Est-ce que Dieu, qui prside aux rvolutions des hommes, se hte, lui?
Renversez! renversez le chne! criez-vous, et vous ne calculez pas que le chne, qui met une seconde tomber, couvre autant de terrain en tombant quun cheval, lanc au galop, en parcourrait en trente secondes. Or, ceux qui abattaient le chne, nayant pas le temps dviter sa chute imprvue, taient perdus, briss, anantis sous son immense ramure. Voil ce que vous voulez, nest-ce pas? Vous ne lobtiendrez pas de moi. Comme Dieu, jai su vivre, vingt, trente, quarante ges dhomme. Comme Dieu, je suis ternel. Comme Dieu, je serai patient. Je porte mon sort, le vtre, celui du monde dans le creux de cette main. Nul ne me fera ouvrir cette main pleine de vrits tonnantes que je ne consente louvrir. Cest la foudre quelle contient, je le sais; eh bien, la foudre y sjournera comme dans la droite toute-puissante de Dieu.
Messieurs, messieurs, abandonnons ces hauteurs trop sublimes et redescendons sur la terre.
Messieurs, je vous le dis avec simplicit et avec conviction, il nest pas temps encore; le roi qui rgne est un dernier reflet du grand roi que le peuple vnre encore, et il y a dans cette majest qui sefface quelque chose dassez blouissant encore pour balancer les clairs de vos petits ressentiments.
Celui-l est un roi, il mourra roi; sa race est insolente, mais pure. Son origine, vous pouvez la lire sur son front, dans un geste, dans sa voix. Il sera toujours le roi, celui-l. Abattons-le, et il arrivera ce qui est arriv Charles Ier; ses bourreaux se prosterneront devant lui, et les courtisans de son malheur, comme Lord Capell, baiseront la hache qui aura tranch la tte de leur matre.
Or, messieurs, vous le savez tous, lAngleterre sest hte. Le roi Charles Ier est mort sur lchafaud cest vrai; mais le roi Charles II, son fils, est mort sur le trne.
Attendez, attendez, messieurs; car voil que les temps vont devenir propices.
Vous voulez dtruire les lis. Cest notre devise tous: Lilia pedibus destrue; mais il ne faut pas quune seule racine permette la fleur de saint Louis lespoir de refleurir encore. Vous voulez dtruire la royaut? Pour que la royaut soit dtruite jamais, il faut quelle soit affaiblie de prestige et dessence. Vous voulez dtruire la royaut? Attendez que la royaut ne soit plus un sacerdoce, mais un emploi; quelle ne sexerce plus dans un temple, mais dans une boutique. Or, ce quil y a de plus sacr dans la royaut, cest--dire la lgitime transmission du trne autorise depuis des sicles par Dieu et par les peuples, sen va, perdue pour jamais! coutez! coutez! cette invincible, cette infranchissable barrire place entre nous, gens de rien, et ces cratures quasi divines, cette limite que les peuples nont jamais os franchir et quon appelle la lgitimit, ce mot brillant comme un phare, et qui jusquaujourdhui a garanti la royaut du naufrage, ce mot va steindre sous le souffle de la mystrieuse fatalit.
La dauphine, appele en France pour perptuer la race des rois par le mlange du sang imprial, la dauphine, marie depuis un an lhritier du trne de France Approchez-vous, messieurs, car je crains de faire passer au del de votre cercle le bruit de mes paroles.
Eh bien? demandrent avec anxit les six chefs.
Eh bien, messieurs, la dauphine est encore vierge!
Un murmure sinistre qui et fait fuir tous les rois du monde, tant il renfermait de joie haineuse et de triomphe vengeur, schappa comme une vapeur mortelle de ce cercle troit des six ttes, qui se touchaient presque, domines quelles taient par celle de Balsamo, pench sur elles du haut de son estrade.
Dans cet tat de choses, continua Balsamo, il se prsente deux hypothses, toutes deux galement profitables notre cause.
La premire, cest que la dauphine reste strile, et alors la race steint, alors lavenir ne laisse nos amis ni combats, ni difficults, ni troubles. Il en arrivera de cette race marque davance pour la mort, ce qui est arriv en France chaque fois que trois rois se sont succd; ce qui est arriv aux fils de Philippe le Beclass="underline" Louis le Hutin, Philippe le Long et Charles IV, morts sans postrit, aprs avoir rgn tous trois; ce qui est arriv aux trois fils de Henri II: Franois II, Charles IX et Henri III, morts sans postrit aprs avoir rgn tous trois. Comme eux, M. le dauphin, M. le comte de Provence et M. le comte dArtois rgneront tous trois et tous trois mourront sans enfants, comme les autres sont morts: cest la loi de la destine.
Puis, comme aprs Charles IV, le dernier de la race captienne, est venu Philippe VI de Valois, collatral des rois prcdents; comme, aprs Henri III, le dernier de la race des Valois, est venu Henri IV de Bourbon, collatral de la race prcdente; aprs le comte dArtois, inscrit au livre de la fatalit comme le dernier des rois de la branche ane, viendra peut-tre quelque Cromwell ou quelque Guillaume dOrange, tranger soit la race, soit lordre naturel de succession.
Voil ce que nous donne la premire hypothse.
La seconde, cest que madame la dauphine ne reste pas strile. Et voil le pige o nos ennemis vont se prcipiter en croyant nous y jeter nous-mmes. Oh! si la dauphine ne reste pas strile, si la dauphine devient mre, alors que tous se rjouiront la cour et croiront la royaut consolide en France, nous pourrons nous rjouir aussi, nous; car nous possderons un secret si terrible, que nul prestige, nulle puissance, nuls efforts ne tiendront contre les crimes que ce secret renfermera, prs des malheurs qui rsulteront pour la future reine de cette fcondit; car cet hritier quelle donnera au trne, nous le ferons facilement illgitime, car cette fcondit, nous la dclarerons facilement adultre. Si bien que, prs de ce bonheur factice que semblera leur avoir accord le ciel, la strilit et t un bienfait de Dieu. Voil pourquoi je mabstiens, messieurs; voil pourquoi jattends, mes frres; voil pourquoi, enfin, je juge inutile de dchaner aujourdhui les passions populaires, que jemploierai efficacement lorsque le temps sera venu.
Maintenant, messieurs, vous connaissez le travail de cette anne; vous voyez le progrs de nos mines. Persuadez-vous donc que nous ne russirons quavec le gnie et le courage des uns, qui seront les yeux et le cerveau; quavec la persvrance et le labeur des autres, qui reprsenteront les bras; quavec la foi et le dvouement des autres encore, qui seront le cur.
Pntrez-vous surtout de cette ncessit dune obissance aveugle qui fait que votre chef lui-mme simmolera la volont des statuts de lordre, le jour o les statuts lexigeront.
Sur ce, messieurs et frres bien-aims, je lverais la sance, sil ne me restait un bien faire, un mal indiquer.
Le grand crivain qui est venu nous ce soir, et qui et t des ntres sans le zle intempestif dun de nos frres, qui a effray cette me timide, ce grand crivain, disons-nous, a eu raison de notre assemble, et je dplore comme un malheur quun tranger ait raison devant une majorit de frres qui connaissent mal nos rglements et ne connaissent pas du tout notre but.
Rousseau, triomphant avec les sophismes de ses livres des vrits de notre association, reprsente un vice fondamental que jextirperais avec le fer et le feu, si je navais encore lespoir de le gurir par la persuasion. Lamour-propre dun de nos frres sest dvelopp fcheusement. Il nous a donn le dessous dans la discussion; aucun fait pareil ne se reprsentera plus, je lespre, ou bien jaurais recours aux voies de discipline.
Maintenant, messieurs, propagez la foi par la douceur et la persuasion; insinuez-la, ne limposez pas, ne lenfoncez pas dans les mes rebelles coups de maillet et de hache, comme font les inquisiteurs des coins du bourreau. Souvenez-vous que nous ne serons grands quaprs avoir t reconnus bons, et quon ne nous reconnatra bons quen paraissant meilleurs que tout ce qui nous entoure; rappelez-vous encore que, parmi nous, les bons et les meilleurs ne sont rien sans la science, lart et la foi; rien enfin prs de ceux que Dieu a marqus dun sceau particulier pour commander aux hommes et rgir un empire.