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Madame la dauphine plit de colre. Elle se trouvait pour la premire fois en prsence de la rsistance populaire. Elle en calculait froidement la puissance.

Venue au lit de justice avec lintention dtre fort oppose, daspect du moins, la rsolution quon allait y prendre ou notifier, elle se sentit peu peu entrane faire cause commune avec ceux de sa race et de sa caste; si bien qu mesure que le chancelier mordait plus avant dans la chair parlementaire, cette jeune fiert sindignait de lui voir des dents si peu aigus; il lui semblait quelle et trouv, elle, des paroles qui eussent fait bondir cette assemble comme un troupeau de bufs sous laiguillon. Bref, elle trouva le chancelier trop faible et les parlementaires trop forts.

Louis XV tait physionomiste comme tous les gostes le seraient si, quelquefois, ils ntaient paresseux en mme temps qugostes. Il jeta les yeux autour de lui pour observer leffet de sa volont traduite par des paroles quil trouvait assez loquentes.

La pleur des lvres pinces de la dauphine lui rvlrent aussitt ce qui se passait dans cette me.

Comme contrepoids, il observa la physionomie de madame du Barry: au lieu du sourire vainqueur quil y comptait trouver, il ne vit quune violente envie dattirer sur elle les regards du roi, comme pour juger ce quil pensait.

Rien nintimide les esprits faibles comme dtre devancs par lesprit et la volont dautrui. Sils se voient observs par une rsolution dj prise, ils en concluent quils nont pas fait assez, quils vont tre ou ont t ridicules, quon avait le droit dexiger plus quils nont fait.

Alors ils passent aux extrmes, le timide devient rugissant, et une manifestation soudaine trahit leffet de cette raction produite par la peur sur une peur moins forte.

Le roi navait pas besoin dajouter un mot aux paroles de son chancelier, cela ntait pas dtiquette; cela ntait mme pas ncessaire. Mais, en cette occasion, il fut possd du dmon bavard, et, faisant un signe de la main, il montra quil allait parler.

Pour le coup, lattention devint de la stupeur.

On vit toutes les ttes des parlementaires faire volte-face vers le lit de justice avec la prcision de mouvement dune file de soldats instruits.

Les princes, les pairs, les militaires se sentirent mus. Il ntait pas impossible quaprs tant de bonnes choses qui avaient t dites, Sa Majest Trs Chrtienne ne dt une bonne grosse inutilit. Leur respect les empchait de dsigner autrement ce qui pouvait sortir de la bouche du roi.

On vit M. de Richelieu, qui avait affect de se tenir loin de son neveu, se rapprocher surtout par le coup dil et laffinit mystrieuse de lintelligence.

Mais son regard, qui commenait devenir rebelle, rencontra le clair regard de madame du Barry. Richelieu possdait comme personne lart prcieux des transitions: il passa du ton ironique au ton admiratif, et choisit la belle comtesse comme point dintersection entre les diagonales et ces deux extrmes.

Ce fut donc un sourire de flicitations et de galanterie quil adressa en passant madame du Barry; mais celle-ci nen fut pas dupe, dautant plus que le vieux marchal, qui avait commenc dentamer sa correspondance avec les parlementaires et les princes opposants, fut forc de la continuer pour ne pas paratre ce quil tait bien rellement.

Que de perspective dans une goutte deau, cet ocan pour lobservateur! Que de sicles dans une seconde, cette ternit indescriptible! Tout ce que nous disons l se passa dans le temps que Sa Majest Louis XV mit se prparer parler et ouvrir la bouche.

Vous avez entendu, dit-il dune voix ferme, ce que mon chancelier vous a fait savoir de mes volonts. Songez donc les excuter, car telles sont mes intentions et je ne changerai jamais!

Louis XV laissa tomber ces derniers mots avec le fracas et la vigueur de la foudre.

Aussi toute lassemble fut-elle littralement foudroye.

Un frisson passa sur tous les parlementaires, frisson de terreur qui se communiqua immdiatement la foule, comme ltincelle lectrique court rapide au bout du cordon. Ce mme frisson effleura aussi les partisans du roi. La surprise et ladmiration taient sur tous les fronts, dans tous les curs.

La dauphine remercia involontairement le roi par un clair parti de ses beaux yeux.

Madame du Barry, lectrise, ne put sempcher de se lever, et elle et battu des mains, sans la crainte bien naturelle quelle eut dtre lapide en sortant ou de recevoir le lendemain cent couplets plus odieux les uns que les autres.

Louis XV put jouir ds ce moment de son triomphe.

Les parlementaires inclinrent leurs fronts toujours avec le mme ensemble.

Le roi se souleva sur ses coussins fleurdeliss.

Aussitt le capitaine des gardes, le commandant de la maison militaire et tous les gentilshommes se levrent.

Le tambour battit, les trompettes sonnrent au dehors. Ce frmissement presque silencieux du peuple larrive se changea en un mugissement qui steignait au lointain, refoul par les soldats et les archers.

Le roi traversa firement la salle, sans voir autre chose sur son passage que des fronts humilis.

M. dAiguillon continua de prcder Sa Majest sans abuser de son triomphe.

Le chancelier, arriv la porte de la salle, vit au loin tout ce peuple, seffraya de tous ces clairs, qui, malgr la distance, arrivaient jusqu lui; il dit aux archers:

Serrez-moi.

M. de Richelieu, que saluait profondment le duc dAiguillon, dit son neveu:

Voil des fronts bien bas, duc; il faudra, un jour ou lautre, quils se relvent diablement haut. Prenez garde!

Madame du Barry passait en ce moment par le couloir avec son frre, la marchale de Mirepoix et plusieurs dames. Elle entendit le propos du vieux marchal et, comme elle avait plus de repartie que de rancune:

Oh! dit-elle, il ny a rien craindre, marchaclass="underline" navez-vous pas entendu les paroles de Sa Majest? Le roi a dit, ce me semble, quil ne changerait jamais.

Paroles terribles, en effet, madame, rpondit le vieux duc avec un sourire; mais ces pauvres parlementaires nont pas vu, heureusement pour nous, quen disant quil ne changerait jamais le roi vous regardait.

Et il termina ce madrigal par une de ces inimitables rvrences quon ne sait plus mme faire aujourdhui sur le thtre.

Madame du Barry tait femme et nullement politique. Elle ne vit que le compliment l o M. dAiguillon sentit parfaitement lpigramme et la menace.

Aussi fut-ce par un sourire quelle rpondit, tandis que son alli se mordit les lvres et plit de voir durer ce ressentiment du marchal.

Leffet du lit de justice fut immdiatement favorable la cause royale. Mais souvent un grand coup ne fait qutourdir, et il est remarquer que, aprs les tourdissements, le sang circule avec plus de vigueur et de puret.

Telle fut du moins la rflexion que fit, en voyant partir le roi avec son pompeux cortge, un petit groupe de gens vtus simplement et poss en observateurs au coin du quai aux Fleurs et de la rue de la Barillerie.

Ces hommes taient trois Le hasard les avait assembls cet angle et, de l, ils paraissaient avoir suivi avec intrt les impressions de la foule; et, sans se connatre, une fois mis en rapport par quelques mots changs, ils staient rendu compte de la sance avant mme quelle ft termine.

Voil les passions bien mries, dit lun deux, vieillard aux yeux brillants, la figure douce et honnte. Un lit de justice est une grande uvre.

Oui, rpondit en souriant avec amertume un jeune homme, oui, si luvre ralisait exactement les mots.

Monsieur, rpliqua le vieillard en se retournant, il me semble que je vous connais Je vous ai vu dj, je crois?

Dans la nuit du 31 mai. Vous ne vous trompez pas, monsieur Rousseau.

Ah! vous tes ce jeune chirurgien, mon compatriote, M. Marat?