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Son amant.

Marat poussa un cri dtonnement.

Silence! dit Balsamo; laissez la conscience parler.

Puis, continuant de sadresser la femme toute tremblante et tout inonde de sueur:

Et qui a conseill ce vol dame Grivette? demanda-t-il.

Personne. Elle a soulev le chandelier par hasard; elle a vu la montre, alors le dmon la tente.

tait-ce par besoin?

Non, car la montre, elle ne la pas vendue.

Elle la donc donne?

Oui.

Simon?

La somnambule fit un effort.

Simon.

Puis elle couvrit son visage de ses deux mains et versa un torrent de larmes.

Balsamo jeta un regard sur Marat, qui, la bouche bante, les cheveux en dsordre, les paupires dilates, contemplait cet effrayant spectacle.

Eh bien, monsieur, dit-il, vous voyez enfin la lutte de lme avec le corps. Voyez-vous la conscience force comme dans une redoute quelle croyait inexpugnable? Voyez-vous enfin que Dieu na rien oubli dans ce monde et que tout est dans tout? Ne niez donc plus la conscience; ne niez donc plus lme; ne niez donc plus linconnu, jeune homme! surtout ne niez pas la foi, qui est le pouvoir suprme; et, puisque vous avez de lambition, tudiez, monsieur Marat; parlez peu, pensez beaucoup, et ne vous laissez plus aller juger lgrement vos suprieurs. Adieu, vous avez un champ bien vaste ouvert par mes paroles; fouillez ce champ qui renferme des trsors. Adieu. Heureux, bien heureux si vous pouvez vaincre le dmon de lincrdulit qui est en vous, comme jai vaincu celui des mensonges qui est dans cette femme.

Et il partit sur ces mots, qui firent monter aux joues du jeune homme la rougeur de la honte.

Marat ne songea mme point prendre cong de lui.

Mais, aprs la premire stupeur, il saperut que dame Grivette dormait toujours.

Ce sommeil lui parut pouvantable. Marat et prfr avoir un cadavre sur son lit, dt M. de Sartine interprter cette mort sa faon.

Il regarda cette atonie, ces yeux retourns, ces palpitations, et il eut peur.

Sa peur saccrut encore quand le cadavre vivant se leva, vint lui prendre la main et lui dire:

Venez avec moi, monsieur Marat.

O cela?

Rue Saint-Jacques.

Pourquoi?

Venez, venez; il mordonne de vous y conduire.

Marat, qui tait tomb sur une chaise, se leva.

Alors dame Grivette, toujours endormie, ouvrit la porte, descendit lescalier comme et fait un oiseau ou une chatte, cest--dire en effleurant peine les marches.

Marat la suivit, craignant quelle ne tombt et quen tombant elle ne se brist la tte.

Arrive au bas de lescalier, elle franchit le seuil de la porte, traversa la rue, toujours suivie du jeune homme, quelle guida ainsi jusque dans la maison au grenier signal.

Elle heurta la porte; Marat sentait son cur battre si violemment, quil lui semblait quon dt lentendre.

Un homme tait dans le grenier; il ouvrit: dans cet homme Marat reconnut un ouvrier de vingt-cinq trente ans, quil avait vu parfois dans la loge de sa portire.

En apercevant dame Grivette suivie de Marat, il recula.

Mais la somnambule alla droit au lit et, passant sa main sous le maigre traversin, elle en tira la montre, quelle remit Marat, tandis que le cordonnier Simon, ple deffroi nosait articuler un mot et suivait dun il gar jusquaux moindres gestes de cette femme quil croyait folle.

peine eut-elle touch la main de Marat en lui remettant la montre, quelle poussa un profond soupir et murmura:

Il mveille, il mveille.

En effet, tous ses nerfs se dtendirent comme un cble abandonn par la poulie; ses yeux reprirent ltincelle vitale, et, se trouvant en face de Marat, la main dans sa main, et tenant encore cette montre, cest--dire la preuve irrcusable du crime, elle tomba vanouie sur les planches du grenier.

La conscience existerait-elle rellement? se dit Marat en sortant de la chambre, avec le doute dans le cur et la rverie dans les yeux.

Chapitre 108. Lhomme et ses uvres

Tandis que Marat passait des heures si bien employes et philosophait sur la conscience et la double vie, un autre philosophe, rue Pltrire, soccupait aussi reconstruire pice par pice sa soire de la veille, et sinterroger pour savoir sil tait ou non un grand coupable. Les bras appuys mollement sur sa table, sa tte lourdement penche sur lpaule gauche, Rousseau songeait.

Il avait devant lui, tout grands ouverts, ses livres politiques et philosophiques, Lmile et Le Contrat social.

De temps en temps, lorsque la pense lexigeait, il se courbait pour feuilleter ces livres quil savait par cur.

Ah! bon Dieu! dit-il en lisant un paragraphe de Lmile sur la libert de conscience, voil des phrases incendiaires. Quelle philosophie, juste ciel! A-t-il jamais paru dans le monde un boute-feu pareil moi?

Quoi! ajoutait-il en levant les mains au-dessus de sa tte, cest moi qui ai profr de pareils clats contre le trne, lautel et la socit

Je ne mtonne plus si quelques passions sombres et concentres ont fait leur profit de mes sophismes et se sont gares dans les sentiers que je leur semais de fleurs de rhtorique. Jai t le perturbateur de la socit酻

Il se leva fort agit, fit trois tours dans sa petite chambre.

Jai, dit-il, mdit des gens du pouvoir qui exercent la tyrannie contre les crivains. Fou, barbare que jtais, ces gens ont cent fois raison.

Que suis-je, sinon un homme dangereux pour un tat? Ma parole, lance pour clairer les masses, voil du moins ce que je me donnais pour prtexte, ma parole, dis-je, est une torche qui va incendier tout lunivers.

Jai sem des discours sur lingalit des conditions, des projets de fraternit universelle, des plans dducation, et voil que je rcolte des orgueils si froces, quils intervertissent le sens de la socit, des guerres intestines capables de dpeupler le monde, et des murs tellement farouches, quelles feraient reculer de dix sicles la civilisation Oh! je suis un bien grand coupable!

Il relut encore une page de son Vicaire savoyard.

Oui, cest cela: Runissons-nous pour nous occuper de notre bonheur Je lai crit! Donnons nos vertus la force que dautres donnent leurs vices. Je lai crit encore.

Et Rousseau sagita plus dsespr que jamais.

Voil donc par ma faute, dit-il, les frres mis en prsence des frres; quelque jour un de ces caveaux sera envahi par la police. On y prendra toute la niche de ces gens qui font serment de se manger les uns les autres en cas de trahison, et il sen trouvera un plus effront que les autres, qui tirera de sa poche mon livre et qui dira:

De quoi vous plaignez-vous? Nous sommes les adeptes de M. Rousseau; nous faisons un cours de philosophie.

Oh! comme cela fera rire Voltaire! Il ny a pas craindre que ce courtisan ne se fourre dans des gupiers pareils, lui!

Lide que Voltaire se moquerait de lui donna une violente colre au philosophe genevois.

Conspirateur, moi! murmura-t-il; je suis en enfance, dcidment; ne suis-je pas, en vrit, un beau conspirateur?

Il en tait l quand Thrse entra sans quil la vt. Elle apportait le djeuner.

Elle saperut quil lisait avec attention un morceau des Rveries dun promeneur solitaire.

Bon! dit-elle en posant bruyamment le lait chaud sur le livre mme, voil mon orgueilleux qui se mire dans sa glace. Monsieur lit ses livres. Il sadmire, M. Rousseau!

Allons, Thrse, dit le philosophe, patience; laisse-moi, je ne ris pas.

Oh! oui, cest magnifique, nest-ce pas? dit-elle en le raillant. Vous vous extasiez! Comment les auteurs ont-ils tant de vanit, tant de dfauts, et nous en passent-ils si peu, nous autres pauvres femmes? Que je mavise de me regarder dans mon petit miroir, monsieur me gronde et mappelle coquette.