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De naturel, au contraire, monsieur; cessez dappeler surnaturel tout ce qui ressort des fonctions de la destine de lme. Naturelles sont ces fonctions; connues, cest autre chose.

Inconnues nous, matre, ces fonctions ne doivent pas tre des mystres pour vous. Le cheval, inconnu aux Pruviens, tait familier aux Espagnols, qui lavaient dompt.

Ce serait orgueilleux moi de dire: Je sais. Je suis plus humble, monsieur, je dis: Je crois.

Eh bien, que croyez-vous?

Je crois que la loi du monde, la premire, la plus puissante de toutes, est celle du progrs. Je crois que Dieu na rien cr que dans un but de bien-tre ou de moralit. Seulement, comme la vie de ce monde est incalcule et incalculable, le progrs est lent. Notre plante, au dire des critures, comptait soixante sicles quand limprimerie est venue comme un vaste phare rflchir le pass et clairer lavenir; avec limprimerie, plus dobscurit, plus doubli; limprimerie, cest la mmoire du monde. Eh bien, Gutenberg a invent limprimerie et moi, jai retrouv la confiance.

Ah! dit ironiquement Marat, vous en arriverez peut-tre lire dans les curs?

Pourquoi pas?

Alors, vous ferez pratiquer la poitrine de lhomme cette petite fentre que dsiraient tant y voir les anciens?

Il nest pas besoin de cela, monsieur: jisolerai lme du corps; et lme, fille pure, fille immacule de Dieu, me dira toutes les turpitudes de cette enveloppe mortelle quelle est condamne animer.

Vous rvlerez des secrets matriels?

Pourquoi pas?

Vous me direz, par exemple, qui ma vol ma montre?

Vous abaissez la science un triste niveau, monsieur. Mais, nimporte! la grandeur de Dieu est aussi bien prouve par le grain de sable que par la montagne, par le ciron que par llphant. Oui, je vous dirai qui vous a vol votre montre.

En ce moment, on frappa timidement la porte. Ctait la femme de mnage de Marat qui tait rentre et qui, selon lordre donn par le jeune chirurgien, apportait la lettre.

Chapitre 107. La portire de Marat

La porte souvrit et donna passage dame Grivette.

Cette femme, que nous navons pas pris le temps desquisser parce que sa figure tait de celles que le peintre relgue au dernier plan tant quil na pas besoin delles; cette femme savance maintenant dans le tableau mouvant de cette histoire, et demande prendre sa place dans limmense panorama que nous avons entrepris de drouler aux yeux de nos lecteurs; panorama dans lequel nous encadrerions, si notre gnie galait notre volont, depuis le mendiant jusquau roi, depuis Caliban jusqu Ariel, depuis Ariel jusqu Dieu.

Nous allons donc essayer de crayonner dame Grivette, qui se dtache de son ombre et qui savance vers nous.

Ctait une longue et sche crature de trente-deux trente-trois ans, jaune de couleur, avec des yeux bleus bords de noir, type effrayant du dprissement que subissent la ville, dans des conditions de misre, dasphyxie incessante et de dgradation physique et morale, ces cratures que Dieu a faites belles, et qui fussent devenues magnifiques dans leur entier dveloppement, comme le sont en ce cas-l toutes les cratures de lair, du ciel et de la terre, quand lhomme na pas fait de leur vie un long supplice, cest--dire lorsquil na pas fatigu leur pied avec lentrave et leur estomac avec la faim, ou avec une nourriture presque aussi fatale que pourrait ltre labsence de toute nourriture.

Ainsi la portire de Marat et t une belle femme, si, depuis lge de quinze ans, elle net habit un taudis sans air et sans jour, si le feu de ses instincts naturels, aliment par cette chaleur de four, ou par un froid de glace, et sans cesse brl avec mesure. Elle avait des mains longues et maigres, que le fil de la couturire avait sillonnes de petites coupures, que leau savonneuse de la buanderie avait crevasses et amollies, que la braise de la cuisine avait rties et tannes; mais, malgr tout cela, des mains, on le voyait la forme, cest--dire cette trace indlbile du muscle divin; des mains quon et appeles des mains royales, si, au lieu des ampoules du balai, elles eussent eu celles du sceptre.

Tant il est vrai que ce pauvre corps humain nest que lenseigne de notre profession.

Dans cette femme, lesprit, suprieur au corps, et qui, par consquent, avait mieux rsist que lui, lesprit veillait comme une lampe; il clairait, pour ainsi dire, le corps par un reflet diaphane, et parfois on voyait monter des yeux hbts et ternis un rayon de lintelligence, de la beaut, de la jeunesse, de lamour, de tout ce quil y a dexquis enfin dans la nature humaine.

Balsamo regarda longtemps cette femme, ou plutt cette nature singulire, qui, au reste, avait ds la premire vue frapp son il observateur.

La portire entra donc tenant la lettre la main, et, dune voix doucereuse, dune voix de vieille femme, car les femmes condamnes la misre sont vieilles trente ans:

Monsieur Marat, dit-elle, voici la lettre que vous avez demande.

Ce nest pas la lettre que je dsirais avoir, cest vous que je voulais voir, dit Marat.

Eh bien, votre servante, monsieur Marat, me voici.

Dame Grivette fit une rvrence.

Que dsirez-vous?

Je dsire savoir des nouvelles de ma montre, dit Marat; vous vous en doutez bien.

Ah! dame! a, je ne peux pas dire ce quelle est devenue. Je lai vue hier toute la journe, pendue son clou, la chemine.

Vous vous trompez: toute la journe, elle a t dans mon gousset; seulement, six heures du soir, comme je sortais, comme jallais au milieu dune grande foule, comme je craignais quon me la volt, je lai mise sous le chandelier.

Si vous lavez mise sous le chandelier, elle doit y tre encore.

Et la portire, avec une bonhomie feinte quelle ne se doutait pas tre si puissamment rvlatrice, alla lever justement, des deux chandeliers qui ornaient la chemine, celui sous lequel Marat avait cach sa montre.

Oui, voil bien le chandelier, dit le jeune homme; mais la montre?

Non, en vrit, elle ny est plus. Est-ce que vous ne laviez pas mise l, monsieur Marat?

Mais, lorsque je vous dis

Cherchez bien.

Oh! jai cherch, dit Marat avec un regard courrouc.

Vous laurez perdue, alors.

Mais je vous dis quhier, moi-mme, je lai mise l, sous ce chandelier.

Quelquun alors sera entr ici, dit dame Grivette; vous recevez tant de gens, tant dinconnus!

Prtexte! prtexte! scria Marat semportant de plus en plus; vous savez bien que personne nest entr depuis hier. Non, non, ma montre a pris le chemin qua pris la pomme dargent de ma dernire canne, qua pris cette petite cuiller dargent que vous savez, qua pris mon couteau six lames! On me vole, dame Grivette, on me vole. Jai support bien des choses, mais je ne supporterai pas celle-l; prenez-y garde!

Mais, monsieur, dit dame Grivette, est-ce que vous maccusez, par hasard?

Vous devez surveiller mes effets.

Je nai pas seule la clef.

Vous tes la portire.

Vous me donnez un cu par mois, et vous voudriez tre servi comme par dix domestiques.

Il mimporte peu dtre mal servi; il mimporte fort de ntre pas vol.

Monsieur, je suis une honnte femme!

Une honnte femme que je livrerai au commissaire de police, si, dici une heure, ma montre nest pas retrouve.

Au commissaire de police?

Oui.

Au commissaire de police, une honnte femme comme moi?

Une honnte femme, une honnte femme!

Oui, et sur laquelle il ny a rien dire, entendez-vous!

Allons, assez, dame Grivette.

Ah! je me doutais dj que vous me souponniez quand vous tes sorti.

Je vous souponne depuis la disparition du pommeau de ma canne.

Eh bien, moi, je vous dirai une chose, monsieur Marat, mon tour.

Laquelle?

Cest que, pendant votre absence, jai consult

Qui cela?

Mes voisins.

quel propos?

ce propos que vous me souponniez.