Et il tendit quelques instants sa pense vers ce but, limprimant dans son cerveau comme pour lui donner plus dlan quand elle jaillirait vers Paris; et, aprs cette opration mystrieuse, laquelle concoururent sans doute tous les divins atomes anims par Dieu, matre et seigneur de toutes choses, Balsamo, les dents serres encore, les poings crisps, rendit les rnes Djrid, mais sans lui faire sentir cette fois ni le genou ni lperon.
On et dit que Balsamo voulait se convaincre lui-mme.
Alors le noble coursier marcha paisiblement, selon la permission tacite que lui donnait son matre, posant, avec cette dlicatesse particulire sa race, un pied presque silencieux, tant il tait lger, sur le pav de la route.
Balsamo, dailleurs, pendant tout ce temps qui, des regards superficiels, et paru perdu, Balsamo combinait tout un plan de dfense; il lachevait au moment o Djrid touchait le pav de Svres.
Arriv en face de la grille du parc, il sarrta et regarda autour de lui; on et dit quil attendait quelquun.
En effet, presque aussitt, un homme se dtacha de dessous une porte cochre et vint lui.
Est-ce toi, Fritz? demanda Balsamo.
Oui, matre.
Tes-tu inform?
Oui.
Madame du Barry est-elle Paris ou Luciennes?
Elle est Paris.
Balsamo leva un regard triomphant vers le ciel.
Comment es-tu venu?
Avec Sultan.
O est-il?
Dans la cour de cette auberge.
Tout sell?
Tout sell.
Cest bien, tiens-toi prt.
Fritz alla dtacher Sultan. Ctait un de ces braves chevaux allemands, de bon caractre, qui murmurent bien un peu dans les marches forces, mais qui ne vont pas moins tant quil reste du souffle dans leurs flancs, et de lperon au talon de leur matre.
Fritz revint vers Balsamo.
Celui-ci crivait sous la lanterne que MM. les commis du pied fourch tenaient allume toute la nuit pour leurs oprations fiscales.
Retourne Paris, dit-il, et remets, quelque part quelle soit, ce billet madame du Barry en personne, dit Balsamo; tu as une demi-heure pour cela; aprs quoi, tu retourneras rue Saint-Claude, o tu attendras la signora Lorenza, qui ne peut manquer de rentrer; tu la laisseras passer sans lui rien dire, et sans lui opposer le moindre obstacle. Va, et rappelle-toi surtout que dans une demi-heure ta commission doit tre faite.
Cest bien, dit Fritz; elle le sera.
Et en mme temps quil faisait Balsamo cette rponse rassurante, il attaquait de lperon et du fouet Sultan, qui partit, tonn de cette agression inaccoutume, en poussant un hennissement douloureux.
Pour Balsamo, se remettant peu peu, il prit la route ne Paris, o il entra trois quarts dheure aprs, presque frais de visage, et lil calme, ou plutt pensif.
Cest que Balsamo avait raison: si rapide que ft Djrid, ce fils hennissant du dsert, Djrid tait en retard, et sa volont seule pouvait marcher aussi vite que Lorenza chappe de sa prison.
De la rue Saint-Claude, la jeune femme avait gagn le boulevard, et, tournant droite, aperu bientt les remparts de la Bastille; mais Lorenza, toujours enferme, ignorait Paris: dailleurs, son premier but tait de fuir la maison maudite dans laquelle elle ne voyait quun cachot; sa vengeance venait en second.
Elle venait donc de sengager dans le faubourg Saint-Antoine, toute trouble, toute presse, lorsquelle fut accoste par un jeune homme qui la suivait depuis quelques minutes avec tonnement.
En effet, Lorenza, Italienne des environs de Rome, ayant presque toujours vcu dune vie exceptionnelle, en dehors de toutes les habitudes de la mode, de tous les costumes et de tous les usages de lpoque, Lorenza shabillait plutt comme une femme dOrient que comme une Europenne, cest--dire toujours amplement, toujours somptueusement, ressemblant bien peu ces charmantes poupes serres comme des gupes dans un long corsage et toutes frissonnantes de soie et de mousseline, sous lesquelles on cherchait presque inutilement un corps, tant leur ambition tait de paratre immatrielles.
Lorenza navait donc conserv ou plutt adopt du costume des Franaises dalors que les souliers talons de deux pouces de haut, cette impossible chaussure qui faisait cambrer le pied, ressortir la dlicatesse des chevilles, et qui, dans ce sicle tant soit peu mythologique, rendait la fuite impossible aux Arthuses poursuivies par les Alphes.
LAlphe qui poursuivait notre Arthuse la joignit donc facilement; il avait vu ses jambes divines sous ses jupes de satin et de dentelles, ses cheveux sans poudre et ses yeux brillant dun feu trange sous un mantelet roul autour de la tte et du cou; il crut voir dans Lorenza une femme dguise, soit pour quelque mascarade, soit pour quelque rendez-vous damour, et se rendant pied, faute de fiacre, quelque petite maison du faubourg.
Il sapprocha donc, et, se plaant ct de Lorenza le chapeau la main:
Mon Dieu! madame, dit-il, vous ne sauriez aller loin ainsi, avec cette chaussure qui retarde votre marche; voulez-vous accepter mon bras jusqu ce que nous trouvions une voiture, et jaurai lhonneur de vous accompagner o vous allez.
Lorenza tourna la tte avec brusquerie, regarda de son il noir et profond celui qui lui faisait une offre qui bon nombre de femmes et paru une impertinence, et, sarrtant:
Oui, dit-elle, je le veux bien.
Le jeune homme tendit galamment le bras.
O allons-nous, madame? demanda-t-il.
lhtel de la lieutenance de police.
Le jeune homme tressaillit.
Chez M. de Sartine? demanda-t-il.
Je ne sais sil sappelle M. de Sartine; mais je veux parler celui qui est lieutenant de police.
Le jeune homme commena rflchir.
Cette femme, jeune et belle, qui sous un costume tranger, huit heures du soir, courait les rues de Paris tenant une cassette sous son bras et demandant lhtel du lieutenant de police, auquel elle tournait le dos, lui parut suspecte.
Ah! diable! fit-il, lhtel de M. le lieutenant de police, ce nest point par ici.
O est-ce?
Dans le faubourg Saint-Germain.
Et par o va-t-on au faubourg Saint-Germain?
Par ici, madame, rpondit le jeune homme, calme quoique poli toujours; et, si vous le voulez, la premire voiture que nous rencontrerons
Oui, cest cela, une voiture, vous avez raison.
Le jeune homme ramena Lorenza sur le boulevard, et, ayant rencontr un fiacre, il lappela.
Le cocher vint lappel.
O faut-il vous conduire, madame? demanda-t-il.
lhtel de M. de Sartine, dit le jeune homme.
Et, par un reste de politesse, ou plutt dtonnement, ouvrant la portire, il salua Lorenza, et aprs lavoir aide monter, il la regarda sloigner comme on fait en rve dune vision.
Le cocher, plein de respect pour le nom terrible, fouetta ses chevaux et partit dans la direction indique.
Ce fut alors que Lorenza traversa la place Royale, ce fut alors quAndre, dans son sommeil magntique, layant vue et entendue, la dnona Balsamo.
En vingt minutes Lorenza fut la porte de lhtel.
Faut-il vous attendre, ma belle dame? demanda le cocher.
Oui, rpondit machinalement Lorenza.
Et, lgre, elle sengouffra sous le portail du splendide htel.
Chapitre 123. Lhtel de M. de Sartine
Une fois dans la cour, Lorenza se vit entoure de tout un monde dexempts et de soldats.
Elle sadressa au garde-franaise qui se trouva le plus proche delle, et le pria de la conduire au lieutenant de police; ce garde la renvoya au suisse, qui, voyant cette femme si belle, si trange, si richement vtue et tenant sous son bras un magnifique coffret, reconnut que la visite pourrait ntre pas oiseuse, et la fit monter par un grand escalier jusqu une antichambre o tout venant, sur la sagace inquisition de ce suisse, pouvait toute heure du jour et de la nuit apporter M. de Sartine un claircissement, une dnonciation ou une requte.