouit. Elle se contenta donc de rpondre ce factum du baron par un paragraphe annex aux nouvelles quelle lui mandait de Trianon.

Mon pre, ajouta-t-elle, Nicole arrive linstant mme, et je la reois sur votre dsir; mais ce que vous mavez crit son sujet ma dsespre. Serai-je moins ridicule, avec cette petite villageoise pour femme de chambre, que je ne ltais seule au milieu de ces opulents de la cour? Nicole sera malheureuse de me voir humilie; elle men saura mauvais gr; car les valets sont fiers ou humbles pour eux du luxe ou de la simplicit de leurs matres. Quant la remarque de Sa Majest, mon pre, permettez-moi de vous dire que le roi a tant desprit, quil ne peut men vouloir de mon impuissance faire la grande dame, et que Sa Majest, en outre, a trop de cur pour avoir remarqu ou critiqu ma misre, au lieu de la changer en une aisance que votre nom et vos services lgitimeraient aux yeux de tous.

Telle fut la rponse de la jeune fille, et il faut avouer que cette candide innocence, que cette noble fiert avaient bien facilement raison contre lastuce et la corruption de ses tentateurs.

Andre ne parla plus de Nicole. Elle la garda, en sorte que celle-ci, enthousiasme et joyeuse, elle savait bien pourquoi, dressa, sance tenante, un petit lit dans le cabinet de droite, donnant sur lantichambre, et se fit toute petite, tout arienne, tout exquise, pour ne gner en rien sa matresse par sa prsence dans ce rduit si modeste; on et dit quelle voulait imiter la feuille de rose que les savants de Perse avaient laiss tomber sur le vase plein deau, pour montrer quon y pouvait ajouter quelque chose sans faire dborder le contenu.

Andre partit pour Trianon vers une heure. Jamais elle navait t plus vite et plus gracieusement pare. Nicole stait surpasse: complaisances, attentions et intentions, rien navait manqu son service.

Lorsque mademoiselle de Taverney fut partie, Nicole se sentit matresse de la place et en fit la revue exacte. Tout passa par son examen, depuis les lettres jusquaux derniers colifichets de toilette, depuis la chemine jusquaux plus secrets recoins des cabinets.

Et puis on regarda par la fentre pour prendre lair du voisinage.

En bas, une vaste cour o les palefreniers pansaient et trillaient les chevaux de luxe de madame la dauphine. Des palefreniers, fi donc! Nicole dtourna la tte.

droite, une range de fentres sur le rang de la fentre dAndre. Quelques ttes y apparurent, ttes de femmes de chambre et de frotteurs. Nicole passa ddaigneusement un autre examen.

En face, des matres de musique faisaient rpter, dans une vaste chambre, des choristes et des instrumentistes pour la messe de Saint-Louis.

Nicole samusa, tout en poussetant, chantonner sa manire, de telle sorte quelle donna des distractions aux matres et que les choristes chantrent faux impunment.

Mais ce passe-temps ne pouvait longtemps suffire aux ambitions de mademoiselle Nicole; lorsque matres et coliers se furent suffisamment querells et tromps, la petite personne passa la revue de ltage suprieur. Toutes les fentres taient fermes; dailleurs, ctaient des mansardes.

Nicole se remit pousseter; mais, un moment aprs, une de ces mansardes tait ouverte sans quon et pu voir par quel mcanisme, car personne ne paraissait.

Quelquun cependant lavait ouverte, cette fentre; ce quelquun avait vu Nicole et ne restait pas la regarder; ctait un quelquun bien impertinent.

Voil du moins ce que pensa Nicole. Aussi, pour ne pas manquer, elle qui tudiait si consciencieusement, dtudier un visage dimpertinent, elle sattacha, au moindre tour quelle faisait dans la chambre dAndre, revenir prs de la fentre donner un coup dil la mansarde, cest--dire cet il ouvert qui lui manquait de respect en la privant de son regard, faute de prunelles. Une fois, elle crut remarquer quon avait fui lorsquelle approchait Cela ntait pas croyable, elle ne le crut pas.

Une autre fois, elle en fut peu prs sre, ayant vu le dos du fugitif, surpris par un retour plus prompt quil ne sy attendait.

Alors Nicole usa de ruse: elle se cacha derrire le rideau, en laissant la fentre toute grande ouverte, afin de ne donner aucun soupon.

Elle attendit longtemps; mais enfin des cheveux noirs apparurent, puis des mains craintives qui soutenaient en arc-boutant un corps pench avec prcaution; enfin la figure se montra distinctement dcouvert: Nicole faillit tomber la renverse et chiffonna tout le rideau.

Ctait la figure de M. Gilbert, qui regardait l du haut de cette mansarde.

Gilbert, en voyant le rideau trembler, comprit la ruse et ne reparut plus.

Bien mieux, la fentre de la mansarde se ferma.

Nul doute, Gilbert avait vu Nicole; il avait t stupfait. Il avait voulu se convaincre de la prsence de cette ennemie, et, se voyant dcouvert lui mme, il avait fui, plein de trouble et de colre.

Voil du moins comment Nicole interprta la scne, et elle avait bien raison: ctait bien ainsi quil convenait de linterprter.

En effet, Gilbert et mieux aim voir le diable que de voir Nicole; il se forgea mille terreurs de larrive de cette surveillante. Il avait contre elle un vieux levain de jalousie; elle savait son secret du jardin de la rue Coq-Hron.

Gilbert senfuit avec trouble, non pas seulement avec trouble, mais avec colre, mais en se mordant les doigts de rage.

Que mimporte prsent, se disait-il, ma sotte dcouverte dont jtais si fier! Que Nicole ait eu l-bas un amant, le mal est fait, et on ne la renverra pas pour cela ici; tandis quelle, si elle dit ce que jai fait rue Coq-Hron, peut me faire chasser de Trianon Ce nest pas moi qui tiens Nicole, cest Nicole qui me tient O rage!

Et tout lamour-propre de Gilbert, servant de stimulant sa haine, fit bouillonner son sang avec une violence inoue.

Il lui sembla quen entrant dans cette chambre, Nicole venait den faire envoler avec un diabolique sourire tous les heureux songes que Gilbert, de sa mansarde, y envoyait chaque jour avec ses vux, avec son ardent amour et avec ses fleurs. Gilbert avait trop penser pour stre occup jusque-l de Nicole; ou bien avait-il loign cette pense par la terreur quelle lui inspirait? Voil ce que nous ne dciderons pas. Mais ce que nous pouvons affirmer avec certitude, cest que la vue de Nicole fut pour lui une surprise essentiellement dsagrable.

Il sentait bien que la guerre se dclarerait tt ou tard entre Nicole et lui; mais, comme Gilbert tait un homme prudent et politique, il ne voulait pas que cette guerre comment avant quil ft en mesure de la faire nergique et bonne.

Il rsolut donc de contrefaire le mort jusqu ce que le hasard lui et donn une occasion favorable de ressusciter, ou jusqu ce que Nicole, par faiblesse ou par besoin, risqut son endroit une dmarche qui lui ft perdre tous ses avantages.

Cest pourquoi, tout yeux, tout oreilles pour Andre, mais circonspect, mais vigilant sans trve, il continua de se tenir au courant des affaires intrieures de la premire chambre du corridor, sans quune seule fois Nicole et pu le rencontrer dans les jardins.