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Le roi vit de sa fentre et cach derrire son rideau, dfiler cette procession lugubre qui sengloutit comme des capucins de cartes dans la voiture de la comtesse; puis, la portire ferme, le laquais remont derrire la voiture, le cocher secoua ses rnes, et les chevaux partirent au grand galop.

Oh! oh! dit le roi, sans chercher me voir, sans chercher me parler? La comtesse est furieuse!

Et il rpta tout haut:

Oui, la comtesse est furieuse!

Richelieu, qui venait de se glisser dans la chambre comme un homme attendu, saisit ces dernires paroles.

Furieuse, sire, dit-il, et de quoi? de ce que Votre Majest se divertit un instant? Oh! cest mal de la part de la comtesse, cela.

Duc, rpondit Louis XV, je ne me divertis pas; au contraire, je suis las et cherche me reposer. La musique mnerve; il et fallu, si jeusse cout la comtesse, aller souper Luciennes, manger, boire surtout; les vins de la comtesse sont mchants, je ne sais pas avec quels raisins ils sont fabriqus, mais ils brisent; ma foi, jaime mieux me dorloter ici.

Et Votre Majest a cent fois raison, dit le duc.

La comtesse se distraira, dailleurs! Suis-je un si aimable compagnon? Elle a beau le dire, je nen crois rien.

Ah! cette fois, Votre Majest a tort, fit le marchal.

Non, duc, non, en vrit; je compte mes jours, et je rflchis.

Sire, madame la comtesse comprend quelle ne saurait, de toute faon, avoir meilleure socit et cest ce qui la rend furieuse.

En vrit, duc, je ne sais comment vous faites; vous menez toujours les femmes, vous, comme si vous aviez vingt ans. cet ge, cest lhomme qui choisit; mais lpoque o jen suis, duc

Eh bien! sire?

Eh bien, cest la femme qui fait son calcul.

Le marchal se mit rire.

Allons, sire, dit-il, raison de plus et, si Votre Majest croit que la comtesse se distrait, consolons-nous.

Je ne dis pas quelle se distrait, duc; je dis quelle finira par chercher des distractions.

Ah! je noserais pas dire Votre Majest que cela ne se soit jamais vu.

Le roi, fort agit, se leva.

Qui ai-je encore l? demanda-t-il.

Mais tout votre service, sire.

Le roi rflchit un instant.

Mais vous, dit-il, avez-vous quelquun?

Jai Raft.

Bon!

Que doit-il faire, sire?

Eh bien, duc, il faudrait quil sinformt si madame du Barry retourne rellement Luciennes.

La comtesse est partie, ce me semble.

Ostensiblement, oui.

Mais o Votre Majest veut-elle quelle aille?

Qui sait? La jalousie la rend folle, duc.

Sire, ne serait-ce pas plutt Votre Majest?

Comment, quoi?

Que la jalousie

Duc!

En vrit, ce serait humiliant pour nous tous, sire.

Moi, jaloux! scria Louis XV avec un rire forc; en vrit, duc, parlez vous srieusement?

En effet, Richelieu ne le croyait pas. Il faut mme avouer quil tait trs prs de la vrit en pensant, au contraire, que le roi ne dsirait savoir si madame du Barry tait bien rellement Luciennes que pour tre sur quelle ne reviendrait pas Trianon.

Ainsi, dit-il tout haut, cest convenu, sire, jenvoie Raft la dcouverte?

Envoyez, duc.

Maintenant, que fait Votre Majest avant de souper?

Rien; nous soupons tout de suite. Avez-vous prvenu la personne en question?

Oui, elle est dans lantichambre de Votre Majest.

Qua-t-elle dit?

Elle a fait de grands remerciements.

Et la fille?

On ne lui a pas encore parl.

Duc, madame du Barry est jalouse et elle pourrait bien revenir.

Ah! sire, ce serait de trop mauvais got, et je crois la comtesse incapable dune pareille normit.

Duc, elle est capable de tout dans ces moments-l, et surtout quand la haine se joint la jalousie. Elle vous excre: je ne sais pas si vous tes prvenu de cela?

Richelieu sinclina.

Je sais quelle me fait cet honneur, sire.

Elle excre aussi M. de Taverney.

Si Votre Majest voulait bien compter, je suis sr quil est une troisime personne quelle excre encore plus que moi, encore plus que le baron.

Qui donc?

Mademoiselle Andre.

Ah! fit le roi, je trouve cela assez naturel.

Alors

Oui, mais cela nempche point, duc, quil faut veiller ce que madame du Barry ne fasse point quelque esclandre cette nuit.

Tout au contraire, et cela prouve la ncessit de cette mesure.

Voici le matre dhtel; chut! Donnez vos ordres Raft et venez me rejoindre dans la salle manger avec qui vous savez.

Louis XV se leva et passa dans la salle manger, tandis que Richelieu sortait par la porte oppose.

Cinq minutes aprs, il rejoignait le roi, accompagn du baron.

Le roi donna gracieusement le bonsoir Taverney.

Le baron tait homme desprit; il rpondit de cette faon particulire certaines gens, et qui fait que les rois et les princes, vous reconnaissant pour tre de leur monde, sont linstant mme laise avec vous.

On se mit table et lon soupa.

Louis XV tait un mauvais roi, mais un homme charmant; sa compagnie, lorsquil le voulait bien, tait pleine dattraits pour les buveurs, les causeurs et les voluptueux.

Le roi, enfin, avait beaucoup tudi la vie sous ses cts agrables.

Il mangea de bon apptit, commanda quon ft boire ses convives et mit la conversation sur la musique.

Richelieu prit la balle au bond.

Sire, dit Richelieu, si la musique met les hommes daccord, comme dit notre matre de ballet et comme semble le penser Votre Majest, en dira-t elle autant des femmes?

Oh! duc, dit le roi, ne parlons pas des femmes. Depuis la guerre de Troie jusqu nos jours, les femmes ont toujours opr un effet contraire la musique; vous surtout, vous avez de trop grands comptes rgler avec elles pour aimer voir mettre une pareille conversation sur le tapis; il y en a une entre autres, et ce nest pas la moins dangereuse de toutes, avec laquelle vous tes couteaux tirs.

La comtesse, sire! y a-t-il de ma faute?

Sans doute.

Ah! par exemple, Votre Majest mexpliquera, je lespre

En deux mots et avec grand plaisir, dit le roi goguenardant.

Jcoute, sire.

Comment! elle vous offre le portefeuille de je ne sais quel dpartement, et vous refusez, parce que, dites-vous, elle nest pas absolument populaire?

Moi? fit Richelieu assez embarrass de la tournure que prenait la conversation.

Dame! cest le bruit public, dit le roi avec cette feinte bonhomie qui lui tait toute particulire. Je ne sais plus qui ma rapport cela La gazette, sans doute.

Eh bien, sire, dit Richelieu profitant de la libert que donnait ses convives lenjouement peu ordinaire de son hte auguste, javouerai que, cette fois, le bruit public et mme les gazettes ont rapport quelque chose de moins absurde qu lordinaire.

Quoi! scria Louis XV, vous avez rellement refus un ministre, mon cher duc?

Richelieu tait, comme on le comprendra facilement, plac dans une position dlicate. Le roi savait mieux que personne quil navait rien refus du tout. Mais Taverney devait continuer de croire ce que Richelieu lui avait dit; il sagissait donc, de la part du duc, de rpondre assez habilement pour chapper la mystification du roi, sans encourir le reproche de mensonge que le baron avait dj sur ses lvres et dans son sourire.

Sire, dit Richelieu, ne nous attachons pas aux effets, je vous prie, mais la cause. Que jaie ou naie pas refus le portefeuille, cest un secret dtat que Votre Majest nest pas tenue de divulguer au milieu des verres; mais la cause pour laquelle jeusse refus le portefeuille, si le portefeuille met t offert, voil lessentiel.

Oh! oh! duc, et cette cause nest pas un secret dtat, ce quil parat, dit le roi en riant.

Non sire, et surtout pour Votre Majest, qui, pour moi et pour mon ami le baron de Taverney est, en ce moment, jen demande pardon la Divinit, le plus aimable amphitryon mortel qui se puisse voir; je nai donc pas de secrets pour mon roi. Je lui livre donc mon me tout entire, car je ne voudrais pas quil ft dit que le roi de France na pas un serviteur qui lui dit toute la vrit.