Madame la comtesse, et vous, monsieur le duc, veuillez couter, puisque vous voulez entendre, dit svrement Balsamo.
Et il se tourna vers la porte.
Chapitre 85. La voix
Il y eut un moment de silence solennel, puis Balsamo demanda en franais:
tes-vous l?
Jy suis, rpondit une voix pure et argentine qui, perant les tentures et les portires, retentit aux oreilles des assistants plutt comme un timbre mtallique que comme les accents dune voix humaine.
Peste! voil qui devient intressant, dit le duc; et tout cela sans flambeaux, sans magie, sans flammes du Bengale.
Cest effrayant! murmura la comtesse.
Faites bien attention mes interrogations, continua Balsamo.
Jcoute de tout mon tre.
Dites-moi dabord combien de personnes sont avec moi en ce moment?
Deux.
De quel sexe?
Un homme et une femme.
Lisez dans ma pense le nom de lhomme.
M. le duc de Richelieu.
Et celui de la femme?
Madame la comtesse du Barry.
Ah! ah! murmura le duc, cest assez fort ceci!
Cest--dire, murmura la comtesse tremblante, cest--dire que je nai rien vu de pareil.
Bien, fit Balsamo; maintenant, lisez la premire phrase de la lettre que je tiens.
La voix obit.
La comtesse et le duc se regardaient avec un tonnement qui commenait toucher ladmiration.
Cette lettre, que jai crite sous votre dicte, quest-elle devenue?
Elle court.
De quel ct?
Du ct de loccident.
Est-elle loin?
Oh! oui, bien loin, bien loin.
Qui la porte?
Un homme vtu dune veste verte, coiff dun bonnet de peau, chauss de grandes bottes.
Est-il pied ou cheval?
Il est cheval.
Quel cheval monte-t-il?
Un cheval pie.
O le voyez-vous?
Il y eut un moment de silence.
Regardez, dit imprieusement Balsamo.
Sur une grande route plante darbres.
Mais sur quelle route?
Je ne sais, toutes les routes se ressemblent.
Quoi! rien ne vous indique quelle est cette route, pas un poteau, pas une inscription, rien?
Attendez, attendez: une voiture passe prs de cet homme cheval; elle le croise, venant vers moi.
Quelle espce de voiture?
Une lourde voiture pleine dabbs et de militaires.
Une patache, murmura Richelieu.
Cette voiture ne porte aucune inscription? demanda Balsamo.
Si fait, rpondit la voix.
Lisez.
Sur la voiture, je lis Versailles en lettres jaunes presque effaces.
Quittez cette voiture, et suivez le courrier.
Je ne le vois plus.
Pourquoi ne le voyez-vous plus?
Parce que la route tourne.
Tournez la route et rejoignez-le.
Oh! il court de toute la force de son chevaclass="underline" il regarde sa montre.
Que voyez-vous en avant du cheval?
Une longue avenue, des btiments superbes, une grande ville.
Suivez toujours.
Je le suis.
Eh bien?
Le courrier frappe toujours son cheval coups redoubls; lanimal est tremp de sueur; ses fers font sur le pav un bruit qui fait retourner tous les passants. Ah! le courrier entre dans une longue rue qui va en descendant. Il tourne droite. Il ralentit le pas de son cheval. Il sarrte la porte dun vaste htel.
Cest ici quil faut le suivre avec attention, entendez-vous?
La voix poussa un soupir.
Vous tes fatigue. Je comprends cela.
Oh! brise.
Que cette fatigue disparaisse, je le veux.
Ah!
Eh bien?
Merci.
tes-vous fatigue encore?
Non.
Voyez-vous toujours le courrier?
Attendez Oui, oui, il monte un grand escalier de pierre. Il est prcd par un valet en livre bleu et or. Il traverse de grands salons pleins de dorures. Il arrive un cabinet clair. Le laquais ouvre la porte et se retire.
Que voyez-vous?
Le courrier salue.
Qui salue-t-il?
Attendez Il salue un homme assis un bureau et qui tourne le dos la porte.
Comment est habill cet homme?
Oh! en grande toilette, et comme pour un bal.
A-t-il quelque dcoration?
Il porte un grand ruban bleu en sautoir.
Son visage?
Je ne le vois pas Ah!
Quoi?
Il se retourne.
Quelle physionomie a-t-il?
Le regard vif, des traits irrguliers, de belles dents.
Quel ge?
Cinquante cinquante-huit ans.
Le duc! souffla la comtesse au marchal, cest le duc.
Le marchal fit de la tte un signe qui signifiait: Oui, cest lui mais coutez.
Ensuite? commanda Balsamo.
Le courrier remet lhomme au cordon bleu
Vous pouvez dire le duc: cest un duc.
Le courrier, reprit la voix obissante, remet au duc une lettre quil tire dun sac de cuir quil portait derrire son dos. Le duc la dcachette et la lit avec attention.
Aprs?
Il prend une plume, une feuille de papier et crit.
Il crit! murmura Richelieu. Diable! si lon pouvait savoir ce quil crit, ce serait beau, cela.
Dites-moi ce quil crit, ordonna Balsamo.
Je ne puis.
Parce que vous tes trop loin. Entrez dans le cabinet. Y tes-vous?
Oui.
Penchez-vous par-dessus son paule.
My voici.
Lisez-vous maintenant?
Lcriture est mauvaise, fine, hache.
Lisez, je le veux.
La comtesse et Richelieu retinrent leur haleine.
Lisez, reprit Balsamo dun ton plus impratif encore.
Ma sur, dit la voix en tremblant et en hsitant.
Cest la rponse, murmurrent ensemble le duc de Richelieu et la comtesse.
Ma sur, reprit la voix, rassurez-vous: la crise a eu lieu, cest vrai; elle a t rude, cest vrai encore; mais elle est passe. Jattends demain avec impatience; car demain, mon tour, je compte prendre loffensive, et tout me porte esprer un succs dcisif. Bien pour le parlement de Rouen, bien pour milord X, bien pour le ptard.
Demain, aprs mon travail avec le roi, jajouterai un post-scriptum ma lettre, et vous lenverrai par le mme courrier.
Balsamo, la main gauche tendue, semblait arracher pniblement chaque parole la voix, tandis que de la main droite il crayonnait la hte ces lignes, qu Versailles M. de Choiseul crivait dans son cabinet.
Cest tout? demanda Balsamo.
Cest tout.
Que fait le duc maintenant?
Il plie en deux le papier sur lequel il vient dcrire, puis en deux encore, et le met dans un petit portefeuille rouge quil tire du ct gauche de son habit.
Vous entendez? dit Balsamo la comtesse plonge dans la stupeur. Et ensuite?
Ensuite, il congdie le courrier en lui parlant.
Que lui dit-il?
Je nai entendu que la fin de la phrase.
Ctait?
une heure, la grille de Trianon. Le courrier salue et sort.
Cest cela, dit Richelieu, il donne rendez-vous au courrier la sortie du travail, comme il dit dans sa lettre.
Balsamo fit un signe de la main pour commander le silence.
Maintenant que fait le duc? demanda-t-il.
Il se lve. Il tient la main la lettre quon lui a remise. Il va droit son lit, passe dans la ruelle, pousse un ressort qui ouvre un coffret de fer. Il y jette la lettre et referme le coffret.
Oh! scrirent la fois le duc et la comtesse tout ples: oh! cest magique, en vrit.
Savez-vous tout ce que vous dsiriez savoir, madame? demanda Balsamo.
Monsieur le comte, dit madame du Barry en sapprochant de lui avec terreur, vous venez de me rendre un service que je payerais de dix ans de ma vie, ou plutt que je ne pourrai jamais payer. Demandez-moi ce que vous voudrez.
Oh! madame, vous savez que nous sommes dj en compte.
Dites, dites ce que vous dsirez.
Le temps nest pas venu.
Eh bien, lorsquil sera venu, ft-ce un million