Nicole y tait en effet.
peine Gilbert tait-il install dans son massif, quun bruit trange parvint son oreille: ctait le bruit de lor sur la pierre, ctait ce retentissement mtallique dont rien, sinon la ralit, ne peut donner une ide juste.
Gilbert se glissa comme un serpent jusquau mur en terrasse surmont dune haie de lilas, laquelle, au mois de mai, rpandait son parfum et secouait ses fleurs sur les passants qui longeaient le mur de cette alle creuse qui spare le grand Trianon du petit.
Arriv ce point, les regards de Gilbert, habitus lobscurit, virent Nicole qui vidait sur une pierre, en de de la grille, et prudemment place hors de la porte de la main de M. de Beausire, la bourse donne par M. de Richelieu.
Les gros louis en ruisselaient bondissants et reluisants, tandis que M. de Beausire, lil allum et la main tremblante, regardait attentivement Nicole et les louis sans comprendre comment lune possdait les autres.
Nicole parla.
Plus dune fois, dit-elle, vous mavez propos de menlever, mon cher monsieur de Beausire.
Et de vous pouser mme! scria lexempt tout enthousiasm.
Oh! quant ce dernier point, mon cher monsieur, dit la jeune fille, nous le discuterons plus tard: pour le moment fuir est le principal. Pouvons-nous fuir dans deux heures?
Dans dix minutes, si vous voulez.
Non pas; jai quelque chose faire auparavant, et ce que jai faire demande deux heures.
Dans deux heures comme dans dix minutes, je suis vos ordres, tendre amie.
Bien! prenez cinquante louis la jeune fille compta cinquante louis et les passa par la grille M. de Beausire, lequel, sans les compter, lui, les engouffra dans la poche de sa veste ; et, dans une heure et demie, continua t-elle, soyez ici avec un carrosse.
Mais, objecta Beausire.
Oh! si vous ne voulez pas, prenons que rien nest convenu entre nous et rendez-moi mes cinquante louis.
Je ne recule pas, chre Nicole; seulement, je crains lavenir.
Pour qui?
Pour vous.
Pour moi?
Oui. Les cinquante louis disparus, et ils finiront par disparatre, vous allez vous trouver plaindre, vous allez regretter Trianon, vous allez
Oh! comme vous tes dlicat, cher monsieur de Beausire! Allons, allons, ne craignez rien, je ne suis pas de ces femmes que lon rend malheureuses, moi; nayez donc pas de scrupules: dailleurs, aprs ces cinquante louis, nous verrons.
Et Nicole fit sonner les cinquante autres rests dans la bourse.
Les yeux de Beausire taient phosphorescents.
Pour vous, dit-il, je me jetterais dans un four brlant.
Oh! l! l! on ne vous demande pas tant, monsieur de Beausire; ainsi, cest convenu, dans une heure et demie le carrosse, dans deux heures la fuite.
Cest convenu, scria Beausire en saisissant la main de Nicole et en lattirant pour la baiser travers la grille.
Silence donc! dit Nicole; tes-vous fou?
Non, je suis amoureux.
Hum! fit Nicole.
Vous ne me croyez pas, cher cur?
Si fait, je vous crois. Ayez de bons chevaux surtout.
Oh! oui.
Ils se sparrent.
Mais, au bout dune seconde, Beausire se retourna tout effar.
Psit! psit! fit-il.
Eh bien, quoi? demanda Nicole dassez loin dj et voilant sa bouche avec sa main, afin de faire porter sans explosion sa voix la distance voulue.
Et la grille, demanda Beausire, vous passerez donc par-dessus?
Il est stupide, murmura Nicole, qui en ce moment ntait qu dix pas de Gilbert.
Puis, plus haut:
Jai la clef, dit-elle.
Beausire poussa un ah! plein dadmiration et senfuit pour tout de bon cette fois.
Nicole sen revint, tte baisse et jambes alertes, prs de sa matresse.
Gilbert, demeur seul, se posa les quatre questions suivantes:
Pourquoi Nicole senfuit-elle avec Beausire, quelle naime pas?
Pourquoi Nicole a-t-elle en sa possession une si forte somme dargent?
Pourquoi Nicole a-t-elle la clef de la grille?
Pourquoi Nicole, pouvant fuir tout de suite, retourne-t-elle auprs dAndre?
Gilbert trouvait bien une rponse cette question: Pourquoi Nicole a-t elle de largent?Mais il nen trouvait pas aux autres.
Aussi, cette ngation de sa perspicacit, sa curiosit naturelle ou sa dfiance acquise, comme on voudra, fut-elle si puissamment surexcite, quil dcida de passer, si froide quelle ft, la nuit en plein air, sous les arbres humides, pour attendre le dnouement de cette scne dont il venait de voir le commencement.
Andre avait reconduit son pre jusquaux barrires du Grand Trianon. Elle revenait seule et pensive, quand Nicole dboucha, toute courante, de lalle qui conduisait la fameuse grille o elle venait de prendre toutes ses mesures avec M. de Beausire.
Nicole sarrta en apercevant sa matresse et, sur un signe que lui fit Andre, elle monta derrire elle et la suivit vers sa chambre.
Il pouvait en ce moment tre huit heures et demie du soir. La nuit tait venue plus prompte et plus paisse que dhabitude, parce quun grand nuage noir, courant du sud au nord, avait envahi tout le ciel, de sorte quau del de Versailles, par-dessus les grands bois, aussi loin que la vue pouvait stendre, on voyait le lugubre linceul envelopper peu peu toutes les toiles tincelant, un instant auparavant, sur leur coupole dazur.
Un petit vent lourd et bas rasait le sol, envoyant des bouffes ardentes aux fleurs altres, qui courbaient la tte comme pour implorer du ciel laumne de la pluie ou de la rose.
Cette menace de latmosphre navait aucunement acclr la marche dAndre; au contraire, la jeune fille, triste et profondment rveuse, mettait comme regret le pied sur chaque marche de lescalier qui conduisait sa chambre, et elle sarrtait chaque fentre pour regarder le ciel si bien en harmonie avec sa tristesse et retarder ainsi sa rentre dans le petit appartement.
Nicole impatiente, Nicole dpite, Nicole, qui craignait que quelque fantaisie de sa matresse ne la conduist au del de lheure, grommelait tout bas ces sortes dimprcations que les valets npargnent jamais aux matres assez imprudents pour se permettre de satisfaire un caprice aux dpens des caprices de leurs valets.
Enfin, Andre poussa la porte de sa chambre et, tombant plutt quelle ne sassit sur un fauteuil, commanda doucement Nicole dentrebiller la fentre qui donnait sur la cour.
Nicole obit.
Puis, revenant sa matresse avec cet air dintrt que la flatteuse savait si bien prendre:
Jai peur que mademoiselle ne soit un peu malade ce soir, dit-elle; mademoiselle a les yeux rouges et gonfls, brillants nanmoins. Je crois que mademoiselle aurait grand besoin de repos.
Tu crois, Nicole? dit Andre, qui navait pas cout.
Et elle tendit nonchalamment les pieds sur un carreau de tapisserie.
Nicole accepta cette pose pour un ordre de dshabiller sa matresse et se mit dtacher les rubans et les fleurs de sa coiffure, espce ddifice que la dmolisseuse la plus habile ne jetait point bas avant un bon quart dheure.
Andre, pendant tout ce travail, ne souffla pas un seul mot. Nicole, laisse son libre arbitre, hacha, comme on dit, la besogne, et, sans faire crier Andre, tant sa proccupation tait grande, lui tira tout son aise les cheveux.
La toilette de nuit termine, Andre donna ses ordres pour le lendemain. Il sagissait daller ds le matin Versailles chercher quelques livres que Philippe devait avoir fait transporter pour sa sur; il y avait, en outre, prvenir laccordeur de se rendre Trianon pour mettre le clavecin en tat.
Nicole rpondit tranquillement que, si on ne la rveillait point dans la nuit, elle se lverait de bonne heure, et quavant le rveil de mademoiselle, toutes les commissions seraient faites.
Demain aussi, jcrirai, continua Andre se parlant elle-mme; oui, jcrirai Philippe, cela mallgera un peu.