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Dans un massif pais de lilas et de boules de neige, Gilbert, genoux sur la terre, regardait le jeu des ombres derrire les tapisseries diaphanes.

Le ciel tombant sur la terre net pas distrait ce contemplateur, enivr de la beaut quil suivait dans tous les mandres de la danse.

Cependant, lorsque Richelieu et Taverney passrent en frlant le buisson dans lequel tait cach cet oiseau nocturne, le son de leur voix et une certaine parole surtout firent lever la tte Gilbert.

Cest que cette parole tait, pour lui surtout, importante et bien significative.

Le marchal, appuy au bras de son ami et pench son oreille, lui disait:

Tout bien considr, tout bien pes, baron, cest dur tavouer, mais il faut vite faire partir ta fille pour un couvent.

Et pourquoi cela? demanda le baron.

Parce que le roi, jen gagerais, rpondit le marchal, est amoureux de mademoiselle de Taverney.

Gilbert, ces paroles, devint plus ple que les boules de neige floconneuses qui retombaient sur son paule et sur son front.

Chapitre 114. Les pressentiments

Le lendemain, comme midi venait de sonner lhorloge de Trianon, Nicole vint crier Andre, qui navait pas encore quitt sa chambre:

Mademoiselle, mademoiselle, voici M. Philippe.

Ce cri partait du bas de lescalier.

Andre, toute surprise, mais toute joyeuse en mme temps, ferma son peignoir de mousseline et courut au-devant du jeune homme, qui venait bien rellement de descendre de cheval dans la cour de Trianon, et qui sinformait quelques domestiques de lheure laquelle il pourrait parler sa sur.

Andre ouvrit donc la porte elle-mme, et se trouva aussitt en face de Philippe, que lofficieuse Nicole avait t qurir dans la cour, et conduisait par les degrs.

La jeune fille se jeta au cou de son frre, et tous deux rentrrent dans la chambre dAndre, suivis de Nicole.

Ce fut alors seulement quAndre saperut que Philippe tait plus srieux que de coutume, que son sourire mme ntait point exempt de tristesse, quil portait son lgant uniforme avec la plus scrupuleuse exactitude, et quil tenait un manteau de voyage pli sous son bras gauche.

Quy a-t-il donc, Philippe? demanda-t-elle aussitt avec cet instinct des mes tendres pour qui un regard est une rvlation suffisante.

Ma sur, dit Philippe, jai reu ce matin lordre de rejoindre mon rgiment.

Et vous partez?

Et je pars.

Oh! fit Andre, qui exhala dans ce cri douloureux tout son courage et une partie de ses forces.

Et, quoique ce ft une chose bien naturelle et laquelle elle dt sattendre que ce dpart, elle se sentit tellement brise en lapprenant, quelle fut force de se retenir au bras de son frre.

Mon Dieu! demanda Philippe tonn, ce dpart vous afflige-t-il donc ce point, Andre? Dans la vie dun soldat, vous le savez, cest un vnement des plus vulgaires.

Oui, oui, sans doute, murmura la jeune fille; et o allez-vous, mon frre?

Ma garnison est Reims; ce nest pas un voyage bien long que jentreprends, comme vous voyez. Il est vrai que, de l, le rgiment, selon toute probabilit, retourne Strasbourg.

Hlas! fit Andre; et quand partez-vous?

Lordre menjoint de me mettre en route linstant mme.

Ce sont donc des adieux que vous venez me faire?

Oui, ma sur.

Des adieux!

Avez-vous quelque chose de particulier me dire, Andre? demanda Philippe inquiet de cette tristesse, trop exagre pour quelle net point quelque autre cause que ce dpart.

Andre comprit que ces mots taient ladresse de Nicole, laquelle regardait cette scne avec une surprise que motivait lextrme douleur dAndre.

En effet, le dpart de Philippe, cest--dire dun officier pour sa garnison, ntait pas une catastrophe qui dt causer tant de larmes.

Andre comprit donc du mme coup et le sentiment de Philippe et la surprise de Nicole; elle prit un mantelet quelle jeta sur ses paules et, dirigeant son frre vers lescalier:

Venez, dit-elle, jusqu la grille du parc, Philippe; je vous reconduirai par lalle couverte. Jai, en effet, bien des choses vous dire, mon frre.

Ces mots taient pour Nicole un ordre de dpart; elle seffaa le long du mur et rentra dans la chambre de sa matresse, tandis que celle-ci descendait lescalier avec Philippe.

Andre descendit lescalier qui longe la chapelle et sortit par le passage qui aujourdhui encore mne au jardin; mais, quoique interroge incessamment par le regard inquiet de Philippe, elle se tint longtemps suspendue son bras, laissant sappuyer sa tte son paule sans prononcer une seule parole.

Puis tout coup son cur se brisa, ses traits se couvrirent dune pleur mortelle, un long sanglot monta jusqu ses lvres et des flots de larmes obscurcirent ses yeux.

Ma chre sur, ma bonne Andre, scria Philippe; mais, au nom du Ciel, quavez-vous donc?

Mon ami, mon unique ami, dit Andre, vous me laissez seule, en ce monde o jentre dhier, et vous me demandez pourquoi je pleure! Ah! songez-y, Philippe, jai perdu ma mre en naissant; cest affreux dire, mais je nai jamais eu de pre. Tout ce que mon cur a prouv de petits chagrins, tout ce que mon esprit a renferm de petits secrets, cest vous, vous seul que je les ai confis. Qui ma souri? qui ma caresse? qui ma berce quand jtais enfant? Cest vous. Qui ma protge depuis que je suis grandie? Cest vous. Qui ma fait croire que les cratures de Dieu navaient pas t jetes dans ce monde seulement pour y souffrir? Cest vous, Philippe, toujours vous. Car enfin je nai jamais aim rien ni personne, depuis que je suis au monde, except vous, et personne non plus ne ma aime que vous. Oh! Philippe! continua mlancoliquement Andre, vous dtournez la tte, et je lis dans votre pense. Vous vous dites que je suis jeune, que je suis belle, et que jai tort de ne pas compter sur lavenir et sur lamour. Hlas! vous le voyez cependant bien, Philippe, il ne suffit pas dtre belle et dtre jeune, puisque personne ne soccupe de moi.

Madame la dauphine est bonne, direz-vous, mon ami. Sans doute; elle est parfaite, mes yeux du moins, et je la regarde comme une divinit. Mais cest surtout parce que je la range dans cette sphre surhumaine, que jai pour elle du respect et non de laffection. Or, laffection, Philippe, cest ce sentiment si ncessaire mon cur, qui, toujours refoul dans mon cur, le brise. Mon pre Eh! mon Dieu, mon pre! je ne vous apprends rien de nouveau, Philippe: non seulement mon pre nest pas pour moi un protecteur ou un ami, mais encore mon pre ne me regarde jamais sans me faire peur. Oui, oui, jai peur, Philippe, peur de lui, surtout depuis que je vous vois partir. Peur de quoi? Je nen sais rien. Eh! mon Dieu, les oiseaux qui fuient, les troupeaux qui mugissent nont-ils pas, eux aussi, peur de lorage, quand lorage va venir?

Cest de linstinct, direz-vous; mais pourquoi refuseriez-vous notre me immortelle linstinct du malheur? Tout, depuis quelque temps, russit notre famille. Je le sais bien. Vous voil capitaine, vous; moi, me voil place presque dans lintimit de la dauphine; mon pre a soup hier, dit-on, presque en tte tte avec le roi. Eh bien! Philippe, je le rpte, duss-je vous paratre insense, tout cela meffraye plus que notre douce misre et notre obscurit de Taverney.

Et cependant, l-bas, chre sur, dit tristement Philippe, vous tiez seule aussi; l-bas, non plus, je ntais pas avec vous pour vous consoler.

Oui; mais au moins jtais seule, seule avec mes souvenirs denfance; il me semblait que cette maison, o avait vcu, o avait respir, o tait morte ma mre, me devait la protection natale, si lon peut sexprimer ainsi; tout my tait doux, caressant, ami. Je vous voyais partir avec calme et revenir avec joie. Mais, que vous partissiez ou revinssiez, mon cur ntait pas tout vous, il tenait cette chre maison, mes jardins, mes fleurs, cet ensemble dont autrefois vous ntiez quune partie; aujourdhui vous tes le tout, Philippe; et quand vous me quittez, tout me quitte.