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Chapitre 100. O les choses sembrouillent de plus en plus

Madame de Barn profita littralement du conseil de Richelieu; deux heures et demie aprs que le duc leut quitte, elle faisait antichambre Luciennes, dans la socit de M. Zamore.

Il y avait dj quelque temps quon ne lavait vue chez madame du Barry; aussi sa prsence produisit-elle un effet de curiosit dans le boudoir de la comtesse, o son nom fut annonc.

M. dAiguillon non plus navait pas perdu son temps, et il complotait avec la favorite lorsque Chon vint demander audience pour madame de Barn.

Le duc voulait se retirer, madame du Barry le retint.

Jaime mieux que vous soyez l, dit-elle; au cas o ma vieille quteuse viendrait me faire un emprunt, vous me seriez fort utile, elle demandera moins.

Le duc demeura.

Madame de Barn, avec un visage compos pour la circonstance, prit en face de la comtesse le fauteuil que celle-ci lui offrit; et, les premires civilits changes:

Puis-je savoir quelle bonne chance vous amne, madame? demanda madame du Barry.

Ah! madame, dit la vieille plaideuse, un grand malheur!

Quoi donc, madame?

Une nouvelle qui affligera beaucoup Sa Majest

Dites vite, madame.

Les parlements

Ah! ah! grommela le duc dAiguillon.

M. le duc dAiguillon, se hta de dire la comtesse en prsentant son hte sa visiteuse, dans la crainte de quelque malentendu.

Mais la vieille comtesse tait aussi fine que tous les courtisans runis et elle ne faisait de malentendu qu bon escient, et lorsque le malentendu lui paraissait utile.

Je sais, dit-elle, toutes les turpitudes de ces robins, et leur peu de respect pour le mrite et pour la naissance.

Ce compliment, dcoch bout portant sur le duc, attira un beau salut de celui-ci la plaideuse, qui se leva et le lui rendit.

Mais, poursuivit-elle, ce nest plus de M. le duc quil sagit, cest de la population tout entire; les parlements refusent de fonctionner.

En vrit! scria madame du Barry en se renversant sur le sofa, il ny aura plus de justice en France? Eh bien, aprs? quel changement cela fera-t-il?

Le duc sourit. Madame de Barn, au lieu de prendre plaisamment la chose, assombrit encore plus son visage morose.

Cest un grand dsastre, madame, dit-elle.

Bah! vraiment? rpondit la favorite.

On voit bien, madame la comtesse, que vous avez le bonheur de navoir pas de procs.

Hum! fit M. dAiguillon pour appeler lattention de madame du Barry, qui comprit enfin linsinuation de la plaideuse.

Hlas! madame, dit-elle sur-le-champ, cest vrai: vous me rappelez que, si je nai pas de procs, vous avez un procs bien important, vous!

Oh! oui, madame! et tout retard me sera ruineux.

Pauvre dame!

Il faudrait, madame la comtesse, que le roi prt une rsolution.

Eh! madame, Sa Majest y est fort dispose: elle exilera MM. les conseillers, et tout sera dit.

Mais alors, madame, cest un ajournement indfini.

Voyez-vous un remde, madame? Veuillez nous lindiquer.

La plaideuse se cacha sous ses coiffes, comme Csar expirant sous sa toge.

Il y aurait bien un moyen, dit alors dAiguillon; mais Sa Majest reculera peut-tre lemployer.

Lequel? dit la plaideuse avec anxit.

La ressource ordinaire de la royaut, lorsquelle est un peu trop gne en France, cest de tenir un lit de justice et de dire: Je veux! alors que tous les opposants pensent: Je ne veux pas.

Excellente ide! scria madame de Barn dans lenthousiasme.

Mais quil ne faudrait pas divulguer, rpliqua finement dAiguillon, avec un geste que comprit madame de Barn.

Oh! madame, dit alors la plaideuse, madame, vous qui pouvez tant sur Sa Majest, obtenez quelle dise: Je veux quon juge le procs de madame de Barn. Dailleurs, vous le savez, cest chose promise, et depuis longtemps.

M. dAiguillon se pina les lvres, salua madame du Barry et quitta le boudoir. Il venait dentendre dans la cour le carrosse du roi.

Voici le roi! dit madame du Barry en se levant pour congdier la plaideuse.

Oh! madame, pourquoi ne me permettriez-vous pas de me jeter aux pieds de Sa Majest?

Pour lui demander un lit de justice? Je le veux bien, rpliqua vivement la comtesse. Demeurez ici, madame, puisque tel est votre dsir.

peine madame de Barn avait-elle rajust ses coiffes que le roi entra.

Ah! dit-il, vous avez des visites, comtesse?

Madame de Barn, sire.

Sire, justice! scria la vieille dame en faisant une profonde rvrence.

Oh! oh! scria Louis XV avec un persiflage inintelligible pour quiconque ne le connaissait pas; quelquun vous aurait-il offens, madame?

Sire, je demande justice.

Contre qui?

Contre le parlement.

Ah! bon! fit le roi en frappant dans ses mains; vous vous plaignez de mes parlements? Eh bien, faites-moi donc le plaisir de les mettre la raison. Jai aussi men plaindre, moi, et je vous demande justice galement, ajouta-t-il en imitant la rvrence de la vieille comtesse.

Sire, enfin vous tes le roi, vous tes le matre.

Le roi, oui; le matre, pas toujours.

Sire, exprimez votre volont.

Cest ce que je fais tous les soirs, madame; et eux, tous les matins, expriment aussi leur volont. Or, comme ces deux volonts sont diamtralement opposes lune de lautre, il en est de nous comme de la terre et de la lune, qui courent ternellement lune aprs lautre sans jamais se rencontrer.

Sire, votre voix est assez puissante pour couvrir toutes les criailleries de ces gens-l.

Cest ce qui vous trompe. Je ne suis pas avocat, moi, et eux le sont. Si je dis oui, ils disent non; impossible de sentendre Ah! si, quand jai dit oui, vous trouvez un moyen de les empcher de dire non, je fais alliance avec vous.

Sire, ce moyen, je lai.

Donnez-le-moi tout de suite.

Ainsi ferai-je, sire. Tenez un lit de justice.

Voil bien un autre embarras, dit le roi; un lit de justice! Y pensez-vous, madame? Cest quasi une rvolution.

Cest un moyen de dire en face ces gens rebelles que vous tes le matre. Vous savez, sire, que le roi, lorsquil manifeste ainsi sa volont, a seul droit de parler, nul ne rpond. Vous leur direz: Je veux, et ils baisseront la tte

Le fait est, dit la comtesse du Barry, que lide est pompeuse.

Pompeuse, oui, rpliqua Louis XV; bonne, non.

Cest cependant beau, poursuivit madame du Barry avec chaleur, le cortge, les gentilshommes, les pairs, toute la maison militaire du roi, puis une immense quantit de peuple, puis ce lit de justice compos de cinq oreillers fleurdeliss dor Ce serait une belle crmonie.

Vous croyez? dit le roi un peu branl dans ses convictions.

Et le magnifique habit du roi, le manteau doubl dhermine, les diamants de la couronne, le sceptre dor, tout cet clat qui convient un visage auguste et beau. Oh! que vous seriez splendide ainsi, sire!

Il y a fort longtemps quon na vu de lit de justice, dit Louis XV avec une nonchalance affecte.

Depuis votre enfance, sire, dit madame de Barn; le souvenir de votre resplendissante beaut est rest dans tous les curs.

Et puis, ajouta madame du Barry, ce serait une bonne occasion pour M. le chancelier de dployer sa rude et concise loquence, pour craser ces gens l sous la vrit, sous la dignit, sous lautorit.

Il faudra que jattende le premier mfait du parlement, dit Louis XV; alors je verrai.

Quattendriez-vous donc, sire, de plus norme que ce quil vient de faire?

Et qua-t-il donc fait? Voyons.

Vous ne le savez pas?

Il a un peu taquin M. dAiguillon, ce nest pas un cas pendable bien que, fit le roi en regardant madame du Barry, bien que ce cher duc soit de mes amis. Or, si les parlements ont taquin le duc, jai rpar leur mchancet par mon arrt dhier ou davant-hier, je ne me souviens plus. Nous voil donc manche manche.