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Eh bien?

Eh bien, monsieur, il a dit la vrit, sur ce point comme sur lautre; seulement, chargez-vous dtre un intermdiaire de charit entre votre malade et Dieu: voici un diamant qui vaut vingt mille livres, peu prs; quand vous verrez votre malade guri, vous le vendrez et vous lui en remettrez largent; en attendant, comme lme, ainsi que me le disait fort judicieusement votre lve, M. Marat, comme lme a une grande influence sur le corps, dites bien Havard, aussitt que la connaissance sera revenue, dites-lui bien que son avenir et celui de ses enfants est assur.

Mais, monsieur, dit le chirurgien hsitant prendre la bague que lui offrait Balsamo, sil ne gurit point?

Il gurira!

Encore faut-il que je vous en donne un reu.

Monsieur!

Ce nest qu cette condition que je prendrai un bijou dune pareille valeur.

Faites comme il vous plaira, monsieur.

Votre nom, sil vous plat?

Le comte de Fnix.

Le chirurgien passa dans la chambre voisine, tandis que Marat, ananti, confondu, mais luttant encore contre lvidence, se rapprochait de Balsamo.

Au bout de cinq minutes, le chirurgien rentra, tenant la main un papier quil remit Balsamo.

Ctait un reu conu en ces termes:

Jai reu de M. le comte de Fnix un diamant quil a dclar lui-mme tre dune valeur de vingt mille livres, pour le prix en tre remis au nomm Havard, le jour o il sortira de lHtel-Dieu.

GUILLOTIN, D. M.

Le 15 septembre 1771.

Balsamo salua le docteur, prit le reu et sortit suivi de Marat.

Vous oubliez votre tte, dit Balsamo, pour lequel la distraction du jeune lve en chirurgie tait un triomphe.

Ah! cest vrai, dit celui-ci.

Et il ramassa son funbre fardeau.

Une fois dans la rue, tous deux marchrent fort vite et sans se dire un seul mot; puis, arrivs la rue des Cordeliers, ils remontrent ensemble le rude escalier qui conduisait la mansarde.

Devant la loge de la portire, si toutefois le trou quelle habitait mritait le nom de loge, Marat, qui navait pas oubli la disparition de sa montre, stait arrt et avait demand dame Grivette.

Un enfant de sept huit ans, maigre, chtif et tiol, lui avait rpondu de sa voix criarde:

Maman, elle est sortie; elle a dit que, si monsieur rentrait, on lui donnt cette lettre.

Non, mon petit ami, dit Marat, tu lui diras quelle me lapporte elle mme.

Bien, monsieur.

Marat et Balsamo avaient continu leur chemin.

Ah! dit Marat en indiquant une chaise Balsamo et en tombant lui mme sur un escabeau, je vois que le matre a de beaux secrets.

Cest que je suis entr plus avant quun autre, peut-tre, dans la confidence de la nature et de Dieu, rpondit Balsamo.

Oh! scria Marat, comme la science prouve lomnipotence de lhomme, et quon doit tre fier dtre homme!

Cest vrai, et mdecin, devriez-vous ajouter.

Aussi, je suis fier de vous, matre, dit Marat.

Et cependant, rpliqua en souriant Balsamo, je ne suis quun pauvre mdecin des mes.

Oh! ne parlons pas de cela, monsieur, vous qui avez arrt le sang du bless par des moyens matriels.

Je croyais que ma plus belle cure tait de lavoir empch de souffrir; il est vrai que vous mavez assur quil tait fou.

Il la t un moment, certes.

Quappelez-vous folie? Nest-ce point une abstraction de lme?

Ou de lesprit, dit Marat.

Nous ne discuterons pas l-dessus; lme me sert nommer le mot que je cherche. Du moment que la chose est trouve, peu mimporte comment vous lappelez.

Ah! voil o nous diffrons dopinion, monsieur; vous prtendez avoir trouv la chose et ne plus chercher que le mot; moi, je soutiens que vous cherchez tout ensemble le mot et la chose.

Nous reviendrons l-dessus tout lheure. Vous disiez donc que la folie tait une abstraction momentane de lesprit?

Assurment.

Involontaire, nest-il pas vrai?

Oui Jai vu un fou Bictre qui mordait ses barreaux de fer en criant: Cuisinier, tes faisans sont tendres, mais ils sont mal accommods.

Mais, enfin, admettez-vous que cette folie passe comme un nuage sur lesprit, et que, le nuage pass, lesprit reprenne sa limpidit premire?

Cela narrive presque jamais.

Vous avez vu, cependant, notre amput en parfaite raison aprs son sommeil de fou.

Je lai vu; mais je nai point compris ce que je voyais; cest un cas exceptionnel, une de ces trangets que les Hbreux appelaient des miracles.

Non, monsieur, dit Balsamo; cest uniquement labstraction de lme, le double isolement de la matire et de lesprit: de la matire, chose inerte, poussire qui retournera poussire; de lme, tincelle divine enferme un instant dans cette lanterne sourde quon appelle le corps, et qui, fille du Ciel, aprs la chute du corps, retournera au Ciel.

Alors, vous avez tir momentanment lme du corps?

Oui, monsieur, je lui ai ordonn de quitter lendroit misrable o elle tait; je lai extraite du gouffre de souffrance o la douleur la retenait, pour la faire voyager dans des rgions libres et pures. Quest-il donc rest au chirurgien? Ce qui restait votre scalpel quand vous enlevtes la femme morte cette tte que vous tenez, rien que de la chair inerte, de la matire, de largile.

Et au nom de qui avez-vous dispos ainsi de cette me?

Au nom de Celui qui a cr toutes les mes dun souffle: mes des mondes, mes des hommes; au nom de Dieu.

Alors, dit Marat, vous niez le libre arbitre?

Moi? dit Balsamo. Mais que fais-je donc en ce moment, au contraire? Je vous montre, dun ct, le libre arbitre; de lautre, labstraction. Je vous expose un mourant laiss toutes les souffrances; cet homme a une me toute stoque, il va au-devant de lopration, il la provoque, il la supporte, mais il souffre. Voil pour le libre arbitre. Mais je passe prs de ce mourant, moi, lenvoy de Dieu, moi, le prophte, moi, laptre, et si, prenant en piti cet homme, mon semblable, jenlve, par le pouvoir que le Seigneur ma donn, lme de son corps qui souffre, ce corps aveugle, inerte, insensible, devient pour lme un spectacle quelle contemple pieusement et misricordieusement du haut de sa sphre limpide. Havard ne lavez-vous point entendu? Havard, quand il parlait de lui-mme, disait: Ce pauvre Havard! Il ne disait plus moi. Cest quen effet cette me navait plus affaire ce corps, elle qui tait moiti chemin du ciel.

Mais, ce compte, lhomme nest plus rien, dit Marat, et je ne puis plus dire aux tyrans: Vous avez puissance sur mon corps, mais vous ne pouvez rien sur mon me?

Ah! voil que vous passez de la vrit au sophisme; monsieur, je vous lai dit, cest votre dfaut. Dieu prte lme au corps, il est vrai; mais il nen est pas moins vrai que, tout le temps que lme possde ce corps, il y a union entre eux, influence de lun sur lautre, suprmatie de la matire sur lide, selon que, dans des vues qui nous sont inconnues, Dieu a permis que le corps ft roi ou que lme ft reine; mais il nen est pas moins vrai que le souffle qui anime le mendiant est aussi pur que celui qui fait mourir le roi. Voil le dogme que vous devez prcher, vous, aptre de lgalit. Prouvez lgalit des deux essences spirituelles, puisque, cette galit, vous pouvez ltablir laide de tout ce quil y a de sacr au monde: les livres saints et les traditions, la science et la foi. Que vous importe lgalit de deux matires! avec lgalit des corps, vous ne volez pas devant Dieu. Tout lheure, ce pauvre bless, cet ignorant enfant du peuple, vous a dit, touchant son mal, des choses que nul parmi les mdecins net os dire. Pourquoi cela? Cest que son me, dgage momentanment des liens du corps, a plan au-dessus de la terre, et quelle a vu den haut un mystre que nous drobe notre opacit.

Marat tournait et retournait sur la table sa tte de mort, cherchant une rponse quil ne trouvait pas.

Oui, murmura-t-il enfin, oui, il y a quelque chose de surnaturel l-dessous.