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Lavez-vous quitt jeune? demanda Balsamo.

dix ans, monsieur.

Les incisions taient faites, le chirurgien approchait la scie de los.

Mon ami, dit Balsamo, chantez-moi donc cette chanson que les sauniers de Batz chantent en rentrant le soir, aprs la journe faite. Je ne me rappelle que le premier vers:

mon sel couvert dcume.

La scie mordait les os.

Mais, linvitation de Balsamo, le malade sourit et commena de chanter mlodieusement, lentement, en extase, comme un amant ou comme un pote:

mon sel couvert dcume, mon lac couleur du ciel, mon four, tourbe qui fume; mon sarrasin de miel; ma femme, mon vieux pre, mes enfants bien-aims; la tombe o dort ma mre, Sous les gents parfums; Salut! la journe est faite, Et me voici de retour: Aprs le labeur, la fte, Aprs labsence, lamour.

La jambe tomba sur le lit que le malade chantait encore.

Chapitre 106. Lme et le corps

Chacun regardait le patient avec tonnement, le mdecin avec admiration.

Il en fut qui dirent que tous deux taient fous.

Marat traduisit cette opinion loreille de Balsamo:

La terreur a fait perdre lesprit au pauvre diable, dit-il; voil pourquoi il ne souffre plus.

Je ne crois pas, dit Balsamo, et, bien loin quil ait perdu lesprit, je suis sr, si je linterrogeais, quil nous dirait, sil doit mourir, le jour de sa mort; sil doit vivre, le temps que durera sa convalescence.

Marat fut prs de partager lopinion gnrale, cest--dire de croire Balsamo aussi fou que le patient.

Cependant le chirurgien liait activement les artres, do schappaient des flots de sang.

Balsamo tira de sa poche un flacon, versa sur un tampon de charpie quelques gouttes de leau que ce flacon renfermait, et pria le chirurgien en chef dappliquer cette charpie sur les artres.

Celui-ci obit avec une certaine curiosit.

Ctait un des plus clbres praticiens de cette poque, un homme vraiment amoureux de la science, qui ne rpudiait aucun de ses mystres, et pour qui le hasard ntait que le pis-aller du doute.

Il appliqua le petit tampon sur lartre, qui frmit, bouillonna, et ne laissa plus passer le sang que goutte goutte.

Ds lors il put lier lartre avec la plus grande facilit.

Pour le coup, Balsamo obtint un vritable triomphe, et chacun lui demanda o il avait tudi et de quelle cole il tait.

Je suis un mdecin allemand de lcole de Gttingue, dit-il, et jai fait la dcouverte que vous voyez. Je dsire cependant, messieurs et chers confrres, que cette dcouverte demeure encore un secret, car jai grand-peur du fagot, et le parlement de Paris se dciderait peut-tre juger encore une fois pour le plaisir de condamner un sorcier au feu.

Le chirurgien en chef demeurait rveur.

Marat rvait et rflchissait.

Cependant il reprit le premier la parole.

Vous prtendiez, dit-il, tout lheure que, si vous interrogiez cet homme sur le rsultat de cette opration, il rpondrait srement, quoique ce rsultat soit encore cach dans lavenir?

Je le prtends encore, dit Balsamo.

Eh bien, voyons.

Comment sappelle ce pauvre diable?

Il sappelle Havard, rpondit Marat.

Balsamo se retourna vers le patient, dont la bouche fredonnait encore les dernires notes du plaintif refrain.

Eh bien, mon ami, lui demanda-t-il, quaugurez-vous de ltat de ce pauvre Havard?

Ce que jaugure de son tat? rpondit le malade. Attendez, il faut que je revienne de la Bretagne, o jtais, lHtel-Dieu, o il est.

Cest cela; entrez-y, regardez-le, et dites-moi la vrit sur lui.

Oh! il est malade, bien malade: on lui a coup la jambe.

En vrit? dit Balsamo.

Oui.

Et lopration a-t-elle bien russi?

merveille; mais

La figure du malade sassombrit.

Mais? reprit Balsamo.

Mais, continua le malade, il y a une terrible preuve passer, la fivre.

Et quand viendra-t-elle?

Ce soir, sept heures.

Tous les assistants se regardrent:

Et cette fivre? demanda Balsamo.

Oh! elle le rendra bien malade; il surmontera cependant ce premier accs.

Vous en tes sr?

Oh! oui.

Mais, aprs ce premier accs, sera-t-il sauv?

Hlas! non, dit le bless en soupirant.

La fivre reviendra donc?

Oh! oui, et plus terrible que jamais. Pauvre Havard, continua-t-il, pauvre Havard, il a une femme et des enfants!

Et ses yeux se remplirent de larmes.

Sa femme doit-elle donc tre veuve, et ses enfants doivent-ils donc tre orphelins? demanda Balsamo.

Attendez! attendez!

Il joignit les mains.

Non, non, dit-il.

Son visage sclaira dune foi sublime.

Non, sa femme et ses enfants ont tant pri quils ont obtenu grce pour lui devant Dieu.

Alors il gurira?

Oui.

Vous entendez, messieurs, dit Balsamo, il gurira.

Demandez-lui en combien de jours, dit Marat.

En combien de jours?

Oui; vous avez dit quil indiquerait lui-mme les phases et le terme de sa convalescence.

Je ne demande pas mieux que de linterroger l-dessus.

Interrogez-le donc alors.

Et quand croyez-vous que Havard sera guri? demanda Balsamo.

Oh! la convalescence sera longue; attendez: un mois, six semaines, deux mois; il est entr ici il y a cinq jours, il en sortira deux mois et quinze jours aprs y tre entr.

Et il en sortira guri?

Oui.

Mais, dit Marat, incapable de travailler et, par consquent, de nourrir sa femme et ses enfants.

Oh! Dieu est bon, et Dieu y pourvoira.

Et comment Dieu y pourvoira-t-il? demanda Marat. Pendant que je suis en train dapprendre aujourdhui, je voudrais bien apprendre cela.

Dieu a envoy prs de son lit un homme charitable qui la pris en piti, et qui a dit tout bas: Je veux que le pauvre Havard ne manque de rien.

Tous les assistants se regardrent; Balsamo sourit.

En vrit, nous assistons un trange spectacle, dit le chirurgien en chef, en mme temps quil saisissait la main du malade, auscultait sa poitrine et palpait son front; cet homme rve.

Vous croyez? dit Balsamo.

Et lanant au bless un regard plein dautorit et dnergie:

veillez-vous, Havard! lui dit-il.

Le jeune homme ouvrit les yeux avec effort et regarda avec une profonde surprise tous les assistants, devenus pour lui inoffensifs, de menaants quils taient.

Eh bien! dit-il douloureusement, on ne ma donc pas encore opr? On va donc encore me faire souffrir?

Balsamo prit vivement la parole. Il craignait lmotion du malade. Il ntait pas besoin quil se htt.

Nul ne let devanc; la surprise des assistants tait trop grande.

Mon ami, lui dit-il, tranquillisez-vous. M. le chirurgien en chef a pratiqu sur votre jambe une opration qui satisfait toutes les exigences de votre position. Il parat, mon pauvre garon, que vous tes un peu faible desprit, car vous vous tes vanoui devant la premire attaque.

Oh! tant mieux, dit gaiement le Breton, je nai rien senti; mon sommeil a mme t doux et rparateur. Quel bonheur! on ne me coupera pas la jambe.

Mais, en ce moment, le malheureux porta ses regards sur lui-mme; il vit le lit plein de sang, il vit sa jambe mutile.

Il jeta un cri et, cette fois, svanouit vritablement.

Interrogez-le maintenant, dit froidement Balsamo Marat, et vous verrez sil rpond.

Puis, entranant le chirurgien en chef dans un coin de la chambre, tandis que les infirmiers reportaient le malheureux jeune homme dans son lit:

Monsieur, dit Balsamo, vous avez entendu ce qua dit votre pauvre malade?

Oui, monsieur, quil gurirait.

Il a dit encore autre chose: il a dit que Dieu le prendrait en piti, et lui enverrait de quoi nourrir sa femme et ses enfants.