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Voil maintenant que le travail apporte ses fruits; voil que toute la France demande Choiseul et se soulve pour le reprendre, comme les orphelins se lvent vers le Ciel quand Dieu a pris leur pre.

Les parlements usent du seul droit quils aient, linertie: les voil qui cessent de fonctionner. Dans un corps bien organis, comme doit tre un tat de premier ordre, la paralysie dun organe essentiel est mortelle; or, le parlement est au corps social ce que lestomac est au corps humain; les parlements noprant plus, le peuple, ces entrailles de ltat, ne travaillera et, par consquent, ne paiera plus; et lor, cest--dire le sang, leur fera dfaut.

On voudra lutter, sans doute; mais qui luttera contre le peuple? Ce nest point larme, cette fille du peuple, qui mange le pain du laboureur, qui boit le vin du vigneron. Resteront la maison du roi, les corps privilgis, les gardes, les Suisses, les mousquetaires, cinq ou six mille hommes peine! Que fera cette poigne de pygmes, quand le peuple se lvera comme un gant?

Quil se lve, alors, quil se lve! crirent plusieurs voix.

Oui, oui, luvre! cria Marat.

Jeune homme, je ne vous ai pas encore consult, dit froidement Balsamo.

Cette sdition des masses, continua-t-il, cette rvolte des faibles devenus forts par leur nombre contre le puissant isol, des esprits moins solides, moins mrs, moins expriments, la provoqueraient sur-le-champ et lobtiendraient mme avec une facilit qui mpouvante; mais, moi, jai rflchi; moi, jai tudi. Moi, jai descendu dans le peuple mme, et, sous ses habits, avec sa persvrance, avec sa grossiret que jempruntais, je lai vu de si prs, que je me suis fait peuple. Je le connais donc aujourdhui. Je ne me tromperai donc plus sur son compte. Il est fort, mais il est ignorant; il est irritable, mais il est sans rancune; en un mot, il nest pas mr encore pour la sdition telle que je lentends et telle que je la veux. Il lui manque linstruction qui lui fait voir les vnements sous le double jour de lexemple et de lutilit; il lui manque la mmoire de sa propre exprience.

Il ressemble ces hardis jeunes gens que jai vus en Allemagne, dans les ftes publiques, monter ardemment au sommet dun mt de navire, que le bailli avait fait garnir dun jambon et dun gobelet dargent; ils slanaient tout chauds de dsirs et faisaient le chemin avec une rapidit surprenante; mais, arrivs au but, quand il sagissait dtendre un bras pour saisir le prix, la force les abandonnait, ils se laissaient choir jusquen bas, aux hues de la multitude.

La premire fois, cela leur arrivait comme je viens de vous le dire; la seconde fois, ils mnageaient leurs forces et leur souffle; mais, prenant plus de temps, ils chouaient par la lenteur, comme ils avaient fait par la prcipitation; enfin, une troisime fois, ils prenaient un milieu entre la prcipitation et la lenteur, et, cette fois, ils russissaient. Voil le plan que je mdite. Des essais, toujours des essais qui, sans cesse, rapprochent du but, jusquau jour o la russite infaillible nous permettra de latteindre.

Balsamo cessa de parler, et, en cessant de parler, regarda son auditoire, dans lequel bouillonnaient toutes les passions de la jeunesse et de linexprience.

Parlez, frre, dit-il Marat, qui sagitait par dessus tous.

Je serai bref, dit Marat; les essais endorment les peuples quand ils ne les dcouragent pas. Les essais, voil la thorie de M. Rousseau, citoyen de Genve, grand pote, mais gnie lent et timide, citoyen inutile que Platon et chass de sa rpublique! Attendre! toujours attendre! Depuis lmancipation des communes, depuis la rvolte des maillotins, voil sept sicles que vous attendez! Comptez les gnrations qui sont mortes en attendant, et osez encore prendre pour devise de lavenir ce mot fataclass="underline" Attendre! M. Rousseau nous parle dopposition comme on en faisait dans le grand sicle, comme en faisaient, prs des marquises et aux genoux du roi, Molire avec ses comdies, Boileau avec ses satires, La Fontaine avec ses fables.

Pauvre et dbile opposition qui na pas fait dune semelle avancer la cause de lhumanit. Les petits enfants rcitent ces thories voiles sans les comprendre et sendorment en les rcitant. Rabelais aussi a fait de la politique, votre compte; mais, devant cette politique, on rit et lon ne se corrige pas. Or, depuis trois cents ans, avez-vous vu un seul abus redress? Assez de potes! assez de thoriciens! des uvres, des actions! Nous livrons depuis trois sicles la France la mdecine, et il est temps que la chirurgie y entre son tour, le scalpel et la scie la main. La socit est gangrene, arrtons la gangrne avec le fer. Celui-l peut attendre qui sort de table pour se coucher sur un tapis moelleux dont il fait enlever les feuilles de rose par le souffle de ses esclaves, car lestomac satisfait communique au cerveau de chatouillantes vapeurs qui le rcrent et le batifient; mais la faim, mais la misre, mais le dsespoir, ne se rassasient point, ne se soulagent point avec des strophes, des sentences et des fabliaux. Ils poussent de grands cris dans leurs grandes souffrances; sourd celui qui nentend pas ces lamentations; maudit celui qui ny rpond pas. Une rvolte, dt-elle tre touffe, clairera les esprits plus que mille ans de prceptes, plus que trois sicles dexemples; elle clairera les rois, si elle ne les renverse pas; cest beaucoup, cest assez!

Un murmure flatteur sexhala de quelques lvres.

O sont nos ennemis? poursuivit Marat; au-dessus de nous: ils gardent la porte des palais, ils entourent les degrs du trne; sur ce trne est le palladium, quils gardent avec plus de soin et de crainte que ne faisaient les Troyens. Ce palladium, qui les fait tout-puissants, riches, insolents, cest la royaut. cette royaut on ne peut arriver quen passant sur le corps de ceux qui la gardent, comme on ne peut arriver au gnral quen renversant les bataillons qui le protgent. Eh bien! force bataillons ont t renverss, nous raconte lhistoire, force gnraux ont t pris depuis Darius jusquau roi Jean, depuis Rgulus jusqu Duguesclin.

Renversons la garde, nous arriverons jusqu lidole; frappons dabord les sentinelles, nous frapperons ensuite le chef. Aux courtisans, aux nobles, aux aristocrates, la premire attaque; aux rois la dernire. Comptez les ttes privilgies: deux cent mille peine; promenez-vous, une baguette tranchante la main, dans ce beau jardin quon nomme la France et abattez ces deux cent mille ttes comme Tarquin faisait des pavots du Latium, et tout sera dit; et vous naurez plus que deux puissances en face lune de lautre, peuple et royaut. Alors, que la royaut, cet emblme, essaye de lutter avec le peuple, ce gant, et vous verrez. Quand les nains veulent abattre un colosse, ils commencent par le pidestal; quand les bcherons veulent abattre le chne, ils lattaquent par le pied. Bcherons, bcherons! prenons la hache, attaquons le chne par ses racines, et le chne antique, au front superbe, baisera le sable tout lheure.

Et vous crasera comme des pygmes en tombant sur vous, malheureux! scria Balsamo dune voix tonnante. Ah! vous vous dchanez contre les potes, et vous parlez par mtaphores plus potiques et plus images que les leurs! Frre, frre! continua-t-il en sadressant Marat, vous avez pris ces phrases, je vous le dis, dans quelque roman que vous laborez dans votre mansarde.

Marat rougit.

Savez-vous ce que cest quune rvolution? continua Balsamo. Jen ai vu deux cents, moi, et je puis vous le dire. Jai vu celles de lgypte antique, jai vu celles de lAssyrie, celles de la Grce, celles de Rome, celles du Bas-Empire. Jai vu celles du moyen ge, o les peuples se ruaient les uns sur les autres, orient sur occident, occident sur orient, et sgorgeaient sans sentendre. Depuis celles des rois pasteurs jusqu nous, il y a eu cent rvolutions, peut-tre. Et tout lheure vous vous plaigniez dtre esclaves. Les rvolutions ne servent donc rien. Pourquoi cela? Cest que ceux qui faisaient des rvolutions taient tous atteints du mme vertige: ils se htaient.