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Messieurs, la sance est leve.

Ces paroles prononces, Balsamo se couvrit la tte et senveloppa de son manteau.

Chacun des initis partit alors son tour, seul et silencieux, pour ne pas veiller de soupons.

Chapitre 105. Le corps et lme

Le dernier rest prs du matre fut Marat, le chirurgien.

Il sapprocha humblement et fort ple du terrible orateur dont la puissance tait illimite.

Matre, demanda-t-il, ai-je donc, en effet, commis une faute?

Une grande, monsieur, dit Balsamo; et, ce quil y a de pis, cest que vous ne croyez pas lavoir commise.

Eh bien oui, je lavoue; non seulement je ne crois pas avoir commis une faute, mais je crois avoir parl comme il convient.

Orgueil! orgueil! murmura Balsamo; orgueil, dmon destructeur! Les hommes vont combattre la fivre dans les veines du malade, la peste dans les eaux et dans les airs; mais ils laissent lorgueil pousser de si profondes racines dans leurs curs, quils ne peuvent parvenir lextirper.

Oh! matre, dit Marat, vous avez de moi une bien triste opinion. Suis-je donc, en effet, si peu de chose, que je ne puisse compter parmi mes semblables? Ai-je si mal recueilli le fruit de mes travaux, que je sois incapable de dire un mot sans tre tax dignorance? Suis-je donc un si tide adepte, que lon suspecte ma conviction? Neuss-je que cela, jexiste au moins par le dvouement la sainte cause du peuple.

Monsieur, rpliqua Balsamo, cest parce que le principe du bien lutte encore en vous contre celui du mal, qui me parat devoir lemporter un jour, que je tenterai de vous corriger de ces dfauts. Si je dois y russir, si lorgueil ne la pas dj emport en vous sur tout autre sentiment, jy russirai en une heure.

En une heure? dit Marat.

Oui. Voulez-vous me donner cette heure?

Certainement.

O vous verrai-je?

Matre, cest moi daller vous trouver au rendez-vous que vous voudrez bien fixer votre serviteur.

Eh bien, dit Balsamo, jirai chez vous.

Faites attention lengagement que vous prenez, matre; jhabite une mansarde, rue des Cordeliers. Une mansarde, vous entendez, dit Marat avec une affectation de simplicit orgueilleuse, avec une fanfaronnade de misre qui nchappa point Balsamo, tandis que vous

Tandis que moi?

Tandis que vous, vous habitez, dit-on, un palais.

Celui-ci haussa les paules, comme ferait un gant qui, du haut de sa taille, mesurerait les colres dun nain.

Eh bien, soit, monsieur, rpondit-il, jirai vous voir dans votre mansarde.

Quand cela, monsieur?

Demain.

quelle heure?

Le matin.

Cest quau point du jour, je vais mon amphithtre et, de l, lhpital.

Prcisment, cest ce quil me faut. Je vous eusse demand de my conduire si vous ne me leussiez pas propos.

Vous entendez, de bonne heure. Je dors peu, dit Marat.

Et moi, je ne dors pas, rpondit Balsamo. Ainsi donc, au point du jour.

Je vous attendrai.

L-dessus, ils se sparrent, car ils taient arrivs la porte de la rue, aussi sombre et aussi solitaire au moment de leur sortie quelle tait peuple et bruyante au moment de leur entre.

Balsamo prit gauche et disparut rapidement.

Marat limita en tirant droite avec ses jambes longues et grles.

Balsamo fut exact: six heures du matin, il heurtait, le lendemain, la porte du palier qui, centre dun long corridor perc de six portes, formait le dernier tage dune vieille maison de la rue des Cordeliers.

Marat, on le voyait bien, avait tout prpar pour recevoir plus dignement son hte illustre. Le maigre lit de noyer, la commode dessus de bois, reluisaient de propret sous le chiffon de laine dune femme de mnage, qui sescrimait tour de bras sur ces meubles vermoulus.

Marat lui-mme prtait une aide active cette femme et rafrachissait dans un petit pot de faence bleue des fleurs ples et tioles, le principal ornement de la mansarde.

Il tenait encore un torchon de toile sous le bras, ce qui indiquait quil navait touch aux fleurs quaprs avoir donn son coup de main aux meubles.

Comme la clef tait la porte et que Balsamo tait entr sans frapper, il surprit Marat dans cette occupation.

Marat, la vue du matre, rougit beaucoup plus quil ne convenait un stocien vritable.

Vous voyez, monsieur, dit-il en jetant sournoisement derrire un rideau le torchon rvlateur, je suis homme de mnage, et jaide cette bonne femme. Je choisis louvrage, par exemple, ce qui nest peut-tre pas dun bon plbien, mais qui nest pas non plus tout fait dun grand seigneur.

Cest dun jeune homme pauvre et qui aime la propret, dit froidement Balsamo, voil tout. tes-vous bientt prt, monsieur? Vous savez que mes moments sont compts.

Je passe mon habit, monsieur Dame Grivette, mon habit Cest ma portire, monsieur; cest mon valet de chambre, cest ma cuisinire, cest mon intendant, et elle me cote un cu par mois.

Je loue lconomie, dit Balsamo; cest la richesse des pauvres, cest la sagesse des riches.

Mon chapeau, ma canne, dit Marat.

Allongez la main, dit Balsamo; voil votre chapeau, et sans doute cette canne, qui est prs de votre chapeau, est la vtre.

Oh! pardon, monsieur, je suis tout confus.

tes-vous prt?

Oui, monsieur. Ma montre, dame Grivette.

Dame Grivette se tourna et se retourna, mais ne rpondit point.

Vous navez pas besoin de montre, monsieur, pour aller lamphithtre et lhpital; on serait peut-tre longtemps la retrouver, et cela nous retarderait.

Cependant, monsieur, je tiens beaucoup ma montre, qui est excellente et que jai achete force dconomies.

En votre absence, dame Grivette la cherchera, rpondit Balsamo avec un sourire; et, si elle cherche bien, votre retour, elle sera retrouve.

Oh! certainement, dit dame Grivette, elle sera retrouve, si toutefois monsieur ne la pas laisse ailleurs; rien ne se perd ici.

Vous voyez bien, dit Balsamo. Allons, monsieur, allons.

Marat nosa point insister et suivit Balsamo tout en grommelant.

Lorsquils furent la porte:

O allons-nous dabord? dit Balsamo.

lamphithtre, si vous voulez, matre; jy ai dsign un sujet qui a d mourir cette nuit dune mningite aigu; jai des observations faire sur son cerveau, et je ne voudrais pas que mes camarades me le prissent.

Allons donc lamphithtre, monsieur Marat.

Dautant plus que ce nest qu deux pas dici; que lamphithtre touche lhpital, et que nous ne faisons quentrer et sortir; vous pouvez mme mattendre la porte.

Au contraire, je dsire entrer avec vous: vous me direz votre opinion sur le sujet.

Quand il tait un corps, monsieur?

Non, depuis quil est un cadavre.

Hol! prenez-y garde, dit Marat en souriant; je pourrai gagner un point sur vous, car je connais cette partie de ma profession et suis, dit-on, un assez habile anatomiste.

Orgueil, orgueil, toujours orgueil! murmura Balsamo.

Que dites-vous? demanda Marat.

Je dis que nous allons voir cela, monsieur, rpliqua Balsamo. Entrons.

Marat sengagea le premier dans lalle troite qui conduisait cet amphithtre, au bout de la rue Hautefeuille.

Balsamo le suivit sans hsiter jusque dans la salle longue et troite o, sur une table de marbre, on voyait deux cadavres tendus, lun de femme lautre dhomme.

La femme tait morte jeune. Lhomme tait vieux et chauve; un mchant suaire leur voilait le corps, en laissant leurs visages moiti dcouverts.

Tous deux taient couchs cte cte sur ce lit glac, eux qui jamais peut-tre ne staient vus en ce monde, et dont les mes, voyageant alors dans lternit, devaient tre bien surprises de voir un pareil voisinage leurs enveloppes mortelles.