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Je vous envoie, mon cher oncle, sachant bien tout le plaisir que vous fera cette nouvelle, la teneur de la dcision que Sa Majest a prise en conseil aujourdhui. Je lai fait copier par un secrtaire, et vous en avez notification avant qui que ce soit au monde.

Veuillez croire mon tendre respect, mon cher oncle, et me continuez vos bonnes grces et vos bons conseils.

Sign: Duc dAiguillon.

Il se moque de moi par-dessus le march, scria Richelieu.

Ma foi, je crois que oui, monseigneur.

Le roi! le roi! qui se jette dans le gupier.

Vous ne vouliez pas le croire hier.

Je nai pas dit quil ne sy jetterait pas, monsieur Raft, jai dit quil sen tirerait Or, tu vois quil sen tire.

Le fait est que le parlement est battu.

Et moi aussi!

Pour le moment, oui.

Pour toujours! hier, je le pressentais, et tu mas tant consol, quil ne pouvait manquer de marriver des dsagrments.

Monseigneur, vous vous dcouragez un peu tt, ce me semble.

Matre Raft, vous tes un niais. Je suis battu et je paierai lamende. Vous ne comprenez peut-tre pas tout ce quil y a de dsagrable pour moi tre la rise de Luciennes; lheure quil est, le duc me raille dans les bras de madame du Barry. Mademoiselle Chon et M. Jean du Barry font des gorges chaudes mon endroit; le ngrillon se bourre de bonbons en me faisant la nique. Corbleu! jai bon caractre, mais tout cela me rend furieux.

Furieux monseigneur?

Jai dit le mot, furieux!

Alors il ne fallait pas faire ce que vous avez fait, rpliqua philosophiquement Raft.

Vous my avez pouss, monsieur le secrtaire.

Moi?

Oui, vous.

Eh! quest-ce que cela me fait, que M. dAiguillon soit ou ne soit pas pair de France? Je vous le demande, monseigneur. Votre neveu ne me fait pas tort, ce me semble.

Monsieur Raft, vous tes un impertinent!

Il y a quarante-neuf ans que vous me le dites, monseigneur.

Et je vous le rpterai encore.

Pas quarante-neuf ans, voil qui me rassure.

Raft, si cest comme cela que vous prenez mes intrts!

Les intrts de vos petites passions, non, monsieur le duc, jamais Vous faites, tout homme desprit que vous tes, des sottises que je ne pardonnerais pas un cuistre tel que moi.

Expliquez-vous, monsieur Raft, et, si jai tort, je lavouerai.

Il vous a fallu hier une vengeance, nest-ce pas? Vous avez voulu voir lhumiliation de votre neveu, vous avez voulu apporter en quelque sorte larrt du parlement et compter les tressaillements et les palpitations de votre victime, comme dit M. de Crbillon le fils. Eh bien, monsieur le marchal, ces spectacles-l se payent gros; ces satisfactions-l cotent cher Vous tes riche, payez, monsieur le marchal, payez!

Queussiez-vous fait ma place, vous, monsieur le bel esprit? Voyons.

Rien jeusse attendu sans donner signe de vie; mais il vous dmangeait dopposer le parlement la du Barry, du moment o la du Barry trouvait M. dAiguillon plus jeune que vous.

Un grognement du marchal fut sa rponse.

Eh bien, poursuivit Raft, le parlement tait assez souffl par vous pour faire ce quil a fait; larrt lanc, vous offriez vos services votre neveu, qui ne se ft dout de rien.

Cela est bel et bon, et jadmets que jaie eu tort; mais alors vous deviez mavertir.

Moi, empcher de faire le mal? Vous me prenez pour un autre, monsieur le marchal; vous rptez tout venant que je suis votre crature, que vous mavez dress, et vous voudriez que je ne fusse pas ravi de voir se faire une sottise ou arriver un malheur? Allons donc!

Il arrivera un malheur, alors, monsieur le sorcier?

Certainement.

Lequel?

Cest que vous vous entterez, et que M. dAiguillon prendra le joint entre le parlement et madame du Barry; ce jour-l, il sera ministre, et vous, exil ou la Bastille.

Le marchal renversa de fureur tout le contenu de sa tabatire sur le tapis.

la Bastille! dit-il en haussant les paules: est-ce que Louis XV est Louis XIV?

Non; mais madame du Barry, double de M. dAiguillon, vaudra madame de Maintenon, prenez-y garde! et je ne sache pas aujourdhui de princesse du sang qui vous y aille porter des bonbons et la petite oie.

Voil bien des pronostics, rpliqua le marchal aprs un long silence Vous lisez dans lavenir; mais, pour le prsent, sil vous plat?

M. le marchal est trop sage pour quon lui donne des conseils.

Dis donc, monsieur le drle, ne vas-tu pas aussi te moquer de moi?

Faites attention, monsieur le marchal, que vous confondez les dates; on nappelle plus drle un homme pass quarante ans; jen ai soixante-sept.

Nimporte sors-moi de l, et vite! vite!

Par un conseil?

Par ce que tu voudras.

Il nest pas temps encore.

Dcidment, tu fais le plaisant.

Plt Dieu! Si je faisais le plaisant, cest que la circonstance serait plaisante et malheureusement, elle ne lest pas.

Quest-ce que cette dfaite: il nest pas temps?

Non, monseigneur, il nest pas temps. Si la notification de larrt du roi tait parvenue Paris, je ne dis pas Voulez-vous que nous expdiions un courrier M. le prsident dAligre?

Pour quon se moque plus tt de nous!

Quel amour-propre ridicule, monsieur le marchal! vous feriez perdre la tte un saint Tenez laissez-moi finir mon plan de descente en Angleterre, et achevez de vous noyer dans votre intrigue de portefeuille, puisque la besogne est moiti faite.

Le marchal connaissait les humeurs noires de M. Raft; il savait quune fois sa mlancolie dclare, le secrtaire ntait plus bon toucher avec des pincettes.

Voyons, ne me boude pas, dit-il, et, si je ne comprends pas, fais-moi comprendre.

Alors, monseigneur veut que je lui trace un plan de conduite?

Certainement, puisque tu prtends que je ne sais pas me conduire moi mme.

Eh bien, soit! coutez donc.

Jcoute.

Vous enverrez M. dAligre, dit Raft dun ton bourru, la lettre de M. dAiguillon, vous y joindrez larrt pris par le roi en son conseil. Vous attendrez que le parlement se soit assembl l-dessus et en ait dlibr, ce qui arrivera immdiatement; ensuite de quoi, vous monterez en carrosse et irez rendre une petite visite votre procureur, matre Flageot.

Plat-il? scria Richelieu, que ce nom fit bondir comme la veille. Encore M. Flageot! que diable matre Flageot a-t-il faire en tout ceci, et quirai-je, moi, faire chez un matre Flageot?

Jai eu lhonneur de vous dire, monseigneur, que matre Flageot tait votre procureur.

Eh bien, aprs?

Eh bien, sil est votre procureur, il a des sacs vous des procs quelconques vous irez lui demander des nouvelles de vos procs.

Demain?

Oui, monsieur le marchal, demain.

Mais cest votre affaire, cela, monsieur Raft.

Non pas, non pas Bon quand matre Flageot tait un simple gratte-papier; alors je pouvais traiter dgal gal avec lui: mais, comme partir de demain, matre Flageot est un Attila, un flau des rois, ni plus ni moins, ce nest pas trop dun duc et pair, marchal de France, pour confrer avec ce tout-puissant.

Tout cela, est-ce srieux, ou jouons-nous la comdie?

Vous verrez demain si cest srieux, monseigneur.

Mais encore, dis-moi ce qui marrivera chez ton matre Flageot?

Jen serais bien fch vous voudriez me prouver demain que vous aviez devin davance Bonsoir, monsieur le marchal. Rappelez-vous ceci: un courrier M. dAligre tout de suite, une visite matre Flageot demain. Ah! ladresse le cocher la sait, il my a conduit assez de fois depuis huit jours.