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Cette lecture acheve pour la deuxime ou la troisime fois, Balsamo retombait dans sa recherche.

Ce nest pas la peine de consulter Lorenza pour si peu; dailleurs, ne sais-je plus deviner moi-mme? Lcriture est longue, signe daristocratie; irrgulire et tremble, signe de vieillesse; pleine de fautes dorthographe: cest dun courtisan. Ah! niais que je suis! cest de M. le duc de Richelieu. Bien certainement, jaurai une demi-heure pour vous, monsieur le duc; une heure, une journe. Prenez mon temps et faites-en le vtre. Ntes-vous pas, sans le savoir, un de mes agents mystrieux, un de mes dmons familiers? Ne poursuivons-nous pas la mme uvre? Nbranlons-nous pas la monarchie dun mme effort, vous en vous faisant son me, moi en me faisant son ennemi? Venez, monsieur le duc, venez.

Et Balsamo tira sa montre pour voir combien de temps encore il avait attendre le duc.

En ce moment une sonnette retentit dans la corniche du plafond.

Quy a-t-il donc? fit Balsamo tressaillant. Lorenza mappelle, Lorenza! Elle veut me voir. Lui serait-il arriv quelque chose de fcheux? ou bien serait-ce un de ces retours de caractre dont jai t si souvent tmoin et quelquefois victime? Hier, elle tait bien pensive, bien rsigne, bien douce; hier, elle tait bien comme jaime la voir. Pauvre enfant! Allons.

Alors il ferma sa chemise brode, cacha son jabot de dentelle sous sa robe de chambre, donna un regard son miroir pour sassurer que sa coiffure ntait pas trop en dsordre et sachemina vers lescalier, aprs avoir rpondu par un coup de sonnette pareil la demande de Lorenza.

Mais, selon son habitude, Balsamo sarrta dans la chambre qui prcdait celle de la jeune femme, et, se tournant les bras croiss du ct o il supposait quelle devait tre, avec cette force de volont qui ne connat point dobstacles, il lui ordonna de dormir.

Puis, travers une gerure presque imperceptible de la boiserie, comme sil et dout de lui-mme ou comme sil et cru avoir besoin de redoubler de prcautions, il regarda.

Lorenza tait endormie sur un canap, o, chancelant sans doute sous la volont de son dominateur, elle tait alle chercher un appui. Un peintre net certes pas pu trouver pour elle une attitude plus potique. Tourmente et haletante sous le poids du rapide fluide que Balsamo lui avait envoy, Lorenza ressemblait une de ces belles Arianes de Vanloo, dont la poitrine est gonfle, le torse plein dondulations et de secousses, la tte perdue de dsespoir ou de fatigue.

Balsamo entra donc par son passage habituel et sarrta devant elle pour la contempler, mais aussitt il la rveilla: elle tait trop dangereuse ainsi.

peine eut-elle ouvert les yeux, quelle laissa un clair jaillir de ses prunelles; puis, comme pour asseoir ses ides encore fluctuantes, elle lissa ses cheveux avec la paume de ses deux mains, tancha ses lvres humides damour, et, fouillant profondment sa mmoire, rassembla ses souvenirs dissmins.

Balsamo la regardait avec une sorte danxit. Il tait habitu depuis longtemps au brusque passage de la douceur amoureuse un lan de colre et de haine. La rflexion de ce jour, rflexion laquelle il ntait pas habitu, le sang-froid avec lequel Lorenza le recevait, au lieu de ces lans de haine accoutums, lui annonaient pour cette fois quelque chose de plus srieux peut-tre que tout ce quil avait vu jusque-l.

Lorenza se redressa donc et, secouant la tte en levant son long regard velout vers Balsamo:

Veuillez, lui dit-elle, vous asseoir prs de moi, je vous prie.

Balsamo tressaillit cette voix pleine dune douceur inaccoutume.

Masseoir? dit-il. Tu sais bien, ma Lorenza, que je nai quun dsir, cest de passer ma vie tes genoux.

Monsieur, reprit Lorenza du mme ton, je vous prie de vous asseoir, bien que je naie pas un long discours vous faire; mais, enfin, je vous parlerai mieux, il me semble, si vous tes assis.

Aujourdhui, comme toujours, ma Lorenza bien-aime, dit Balsamo, je ferai selon tes souhaits.

Et il sassit dans un fauteuil auprs de Lorenza, assise elle-mme sur un sofa.

Monsieur, dit-elle en attachant sur Balsamo des yeux dune expression anglique, je vous ai appel pour vous demander une grce.

Oh! ma Lorenza, scria Balsamo de plus en plus charm, tout ce que tu voudras, dis, tout!

Une seule chose; mais, je vous en prviens, cette chose je la dsire ardemment.

Parlez, Lorenza, parlez, dt-il men coter toute ma fortune, dt-il men coter la moiti de la vie.

Il ne vous en cotera rien, monsieur, quune minute de votre temps, rpondit la jeune femme.

Balsamo, enchant de la tournure calme que prenait la conversation, se faisait dj lui-mme, grce son active imagination, un programme des dsirs que pouvait avoir forms Lorenza et surtout de ceux quil pourrait satisfaire.

Elle va, se disait-il, me demander quelque servante ou quelque compagne. Eh bien, ce sacrifice immense, puisquil compromet mon secret et mes amis, ce sacrifice, je le ferai, car la pauvre enfant est bien malheureuse dans cet isolement.

Parlez vite, ma Lorenza, dit-il tout haut avec un sourire plein damour.

Monsieur, dit-elle, vous savez que je meurs de tristesse et dennui.

Balsamo inclina la tte avec un soupir en signe dassentiment.

Ma jeunesse, continua Lorenza, se consume; mes jours sont un long sanglot, mes nuits une perptuelle terreur. Je vieillis dans la solitude et dans langoisse.

Cette vie est celle que vous vous faites, Lorenza, dit Balsamo, et il na pas dpendu de moi que cette vie, que vous avez attriste ainsi, ne ft envie une reine.

Soit. Aussi vous voyez que cest moi qui reviens vous.

Merci, Lorenza.

Vous tes bon chrtien, mavez-vous dit quelquefois, quoique

Quoique vous me croyiez une me perdue, voulez-vous dire? Jachve votre pense Lorenza.

Ne vous arrtez qu ce que je dirai, monsieur, et ne supposez rien, je vous prie.

Continuez donc.

Eh bien, au lieu de me laisser mabmer dans ces colres et dans ces dsespoirs, accordez-moi, puisque je ne vous suis utile rien

Elle sarrta pour regarder Balsamo; mais dj il avait repris son empire sur lui-mme, et elle ne rencontra quun regard froid et un sourcil fronc.

Elle sanima sous cet il presque menaant.

Accordez-moi, continua-t-elle, non pas la libert, je sais quun dcret de Dieu ou plutt votre volont, qui me parat toute-puissante, me condamne la captivit durant ma vie; accordez-moi de voir des visages humains, dentendre le son dune autre voix que votre voix; accordez-moi enfin de sortir, de marcher, de faire acte dexistence.

Javais prvu ce dsir, Lorenza, dit Balsamo en lui prenant la main, et depuis longtemps, vous le savez, ce dsir est le mien.

Alors! scria Lorenza.

Mais, reprit Balsamo, vous mavez prvenu vous-mme; comme un insens que jtais, et tout homme qui aime est un insens, je vous ai laisse pntrer une partie de mes secrets en science et en politique. Vous savez quAlthotas a trouv la pierre philosophale et cherche llixir de vie: voil pour la science. Vous savez que moi et mes amis conspirons contre les monarchies de ce monde: voil pour la politique. Lun des deux secrets peut me faire brler comme sorcier, lautre peut me faire rouer comme coupable de haute trahison. Or, vous mavez menac, Lorenza; vous mavez dit que vous tenteriez tout au monde pour recouvrer votre libert, et que, cette libert une fois reconquise, le premier usage que vous en feriez serait de me dnoncer M. de Sartine. Avez-vous dit cela?

Que voulez-vous! parfois je mexaspre, et alors eh bien, alors, je deviens folle.

tes-vous calme? tes-vous sage cette heure, Lorenza, et pouvons nous causer?

Je lespre.

Si je vous rends cette libert que vous demandez, trouverai-je en vous une femme dvoue et soumise, une me constante et douce? Vous savez que voil mon plus ardent dsir, Lorenza.