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Dabord, elle ne rpondit rien, elle regardait Gilbert et quelque chose comme un combat se passait dans son esprit.

Aussi, mal laise devant ce silence glac, le jeune homme se vit-il oblig dajouter en manire de proraison:

Maintenant, mademoiselle, ne me dtestez donc plus autant que vous le faisiez, car ce serait non seulement de linjustice, mais encore de lingratitude, ainsi que je vous le disais tout lheure et que je vous le rpte maintenant.

Mais, ces mots, Andre leva sa tte altire et, du ton le plus indiffremment crueclass="underline"

Monsieur Gilbert, dit-elle, combien de temps, sil vous plat, tes-vous rest en apprentissage chez M. Rousseau?

Mademoiselle, dit navement Gilbert, trois mois, je crois, sans compter les jours de ma maladie, suite de ltouffement du 31 mai.

Vous vous mprenez, dit-elle, je ne vous demande point de me dire si vous avez t ou non malade dtouffements cela couronne artistement peut-tre votre rcit mais il mimporte peu. Je voulais seulement vous dire, nayant sjourn que trois mois chez lillustre crivain, que vous en avez fort bien profit, et que llve fait du premier coup des romans presque dignes de ceux que publie son matre.

Gilbert, qui avait cout avec tranquillit, croyant quAndre allait, aux choses passionnes quil avait dites, rpondre des choses srieuses, tomba de toute la hauteur de sa bonhomie sous le coup de cette ironie sanglante.

Un roman! murmura-t-il indign, vous traitez de roman ce que je viens de vous dire!

Oui, monsieur, dit Andre, un roman, je rpte le mot; seulement, vous ne mavez pas force de le lire et je vous en sais gr; mais, malheureusement, jai le profond regret de ne pouvoir le payer ce quil vaut; car jy tenterais en vain, le roman tant impayable.

Ainsi voil ce que vous me rpondez? balbutia Gilbert le cur serr, les yeux teints.

Je ne vous rponds mme pas, monsieur, dit Andre en le repoussant pour passer devant lui.

En effet, Nicole arrivait, appelant sa matresse du bout de lalle, pour ne pas interrompre trop brusquement lentretien dont elle ignorait linterlocuteur, nayant pas reconnu Gilbert travers les ombrages.

Mais, en approchant, elle vit le jeune homme, le reconnut et demeura stupfaite. Alors elle se repentit bien de navoir point fait un dtour, afin dentendre ce que Gilbert avait pu dire mademoiselle de Taverney.

Alors celle-ci, sadressant Nicole dune voix adoucie, comme pour mieux faire comprendre Gilbert la hauteur avec laquelle elle lui avait parl:

Quy a-t-il, mon enfant? demanda-t-elle.

M. le baron de Taverney et M. le duc de Richelieu viennent de se prsenter pour mademoiselle, rpondit Nicole.

O sont-ils?

Chez mademoiselle.

Venez.

Andre sloigna.

Nicole la suivit, mais non sans jeter, en sen allant, un regard ironique sur Gilbert, qui, moins ple que livide, moins agit que fou, moins colre que forcen, tendit le poing dans la direction de lalle par o sloignait son ennemie et murmura en grinant les dents:

O crature sans cur, corps sans me, je tai sauv la vie, jai concentr mon amour, jai fait taire tout sentiment qui pouvait offenser ce que jappellerai ta candeur; car, pour moi, dans mon dlire, tu tais une vierge sainte, comme la Vierge qui est au ciel Maintenant, je tai vue de prs, tu nes plus quune femme, et je suis un homme Oh! un jour ou lautre, je me vengerai, Andre de Taverney; je tai tenue deux fois entre mes mains, et deux fois je tai respecte; Andre de Taverney, prends garde la troisime! Au revoir, Andre!

Et il sloigna, bondissant travers les massifs, comme un jeune loup bless qui se retourne en montrant ses dents aigus et sa prunelle sanglante.

Chapitre 116. Le pre et la fille

Au bout de lalle, Andre aperut, en effet, le marchal et son pre, qui se promenaient devant le vestibule en lattendant.

Les deux amis semblaient tre les plus joyeux du monde; ils se tenaient par le bras: on navait pas encore vu la cour Oreste et Pylade aussi exactement reprsents.

la vue dAndre, les deux vieillards se rjouirent encore plus et se firent remarquer, lun lautre, sa radieuse beaut, augmente encore par la colre et par la rapidit de sa marche.

Le marchal salua Andre, comme il et fait madame de Pompadour dclare. Cette nuance nchappa point Taverney qui en fut enchant; mais elle surprit Andre par ce mlange de respect et de galanterie libre; car lhabile courtisan savait mettre autant de dtails dans un salut que Covielle savait mettre de phrases franaises dans un seul mot turc.

Andre rendit une rvrence qui fut aussi crmonieuse pour son pre que pour le marchal; puis elle les invita tous deux, avec une grce charmante, monter dans sa chambre.

Le marchal admira cette lgante propret, seul luxe de lameublement et de larchitecture de ce rduit. Avec des fleurs, avec un peu de mousseline blanche, Andre avait fait de sa triste chambre, non pas un palais, mais un temple.

Il sassit sur un fauteuil de perse vert grandes fleurs, au-dessous dun grand cornet de la Chine, do tombaient des grappes parfumes dacacia et drable, mles diris et de roses du Bengale.

Taverney eut un fauteuil pareil; Andre sassit sur un pliant, le coude appuy sur un clavecin galement garni de fleurs dans un large vase de Saxe.

Mademoiselle, dit le marchal, je viens vous apporter, de la part de Sa Majest, tous les compliments que votre voix charmante et votre talent de musicienne consomme ont arrachs hier tous les auditeurs de la rptition. Sa Majest a craint de faire des jaloux et des jalouses en vous louant trop haut. Elle a donc bien voulu me charger de vous exprimer tout le plaisir que vous lui avez caus.

Andre, toute rougissante, tait si belle, que le marchal continua comme sil parlait pour son compte.

Le roi, dit-il, ma affirm quil navait encore vu sa cour personne qui runt au mme point que vous, mademoiselle, les dons de lesprit et ceux de la figure.

Vous oubliez ceux du cur, dit Taverney avec panouissement; Andre est la meilleure des filles.

Le marchal crut un moment que son ami allait pleurer. Plein dadmiration pour cet effort de sensibilit paternelle, il scria:

Le cur! Hlas, mon cher, vous seul tes juge de la tendresse que peut renfermer le cur de mademoiselle. Que nai-je vingt-cinq ans, je mettrais ses pieds ma vie et ma fortune!

Andre ne savait pas encore accueillir lgrement lhommage dun courtisan. Richelieu nobtint delle quun murmure sans signification.

Mademoiselle, dit-il, le roi a voulu vous prier de lui permettre un tmoignage de sa satisfaction, et il a charg M. le baron, votre pre, de vous le transmettre. Que faut-il maintenant que je rponde Sa Majest de votre part?

Monsieur, dit Andre, qui ne vit dans sa dmarche quune consquence du respect d son roi par toute sujette, veuillez assurer Sa Majest de toute ma reconnaissance. Dites bien Sa Majest quelle me comble de bonheur en soccupant de moi et que je suis bien indigne de lattention dun si puissant monarque.

Richelieu parut enthousiasm de cette rponse, que la jeune fille pronona dune voix ferme et sans aucune hsitation.

Il lui prit la main, quil baisa respectueusement, et, la couvant des yeux:

Une main royale, dit-il, un pied de fe lesprit, la volont, la candeur Ah! baron, quel trsor! Ce nest pas une fille que vous avez l, cest une reine

Et, sur ce mot, il prit cong, laissant Taverney prs dAndre, Taverney qui se gonflait insensiblement dorgueil et despoir.