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Que me veut-on? demanda le duc dune voix mue.

Cest M. le duc dAiguillon que nous avons lhonneur de parler? dit lun des commissaires.

Je suis le duc dAiguillon, oui, messieurs.

Aussitt le commissaire, saluant profondment, tira de sa ceinture un acte en bonne forme dont il donna lecture haute et intelligible voix.

Ctait larrt circonstanci, dtaill, complet, qui dclarait le duc dAiguillon gravement inculp et prvenu de soupons, mme de faits qui entachaient son honneur, et le suspendait de ses fonctions de pair du royaume.

Le duc entendit cette lecture comme un homme foudroy entend le bruit du tonnerre. Il ne remua pas plus quune statue sur son pidestal, et navana pas mme la main pour prendre la copie de larrt que lui offrait le commissaire du parlement.

Ce fut le marchal qui, debout aussi, mais alerte et ingambe, prit ce papier, le lut et rendit le salut MM. les conseillers.

Ceux-ci taient dj loin que le duc dAiguillon demeurait encore dans la mme stupeur.

Voil un rude coup! dit Richelieu; tu nes plus pair de France, cest humiliant.

Le duc se retourna vers son oncle, comme si, ce moment seulement, il et repris la vie et la pense.

Tu ne ty attendais pas? dit Richelieu du mme ton.

Et vous, mon oncle? riposta dAiguillon.

Comment veux-tu quon aille se douter que le parlement frappera si vertement sur le favori du roi et de la favorite? Ces gens-l se feront pulvriser.

Le duc sassit, la main sur sa joue brlante.

Cest que, continua le vieux marchal enfonant le poignard dans la plaie, si le parlement te dgrade de la pairie pour la nomination au commandement des chevau-lgers, il te dcrtera de prise de corps et te condamnera au feu le jour o tu seras nomm ministre. Ces gens-l texcrent, dAiguillon, mfie-toi deux.

Le duc soutint cet horrible persiflage avec une constance de hros; son malheur le grandissait, il purait son me.

Richelieu crut que cette constance tait de linsensibilit, de linintelligence peut-tre, et que les piqres navaient pas t assez profondes.

Ntant plus pair, dit-il, tu seras moins expos la haine de ces robins Rfugie-toi dans quelques annes dobscurit. Dailleurs, vois-tu, lobscurit, ta sauvegarde, va te venir sans que tu le veuilles; dchu des fonctions de pair, tu arriveras au ministre plus difficilement, cela te tirera daffaire; tandis que, si tu veux lutter, mon ami, eh bien, tu as madame du Barry pour toi, elle te porte en son cur, et cest un solide appui.

M. dAiguillon se leva. Il ne rendit pas mme au marchal un regard de courroux pour toutes les souffrances que le vieillard venait de lui faire subir.

Vous avez raison, mon oncle, rpondit-il tranquillement, et votre sagesse perce dans ce dernier avis. Madame la comtesse du Barry, laquelle vous avez eu la bont de me prsenter, et qui vous avez dit de moi tant de bien et avec tant de vhmence que tout le monde en peut tmoigner Luciennes, madame du Barry me dfendra. Grce Dieu, elle maime, elle est brave, et elle a tout pouvoir sur lesprit de Sa Majest. Merci, mon oncle, de votre conseil, je my rfugie comme dans un port de salut. Mes chevaux! Bourguignon, Luciennes!

Le marchal resta au milieu dun sourire bauch.

M. dAiguillon salua respectueusement son oncle et quitta le salon, laissant le marchal fort intrigu, par-dessus tout confus de lacharnement quil avait mis mordre cette chair noble et vive.

Il y eut quelque consolation pour le vieux marchal dans la joie folle des Parisiens, lorsque, le soir, ils lurent les dix mille exemplaires de larrt, quon sarrachait dans les rues. Mais il ne put sempcher de soupirer quand Raft lui demanda compte de sa soire.

Il la lui raconta cependant sans rien taire.

Le coup est donc par? dit le secrtaire.

Oui et non, Raft; mais la blessure nest pas mortelle, et nous avons Trianon quelque chose de mieux que je me reproche de navoir pas uniquement soign. Nous avons couru deux livres, Raft Cest une grande folie

Pourquoi, si lon prend le bon? rpliqua Raft.

Eh! mon cher, le bon, souviens-toi de cela, cest toujours celui quon na pas pris, et, pour celui-l quon na pas, on donnerait toujours lautre, cest--dire celui quon tient.

Raft haussa les paules, et cependant M. de Richelieu navait pas tort.

Vous croyez, dit-il, que M. dAiguillon sortira de l?

Crois-tu que le roi en sorte, nigaud?

Oh! le roi fait un trou partout; mais il ne sagit pas du roi, que je sache.

O le roi passera, passera madame du Barry, qui tient de si prs au roi et par o madame du Barry aura pass, dAiguillon passera aussi, lui qui Mais tu nentends rien la politique, Raft.

Monseigneur, ce nest pas lavis de matre Flageot.

Bon! que dit ce matre Flageot? et quest-ce que cest, dabord?

Cest un procureur, monseigneur.

Aprs?

Eh bien, monsieur Flageot prtend que le roi lui-mme ne sen tirera pas.

Oh! oh! qui donc fera obstacle au lion?

Ma foi, monseigneur, ce sera le rat!

Matre Flageot, alors!

Il dit que oui.

Et tu le crois?

Je crois toujours un procureur qui promet de faire du mal.

Nous verrons, Raft, les moyens de matre Flageot.

Cest ce que je me dis, monseigneur.

Viens donc souper pour que je me couche Cela ma tout retourn de voir que mon pauvre neveu ntait plus pair de France et ne serait pas ministre. On est oncle, Raft, ou on ne lest pas.

M. de Richelieu se mit soupirer, et ensuite il se mit rire.

Vous avez pourtant bien ce quil faut pour tre ministre, lui rpliqua Raft.

Chapitre 98. M. dAiguillon prend sa revanche

Le lendemain du jour o le terrible arrt du parlement avait empli de bruit Paris et Versailles, lorsque lattente tait grande pour tout le monde de savoir quelle serait la suite de cet arrt, M. le duc de Richelieu, qui stait transport Versailles et avait repris sa vie rgulire, vit entrer chez lui Raft, tenant une lettre la main. Le secrtaire flairait et pesait cette lettre avec un air dinquitude qui se communiqua promptement au matre.

Quest-ce encore, Raft? demanda le marchal.

Quelque chose de peu agrable, jimagine, monseigneur, et qui est enferm l dedans.

Pourquoi imagines-tu cela?

Parce que la lettre est de M. le duc dAiguillon.

Ah! ah! fit le duc, de mon neveu?

Oui, monsieur le marchal. Au sortir du conseil du roi, un huissier de la chambre est venu et ma remis ce pli pour vous; voil dix minutes que je le tourne et le retourne sans pouvoir mempcher dy voir quelque mauvaise nouvelle.

Le duc tendit la main.

Donne, dit-il, je suis brave.

Je vous prviens, interrompit Raft, que lhuissier, en me remettant ce papier, a ri jusquau fond du gosier.

Diable! voil qui est inquitant; donne toujours, rpliqua le marchal.

Et quil a ajout: M. le duc dAiguillon recommande que M. le marchal ait ce message sur-le-champ.

Douleur! tu ne me feras pas dire que tu sois un mal! scria le vieux marchal en brisant le cachet dune main ferme.

Et il lut.

Eh! eh! vous faites la grimace, dit Raft les mains derrire le dos, en observateur.

Est-il possible! murmura Richelieu poursuivant sa lecture.

Cest srieux, ce quil parat?

Tu as lair enchant?

Sans doute, je vois que je ne mtais pas tromp.

Le marchal reprit sa lecture.

Le roi est bon, dit-il au bout dun instant.

Il nomme M. dAiguillon ministre?

Mieux que cela.

Oh! oh! quoi donc?

Lis et commente.

Raft lut son tour ce billet; il tait crit de la main mme du duc dAiguillon et conu en ces termes:

Mon cher oncle,

Votre bon conseil a port ses fruits: jai confi mes chagrins cette excellente amie de notre maison, madame la comtesse du Barry, qui a bien voulu dposer ma confidence dans le sein de Sa Majest. Le roi sest indign des violences que me font MM. du parlement, moi qui me suis employ si fidlement son service, et, dans son conseil de ce jour mme, Sa Majest a cass larrt du parlement et ma enjoint de continuer mes fonctions de pair de France.