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Malheureusement pour Nicole, elle ntait pas irrprochable, et, let-elle t pour le prsent, il y avait toujours dans son pass quelque pierre dachoppement sur laquelle on pouvait la faire chanceler.

Cest ce qui arriva au bout de huit jours. Gilbert, en guettant le soir, en guettant la nuit, finit par entrevoir travers les grilles un plumet qui ne lui tait pas inconnu. Ce plumet causait Nicole des distractions incessantes, car ctait celui de M. Beausire, qui, suivant la cour, avait migr de Paris Trianon.

Longtemps Nicole fit la cruelle, longtemps elle laissa M. Beausire grelotter au froid ou fondre au soleil, et cette vertu dsesprait Gilbert; mais, un beau soir, M. Beausire ayant dpass sans doute les limites de lloquence mimique et trouv la persuasion, Nicole profita du moment o Andre dnait dans le pavillon avec madame de Noailles, pour rejoindre M. Beausire, qui aidait son ami, le surveillant des curies, dresser un petit cheval dIrlande.

De la cour, on passa au jardin, et, du jardin, lavenue ombreuse qui conduit Versailles.

Gilbert suivit le couple amoureux avec la joie froce dun tigre qui vente une piste. Il compta leurs pas, leurs soupirs, apprit par cur ce quil entendit de leurs paroles, et il faut croire quil fut heureux du rsultat, car, le lendemain, affranchi de toute gne, il se montra chantonnant et dlibr sa mansarde, sans plus redouter dtre vu de Nicole, mais, au contraire, ayant lair de braver son regard.

Celle-ci reprisait une mitaine de soie brode sa matresse; au bruit de la chanson, elle leva la tte et vit Gilbert.

Sa premire manifestation fut une certaine moue ddaigneuse qui tournait laigre et sentait son hostilit dune lieue Mais Gilbert soutint ce regard et cette moue avec un si singulier sourire, il mit tant de provocation dans son maintien et dans sa faon de chanter, que Nicole baissa la tte et rougit.

Elle a compris, se dit Gilbert; cest tout ce que je demandais.

Depuis, il recommena le mme mange, et ce fut Nicole qui trembla; elle en vint au point de dsirer une entrevue avec Gilbert, pour se soulager le cur de ce poids quavaient lanc les regards ironiques du jeune jardinier.

Gilbert remarqua quon le recherchait. Il ne pouvait se mprendre aux petites toux sches qui rsonnaient prs de la fentre, lorsque Nicole le savait dans sa mansarde; aux alles et venues de la jeune fille dans le corridor, lorsquelle pouvait supposer quil allait descendre ou monter.

Un moment il fut heureux de ce triomphe, quil attribuait tout entier sa force de caractre et son esprit de conduite. Nicole le guetta si bien, quelle le vit une fois monter son escalier: elle lappela, il ne rpondit pas.

La jeune fille poussa plus loin sa curiosit ou sa crainte; elle ta un soir ses jolies mules talon, hritage dAndre, et se hasarda tremblante et rapide dans lappentis au fond duquel on voyait la porte de Gilbert.

Il faisait encore assez jour pour que ce dernier, prvenu de lapproche de la jeune fille, pt voir Nicole distinctement travers les jointures ou plutt les disjonctions des planches.

Elle vint heurter sa porte, sachant bien quil tait dans sa chambre.

Gilbert ne rpondit pas.

Ctait pourtant pour lui une dangereuse tentation. Il pouvait humilier son aise celle qui revenait ainsi demander son pardon. Il tait seul, ardent et frissonnant chaque nuit au souvenir de Taverney, lil coll la porte, dvorant la beaut fascinatrice de cette voluptueuse fille; surexcit par la sensation de son amour-propre, il levait dj la main pour tirer le verrou, quavec sa prvoyance et sa circonspection habituelles, il avait pouss pour ntre pas surpris.

Non, se dit-il, non; il ny a que calcul chez elle; cest par besoin et par intrt quelle vient me solliciter. Donc, elle y gagnerait quelque chose; qui sait, moi, ce que jy perdrais?

Et, sur ce raisonnement, il laissa retomber sa main son ct. Nicole, aprs avoir frapp deux ou trois fois la porte, sloigna en fronant le sourcil.

Gilbert conserva donc tous ses avantages; Nicole alors redoubla de ruse pour ne pas perdre entirement les siens. Enfin, tant de projets et de contremines se rduisirent ces mots que les deux parties belligrantes changrent un soir la porte de la chapelle, o le hasard les avait mises en prsence:

Tiens! bonsoir, monsieur Gilbert; vous tes donc ici?

Eh! bonsoir, mademoiselle Nicole; vous voil donc Trianon?

Comme vous voyez, femme de chambre de mademoiselle.

Et moi aide-jardinier.

L-dessus, Nicole fit une belle rvrence Gilbert, qui la salua en homme de cour; et ils se sparrent.

Gilbert remontait chez lui, il feignit de continuer sa route.

Nicole sortait de chez elle, elle poursuivit son chemin; seulement, Gilbert redescendit pas de loup et suivit Nicole, comptant bien quelle allait retrouver M. Beausire.

Il y avait en effet, sous les ombrages de lalle, un homme qui attendait; Nicole sen approcha; il faisait trop sombre dj pour que Gilbert reconnt M. Beausire et labsence du plumet lintrigua tellement, quil laissa revenir Nicole au logis et suivit lhomme au rendez-vous jusqu la grille de Trianon.

Ce ntait pas M. Beausire, mais un homme dun certain ge ou plutt dun ge certain, tournure de grand seigneur et dmarche fringante, malgr la vieillesse; en sapprochant, Gilbert, qui passa presque sous le nez de ce personnage avec une impudente audace, reconnut M. le duc de Richelieu.

Peste! dit-il, aprs lexempt le marchal de France; mademoiselle Nicole monte en grade!

Chapitre 96. Les parlements

Tandis que toutes ces intrigues subalternes, couves et closes sous les tilleuls et dans les fleurs de Trianon, composaient une existence anime aux cirons de ce petit monde, les grandes intrigues de la ville, temptes menaantes, ouvraient leurs vastes ailes au-dessus du palais de Thmis, comme lcrivait mythologiquement M. Jean du Barry sa sur.

Les parlements, reste dgnr de lancienne opposition franaise, avaient repris haleine sous la main capricieuse de Louis XV; mais, depuis que leur protecteur, M. de Choiseul, tait tomb, ils sentaient le danger sapprocher deux et sapprtaient le conjurer par des mesures aussi nergiques que la circonstance le permettait.

Toute grande commotion gnrale sembrase par une question personnelle, comme les grandes batailles de corps arms dbutent par des engagements de tirailleurs isols.

Depuis que M. de La Chalotais, prenant au corps M. dAiguillon, avait personnifi la lutte du tiers contre la fodalit, lesprit public sen tenait l et ne souffrait pas que la question ft dplace.

Or, le roi, que le parlement de Bretagne et ceux de la France entire avaient noy sous un dluge de reprsentations plus ou moins soumises et filiales, le roi venait, grce madame du Barry, de donner raison contre le tiers parti la fodalit, en nommant M. dAiguillon au commandement de ses chevau-lgers.

M. Jean du Barry lavait formul avec exactitude: ctait un rude soufflet sur la joue des ams et faux conseillers tenant cour de parlement.

Comment ce soufflet serait-il accept? Telle tait la question que la cour et la ville se posaient chaque matin au lever du soleil.

Les gens du parlement sont dhabiles gens et, l o beaucoup dautres sont embarrasss, ils voient clair.

Ils commencrent par bien sentendre entre eux sur lapplication et le rsultat du soufflet; aprs quoi, ils prirent la dtermination suivante, lorsquil fut bien arrt que le soufflet avait t donn et reu:

La cour du parlement dlibrera sur la conduite de lex-gouverneur de Bretagne, et donnera son avis.

Mais le roi para le coup en intimant aux pairs et aux princes la dfense de se rendre au palais pour assister quelque dlibration que ce ft touchant M. dAiguillon; ceux-ci obirent la lettre.

Alors le parlement, rsolu de faire sa besogne lui-mme, rendit un arrt dans lequel, dclarant que le duc dAiguillon tait gravement inculp et prvenu de soupon, mme de faits qui entachaient son honneur, ce pair tait suspendu des fonctions de la pairie jusqu ce que, par un jugement rendu en la cour des pairs dans les formes et avec les solennits prescrites par les lois et ordonnances du royaume, que rien ne peut suppler, il se ft pleinement purg des accusations et soupons entachant son honneur.