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La jeune femme se tut.

Maimerez-vous enfin? acheva Balsamo avec un soupir.

Je ne veux promettre que ce que je puis tenir, dit Lorenza; ni lamour ni la haine ne dpendent de nous. Jespre que Dieu, en change de ces bons procds de votre part, permettra que la haine sefface et que lamour vienne.

Ce nest malheureusement pas assez dune pareille promesse, Lorenza, pour que je me fie vous. Il me faut un serment absolu, sacr, dont la rupture soit un sacrilge, un serment qui vous lie en ce monde et dans lautre, qui entrane votre mort dans celui-ci et votre damnation dans celui l.

Lorenza se tut.

Ce serment, voulez-vous le faire?

Lorenza laissa tomber sa tte dans ses deux mains, et son sein se gonfla sous la pression de sentiments opposs.

Faites-moi ce serment, Lorenza, tel que je le dicterai, avec la solennit dont je lentourerai, et vous tes libre.

Que faut-il que je jure, monsieur?

Jurez que jamais, sous aucun prtexte, rien de ce que vous avez surpris relativement la science dAlthotas ne sortira de votre bouche.

Oui, je jurerai cela.

Jurez que rien de ce que vous avez surpris relativement nos runions politiques ne sera jamais divulgu par vous.

Je jurerai encore cela.

Avec le serment et dans la forme que jindiquerai?

Oui; est-ce tout?

Non, jurez et cest l le principal, Lorenza, car aux autres serments ma vie seulement est attache; celui que je vais vous dire est attach mon bonheur , jurez que jamais vous ne vous sparerez de moi, Lorenza. Jurez, et vous tes libre.

La jeune femme tressaillit, comme si un fer glac et pntr jusqu son cur.

Et sous quelle forme ce serment doit-il tre fait?

Nous irons ensemble dans une glise, Lorenza; nous communierons ensemble avec la mme hostie. Sur cette hostie entire, vous jurerez de ne jamais rien rvler de relatif Althotas, de ne jamais rien rvler de relatif mes compagnons. Vous jurerez de ne jamais vous sparer de moi. Nous couperons lhostie en deux, et nous en prendrons chacun la moiti, en adjurant le Seigneur Dieu, vous que vous ne me trahirez jamais, moi, que je vous rendrai toujours heureuse.

Non, dit Lorenza, un tel serment est un sacrilge.

Un serment nest un sacrilge, Lorenza, reprit tristement Balsamo, que lorsquon fait ce serment avec intention de ne point le tenir.

Je ne ferai point ce serment, dit Lorenza. Jaurais trop peur de perdre mon me.

Ce nest point, je vous le rpte, en le faisant que vous perdriez votre me, dit Balsamo: cest en le trahissant.

Je ne le ferai pas.

Alors prenez patience, Lorenza, dit Balsamo sans colre, mais avec une tristesse profonde.

Le front de Lorenza sassombrit, comme on voit sassombrir une prairie couverte de fleurs quand passe un nuage entre elle et le ciel.

Ainsi vous me refusez? dit-elle.

Non pas, Lorenza, cest vous, au contraire.

Un mouvement nerveux indiqua tout ce que la jeune femme comprimait dimpatience ses paroles.

coutez, Lorenza, dit Balsamo, voici ce que je puis faire pour vous, et cest beaucoup, croyez-moi.

Dites, rpondit la jeune femme avec un sourire amer. Voyons jusquo stendra cette gnrosit que vous faites si fort valoir.

Dieu, le hasard ou la fatalit, comme vous le voudrez, Lorenza, nous ont lis lun lautre par des nuds indissolubles; nessayons donc pas de les rompre dans cette vie, puisque la mort seule peut les briser.

Voyons, je sais cela, dit Lorenza avec impatience.

Eh bien, dans huit jours, Lorenza, quoi quil men cote et quelque chose que je risque en faisant ce que je fais, dans huit jours vous aurez une compagne.

O cela? demanda-t-elle.

Ici.

Ici! scria-t-elle, derrire ces barreaux, derrire ces portes inexorables, derrire ces portes dairain? Une compagne de prison? Oh! vous ny pensez pas, monsieur, ce nest point l ce que je vous demande.

Lorenza, cest cependant tout ce que je puis accorder.

La jeune femme fit un geste dimpatience plus prononc.

Mon amie! mon amie! reprit Balsamo avec douceur, rflchissez-y bien, deux vous porterez plus facilement le poids de ce malheur ncessaire.

Vous vous trompez, monsieur; je nai jusqu prsent souffert que de ma propre douleur et non de la douleur dautrui. Cette preuve me manque et je comprends que vous vouliez me la faire subir. Oui, vous mettrez auprs de moi une victime comme moi, que je verrai maigrir, plir, expirer de douleur comme moi; que jentendrai battre, comme je lai fait, cette muraille, porte odieuse que jinterroge mille fois le jour, pour savoir o elle souvre quand elle vous donne passage; et, quand la victime, ma compagne, aura comme moi us ses ongles sur le bois et le marbre en essayant de lenfoncer ou de le disjoindre; quand elle aura, comme moi, us ses paupires avec ses pleurs; quand elle sera morte comme je suis morte et que vous aurez deux cadavres au lieu dun, dans votre bont infernale vous direz: Ces deux enfants se divertissent; elles se font socit; elles sont heureuses. Oh! non, non, mille fois non!

Et elle frappa violemment du pied le parquet.

Balsamo essaya encore de la calmer.

Voyons, dit-il, Lorenza, de la douceur, du calme; raisonnons, je vous en supplie.

Il me demande du calme! il me demande de la raison! Le bourreau demande de la douceur au patient quil torture, du calme linnocent quil martyrise.

Oui, je vous demande du calme et de la douceur; car vos colres, Lorenza, ne changent rien notre destine, elles lendolorissent, voil tout. Acceptez ce que je vous offre, Lorenza; je vous donnerai une compagne, une compagne qui chrira lesclavage, parce que cet esclavage lui aura donn votre amiti. Vous ne verrez pas un visage triste et larmoyant comme vous le craignez, mais, au contraire, un sourire et une gaiet qui drideront votre front. Voyons, ma bonne Lorenza, acceptez ce que je vous offre; car, je vous le jure, je ne puis vous offrir davantage.

Cest--dire que vous mettrez prs de moi une mercenaire laquelle vous aurez dit quil y a l-haut une folle, une pauvre femme malade et condamne mourir; vous inventerez la maladie. Renfermez-vous prs de cette folle, consentez au dvouement, et je vous payerai vos soins aussitt que la folle sera morte.

Oh! Lorenza, Lorenza! murmura Balsamo.

Non, ce nest point cela et je me trompe, nest-ce pas? poursuivit ironiquement Lorenza, et je devine mal; que voulez-vous! je suis ignorante, moi; je connais si mal le monde et le cur du monde. Allons, allons, vous lui direz cette femme: Veillez, la folle est dangereuse; prvenez-moi de toutes ses actions, de toutes ses penses, veillez sur sa vie, veillez sur son sommeil. Et vous lui donnerez de lor tant quelle voudra; lor ne vous cote rien, vous, vous en faites.

Lorenza, vous vous garez; au nom du Ciel, Lorenza, lisez mieux dans mon cur. Vous donner une compagne, mon amie, cest compromettre des intrts si grands, que vous frmiriez si vous ne me hassiez pas Vous donner une compagne, je vous lai dit, cest risquer ma sret, ma libert, ma vie: et tout cela, cependant, je le risque pour vous pargner quelques ennuis.

Des ennuis! scria Lorenza en riant de ce rire sauvage et effrayant qui faisait frmir Balsamo. Il appelle cela des ennuis!

Eh bien, des douleurs; oui, vous avez raison, Lorenza, ce sont de poignantes douleurs. Oui, Lorenza; eh bien, je te le rpte, aie patience, et un jour viendra o toutes ces douleurs prendront fin; un jour viendra o tu seras libre, un jour viendra o tu seras heureuse.

Voyons, dit-elle, voulez-vous maccorder de me retirer dans un couvent? Jy ferai des vux.

Dans un couvent!

Je prierai, je prierai pour vous dabord, et pour moi ensuite. Je serai bien enferme, cest vrai, mais jaurai un jardin, de lair, de lespace, un cimetire pour me promener parmi les tombes, en cherchant davance la place de la mienne. Jaurai des compagnes qui seront malheureuses de leur propre malheur et non du mien. Laissez-moi me retirer dans un couvent, et je vous ferai tous les serments que vous voudrez. Un couvent, Balsamo, un couvent, je vous le demande mains jointes!