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Lorenza, Lorenza, nous ne pouvons nous sparer. Lis, lis, nous somme lis dans ce monde, entendez-vous bien? Tout ce qui excdera les limites de cette maison, ne me le demandez pas.

Et Balsamo pronona ces mots dune voix si nette, et en mme temps si rserve dans son absolutisme, que Lorenza ne continua pas mme dinsister.

Ainsi, vous ne le voulez pas? dit-elle abattue.

Je ne le puis.

Cest irrvocable?

Irrvocable, Lorenza.

Eh bien, autre chose, dit-elle avec un sourire.

Oh! ma bonne Lorenza, souriez encore, encore ainsi et, avec un pareil sourire, vous me ferez faire tout ce que vous voudrez.

Oui, nest-ce pas, je vous ferai faire tout ce que je voudrai, pourvu que, moi, je fasse tout ce quil vous plaira? Eh bien, soit. Je serai raisonnable autant que possible.

Parle, Lorenza, parle.

Tout lheure vous mavez dit: Un jour, Lorenza, tu ne souffriras plus; un jour, tu seras libre; un jour, tu seras heureuse.

Oh! je lai dit et je jure le Ciel que jattends ce jour avec la mme impatience que toi.

Eh bien, ce jour peut arriver tout de suite, Balsamo, dit la jeune femme avec une expression caressante que son mari ne lui avait jamais vue que pendant son sommeil. Je suis lasse, voyez-vous, oh! bien lasse; vous comprendrez cela, si jeune encore, jai dj tant souffert! Eh bien, mon ami car vous dites que vous tes mon ami coutez-moi donc: ce jour heureux, donnez-le-moi tout de suite.

Jcoute, dit Balsamo avec un trouble inexprimable.

Jachve mon discours par la demande que jeusse d vous faire en commenant, Acharat.

La jeune femme frissonna.

Parlez, mon amie.

Eh bien, jai remarqu souvent, quand vous faisiez des expriences sur de malheureux animaux, et vous me disiez que ces expriences taient ncessaires lhumanit; jai remarqu que souvent vous aviez le secret de la mort, soit par une goutte de poison, soit par une veine ouverte, et que cette mort tait douce, et que cette mort avait la rapidit de la foudre, et que ces malheureuses et innocentes cratures, condamnes comme moi au malheur de la captivit, taient libres tout coup par la mort, premier bienfait quelles eussent reu depuis leur naissance. Eh bien

Elle sarrta plissant.

Eh bien, Lorenza? rpta Balsamo.

Eh bien, ce que vous faites parfois dans lintrt de la science vis--vis de malheureux animaux, faites-le vis--vis de moi pour obir aux lois de lhumanit; faites-le pour une amie qui vous bnira de toute son me, pour une amie qui baisera vos mains avec une reconnaissance infinie, si vous lui accordez ce quelle vous demande. Faites-le, Balsamo, pour moi qui suis vos genoux, pour moi qui vous promets, mon dernier soupir, plus damour et de joie que vous nen avez fait clore en moi pendant toute ma vie; pour moi qui vous promets un sourire franc et radieux au moment o je quitterai la terre. Balsamo, par lme de votre mre, par le sang de notre Dieu, par tout ce quil y a de doux et de solennel, de sacr dans le monde des vivants et dans le monde des morts, je vous en conjure, tuez-moi, tuez-moi!

Lorenza! scria Balsamo en saisissant entre ses bras la jeune femme, qui, ces derniers mots, stait leve, Lorenza, tu es en dlire; moi, te tuer! toi, mon amour, toi, ma vie!

Lorenza se dgagea des bras de Balsamo par un violent effort et tomba genoux.

Je ne me relverai pas, dit-elle, que tu ne maies accord ma demande. Tue-moi sans secousse, sans douleur, sans agonie; accorde-moi cette grce, puisque tu dis que tu maimes, de mendormir comme tu mas endormie souvent; seulement, te-moi le rveil, cest le dsespoir.

Lorenza, mon amie, dit Balsamo, mon Dieu! ne voyez-vous donc point que vous me percez le cur? Quoi! vous tes malheureuse ce point? Voyons, Lorenza, remettez-vous, ne vous abandonnez point au dsespoir. Hlas! vous me hassez donc bien?

Je hais lesclavage, la gne, la solitude; et, puisque cest vous qui me faites esclave, malheureuse et solitaire, eh bien, oui, je vous hais.

Mais, moi, je vous aime trop pour vous voir mourir. Lorenza, vous ne mourrez donc pas, et je ferai la cure la plus difficile de toutes celles que jai faites, ma Lorenza; je vous ferai aimer la vie.

Non, non, impossible; vous mavez fait chrir la mort.

Lorenza, par piti, ma Lorenza, je te promets quavant peu

La mort ou la vie! scria la jeune femme, qui senivrait graduellement de sa colre. Aujourdhui est le jour suprme; voulez-vous me donner la mort, cest--dire le repos?

La vie, ma Lorenza, la vie.

Cest la libert alors.

Balsamo garda le silence.

Alors, la mort, la douce mort par un philtre, par un coup daiguille, la mort pendant le sommeiclass="underline" le repos! le repos! le repos!

La vie et la patience, Lorenza.

Lorenza poussa un clat de rire terrible, et faisant un bond en arrire, elle tira de sa poitrine un couteau la lame fine et aigu qui, pareil lclair, tincela dans sa main.

Balsamo poussa un cri; mais il tait trop tard: lorsquil slana, lorsquil atteignit la main, larme avait dj fait son trajet et tait retombe sur la poitrine de Lorenza. Balsamo avait t bloui par lclair; il fut aveugl par la vue du sang.

son tour, il poussa un cri terrible et saisit Lorenza bras-le-corps, allant chercher au milieu de sa course larme prte retomber une seconde fois et la saisissant pleine main.

Lorenza retira le couteau par un violent effort, et la lame tranchante glissa entre les doigts de Balsamo.

Le sang jaillit de sa main mutile.

Alors, au lieu de continuer la lutte, Balsamo tendit cette main toute sanglante sur la jeune femme et dune voix irrsistible:

Dormez, Lorenza, dit-il, dormez, je le veux!

Mais, cette fois, lirritation tait telle, que lobissance fut moins prompte que dhabitude.

Non, non, murmura Lorenza chancelante et cherchant se frapper encore. Non, je ne dormirai pas!

Dormez! vous dis-je! scria une seconde fois Balsamo en faisant un pas vers elle, dormez, je vous lordonne.

Cette fois, la puissance de volont fut telle chez Balsamo, que toute raction fut vaincue; Lorenza poussa un soupir, laissa chapper le couteau, chancela et alla rouler sur des coussins.

Ses yeux restaient seuls ouverts, mais le feu sinistre de ses yeux plit graduellement et ils se fermrent. Le cou, crisp, se dtendit; la tte se pencha sur lpaule, comme fait la tte dun oiseau bless, un frissonnement nerveux courut par tout son corps. Lorenza tait endormie.

Alors seulement Balsamo put carter les vtements de Lorenza et sonda sa blessure, qui lui parut lgre. Cependant, le sang sen chappait avec abondance.

Balsamo poussa lil du lion, le ressort joua, la plaque souvrit; puis, dtachant le contrepoids qui faisait descendre la trappe dAlthotas, il se plaa sur cette trappe et monta dans le laboratoire du vieillard.

Ah! cest toi, Acharat? dit celui-ci toujours dans son fauteuil. Tu sais que cest dans huit jours que jai cent ans. Tu sais que, dici l, il me faut le sang dun enfant ou dune vierge?

Mais Balsamo ne lcoutait point, il courut larmoire o se trouvaient les baumes magiques, saisit une de ces fioles dont il avait tant de fois prouv lefficacit; puis il se replaa sur la trappe, frappa du pied et redescendit.

Althotas fit rouler son fauteuil jusqu lorifice de la trappe, avec lintention de le saisir par ses vtements.

Tu entends, malheureux! lui dit-il; tu entends, si dans huit jours je nai pas un enfant ou une vierge pour achever mon lixir, je suis mort.

Balsamo se retourna; les yeux du vieillard semblaient flamboyer au milieu de son visage aux muscles immobiles; on et dit que les yeux seuls vivaient.

Oui, oui, rpondit Balsamo; oui, sois tranquille, on te donnera ce que tu demandes.

Puis, lchant le ressort, il fit remonter la trappe qui, ainsi quun ornement, alla sadapter au plafond.

Aprs quoi, il slana dans la chambre de Lorenza, o il tait peine rentr, que la sonnette de Fritz retentit.