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Alexandre Dumas

Joseph Balsamo

(Les Mmoires dun mdecin)

Tome IV

Quatrime partie

Chapitre 124. Le coffret

Rest seul, M. de Sartine prit, tourna et retourna le coffret en homme qui sait apprcier la valeur dune dcouverte.

Puis il allongea la main et ramassa le trousseau de clefs tomb des mains de Lorenza.

Il les essaya toutes: aucune nallait.

Il tira trois ou quatre autres trousseaux pareils de son tiroir.

Ces trousseaux contenaient des clefs de toutes dimensions: clefs de meubles, clefs de coffrets, bien entendu; depuis la clef usite jusqu la clef microscopique, on peut dire que M. de Sartine possdait un chantillon de toutes les clefs connues.

Il en essaya vingt, cinquante, cent, au coffret: aucune ne fit mme un tour. Le magistrat en augura que la serrure tait une apparence de serrure, et que, par consquent, ses clefs taient des simulacres de clefs.

Alors il prit dans le mme tiroir un petit ciseau, un petit marteau, et, de sa main blanche enfonce sous une ample manchette de malines, il fit sauter la serrure, gardienne fidle du coffret.

Aussitt, une liasse de papiers lui apparut au lieu des machines foudroyantes quil redoutait dy trouver ou des poisons dont larme devait sexhaler mortellement et priver la France de son magistrat le plus essentiel.

Les premiers mots qui sautrent aux yeux du lieutenant de police furent ceux-ci, tracs par une main dont lcriture tait passablement dguise:

Matre, il est temps de quitter le nom de Balsamo.

Il ny avait pas de signature, mais seulement ces trois lettres: L.P.D.

Ah! ah! fit-il en retournant les boucles de sa perruque, si je ne connais pas lcriture, je crois que je connais le nom. Balsamo, voyons, cherchons au B.

Il ouvrit alors un de ses vingt-quatre tiroirs et en tira un petit registre sur lequel, par ordre alphabtique, taient crits dune fine criture pleine dabrviations trois ou quatre cents noms prcds, suivis et accompagns daccolades flamboyantes.

Oh! oh! murmura-t-il, en voil long sur ce Balsamo.

Et il lut toute la page avec des signes non quivoques de mcontentement.

Puis il replaa le petit registre dans son tiroir pour continuer linventaire du coffret.

Il nalla pas bien loin sans tre profondment impressionn. Et bientt il trouva une note pleine de noms et de chiffres.

La note lui parut importante: elle tait fort use aux marges, fort charge de signes faits au crayon. M. de Sartine sonna: un domestique parut.

Laide de la chancellerie, dit-il, tout de suite. Faites passer des bureaux travers lappartement pour conomiser le temps.

Le valet sortit.

Deux minutes aprs, un commis, la plume la main, le chapeau sous un bras, un gros registre sous lautre, des manches de serge noire passes sur ses manches dhabit, se prsentait au seuil du cabinet. M. de Sartine laperut dans son meuble glace et lui tendit le papier par-dessus son paule.

Dchiffrez-moi cela, dit-il.

Oui, monseigneur, rpondit le commis.

Ce devineur de charades tait un petit homme mince, aux lvres pinces, aux sourcils froncs par la recherche, la tte ple et pointue du haut et du bas, au menton effil, au front fuyant, aux pommettes saillantes, aux yeux enfoncs et ternes qui sanimaient par instants.

M. de Sartine lappelait la Fouine.

Asseyez-vous, lui dit le magistrat le voyant embarrass de son calepin, de son codex de chiffres, de sa note et de sa plume.

La Fouine sassit modestement sur un tabouret, rapprocha ses jambes et se mit crire sur ses genoux, feuilletant son dictionnaire et sa mmoire avec une physionomie impassible.

Au bout de cinq minutes, il avait crit:

Ordre dassembler trois mille frres Paris.

Ordre de composer trois cercles et six loges.

Ordre de composer une garde au grand cophte, et de lui mnager quatre domiciles, dont un dans une maison royale.

Ordre de mettre cinq cent mille francs sa disposition pour une police.

Ordre denrler dans le premier des cercles parisiens toute la fleur de la littrature et de la philosophie.

Ordre de soudoyer ou de gagner la magistrature et de sassurer particulirement du lieutenant de police, par corruption, par violence ou par ruse.

La Fouine sarrta l un moment, non point que le pauvre homme rflchit, il nen avait garde, cet t un crime, mais parce que, sa page tant remplie et lencre encore frache, il fallait attendre pour continuer.

M. de Sartine, impatient, lui arracha la feuille des mains et lut.

Au dernier paragraphe, une telle expression de frayeur se peignit sur tous ses traits, quil plit de se voir plir dans la glace de son armoire.

Il ne rendit pas la feuille au commis, mais il lui en passa une toute blanche.

Le commis recommena crire, mesure quil dchiffrait; ce quil excutait, au reste, avec une facilit effrayante pour les faiseurs de chiffres.

Cette fois, M. de Sartine lut par-dessus son paule.

Il lut donc:

Se dfaire Paris du nom de Balsamo, qui commence tre trop connu, pour prendre celui du comte de F

Le reste du mot tait enseveli dans une tache dencre.

Au moment o M. de Sartine cherchait les syllabes absentes qui devaient composer le mot, la sonnette retentit lextrieur, et un valet entra annonant:

M. le comte de Fnix!

M. de Sartine poussa un cri et, au risque de dmolir ldifice harmonieux de sa perruque, il joignit les mains au-dessus de sa tte et se hta de congdier son commis par une porte drobe.

Puis, reprenant sa place devant son bureau, il dit au valet:

Introduisez!

Quelques secondes aprs, dans sa glace, M. de Sartine aperut le profil svre du comte que, dj, il avait entrevu la cour le jour de la prsentation de madame du Barry.

Balsamo entra sans hsitation aucune.

M. de Sartine se leva, fit une froide rvrence au comte et, croisant une jambe sur lautre, il sadossa crmonieusement son fauteuil.

Au premier coup dil, le magistrat avait entrevu la cause et le but de cette visite.

Du premier coup dil aussi, Balsamo venait dentrevoir la cassette ouverte et moiti vide sur le bureau de M. de Sartine.

Son regard, si fugitivement quil et pass sur le coffret, nchappa point M. le lieutenant de police.

quel hasard dois-je lhonneur de votre prsence, monsieur le comte? demanda M. de Sartine.

Monsieur, rpondit Balsamo avec un sourire plein damnit, jai eu lhonneur dtre prsent tous les souverains de lEurope, tous les ministres, tous les ambassadeurs; mais je nai trouv personne qui me prsentt chez vous. Je viens donc me prsenter moi-mme.

En vrit, monsieur, rpondit le lieutenant de police, vous arrivez merveille; car je crois bien que, si vous ne fussiez pas venu de vous-mme, jallais avoir lhonneur de vous mander ici.

Ah! voyez donc, dit Balsamo, comme cela se rencontre.

M. de Sartine sinclina avec un sourire ironique.

Est-ce que je serais assez heureux, monsieur, continua Balsamo, pour pouvoir vous tre utile?

Et ces mots furent prononcs sans quune ombre dmotion ou dinquitude rembrunt sa physionomie souriante.

Vous avez beaucoup voyag, monsieur le comte? demanda le lieutenant de police.

Beaucoup, monsieur.

Ah!

Vous dsirez quelque renseignement gographique, peut-tre? Un homme de votre capacit ne soccupe pas seulement de la France, il embrasse lEurope, le monde

Gographique nest pas le mot, monsieur le comte, moral serait plus juste.

Ne vous gnez pas, je vous prie; pour lun comme pour lautre, je suis vos ordres.

Eh bien, monsieur le comte, figurez-vous que je cherche un homme trs dangereux, ma foi, un homme qui est tout ensemble athe