Выбрать главу

Et Lorenza souriait toujours; et, tout en souriant, elle rpondait aux paroles par dardentes caresses.

Et cependant, murmura-t-elle comme si elle et vu au crne de son amant chaque pense qui agitait les fibres de ce cerveau inquiet, et cependant tu doutes encore, Acharat. Tu doutes, comme tu las dit, que je puisse franchir le cercle de notre amour, tu doutes que je puisse voir distance; mais tu te consoles en disant que, si je ne vois pas, elle verra, elle.

Qui, elle?

La femme blonde: veux-tu que je te dise son nom?

Oui.

Attends Andre.

Oui, cest cela. Oui, tu lis dans ma pense; oui, une dernire crainte me trouble. Vois-tu toujours travers lespace, lespace ft-il coup par des obstacles matriels?

Essaye.

Donne-moi la main, Lorenza.

La jeune femme saisit passionnment la main de Balsamo.

Peux-tu me suivre?

Partout.

Viens.

Et Balsamo sortant, par la pense, de la rue Saint-Claude, entrana la pense de Lorenza avec lui.

O sommes-nous? demanda-t-il Lorenza.

Nous sommes sur une montagne, rpondit la jeune femme.

Oui, cest cela, dit Balsamo en tressaillant de joie; mais que vois-tu?

Devant moi? gauche, ou droite?

Devant toi.

Je vois une vaste valle avec une fort dun ct, une ville de lautre, et une rivire qui les spare et va se perdre lhorizon, en longeant la muraille dun grand chteau.

Cest cela, Lorenza. Cette fort, cest celle du Vsinet; cette ville, cest Saint-Germain; ce chteau, cest le chteau de Maisons. Entrons, entrons dans le pavillon qui est derrire nous.

Entrons.

Que vois-tu?

Ah! dabord, dans lantichambre, un petit ngre bizarrement vtu et mangeant des drages.

Zamore, cest cela. Entrons, entrons.

Un salon vide, avec un splendide ameublement; des dessus de porte reprsentant des desses et des Amours.

Le salon est vide?

Oui.

Entrons, entrons toujours.

Ah! nous sommes dans un adorable boudoir de satin bleu, broch de fleurs aux couleurs naturelles.

Est-il vide aussi?

Non, une femme est couche sur un sofa.

Quelle est cette femme?

Attends.

Ne te semble-t-il pas lavoir dj vue?

Oui, ici; cest madame la comtesse du Barry.

Cest cela, Lorenza, cest cela; tu me rendras fou. Que fait cette femme?

Elle pense toi, Balsamo.

moi?

Oui.

Tu peux donc lire dans sa pense?

Oui; car, je le rpte, elle pense toi.

Et quel propos?

Tu lui as fait une promesse.

Oui; laquelle?

Tu lui as promis cette eau de beaut que Vnus, pour se venger de Sapho, avait donne Phaon.

Cest cela, cest bien cela. Et que fait-elle tout en pensant?

Elle prend une dcision.

Laquelle?

Attends; elle tend sa main vers sa sonnette; elle sonne; une autre jeune femme entre.

Brune? blonde?

Brune.

Grande? petite?

Petite.

Cest sa sur. coute ce quelle va dire.

Elle veut quon mette les chevaux la voiture.

Pour aller o?

Pour venir ici.

Tu en es sre?

Elle en donne lordre. Tiens, on obit; je vois les chevaux, le carrosse; dans deux heures, elle sera ici.

Balsamo tomba genoux.

Oh! scria-t-il, si dans deux heures elle est effectivement ici, je naurai plus rien vous demander, mon Dieu, que davoir piti de mon bonheur.

Pauvre ami, dit-elle, tu craignais donc?

Oui, oui.

Et que pouvais-tu craindre? Lamour, qui complte lexistence physique, agrandit aussi lexistence morale. Lamour, comme toute passion gnreuse, rapproche de Dieu, et de Dieu vient toute lumire.

Lorenza, Lorenza, tu me rendras fou de joie.

Et Balsamo laissa tomber sa tte sur les genoux de la jeune femme.

Balsamo attendait une nouvelle preuve pour tre compltement heureux.

Cette preuve, ctait larrive de madame du Barry.

Ces deux heures dattente furent courtes; la mesure du temps avait compltement disparu pour Balsamo.

Tout coup la jeune femme tressaillit; elle tenait la main de Balsamo.

Tu doutes, encore, dit-elle, et tu voudrais savoir o elle est ce moment?

Oui, dit Balsamo, cest vrai.

Eh bien, elle suit le boulevard grande course de chevaux, elle approche, elle entre dans la rue Saint-Claude, elle sarrte devant la porte, elle frappe.

La chambre o tous deux taient enferms tait si retire, si sourde, que le bruit du marteau de cuivre narriva point jusqu la porte.

Mais Balsamo, dress sur un genou, ne demeura pas moins coutant.

Deux coups frapps par Fritz le firent bondir; deux coups, on se le rappelle, taient le signal dune visite importante.

Oh! dit-il, cest donc vrai!

Va ten assurer, Balsamo; mais reviens vite.

Balsamo slana vers la chemine.

Laisse-moi te reconduire, dit Lorenza, jusqu la porte de lescalier.

Viens.

Tous deux repassrent dans la chambre aux fourrures.

Tu ne quitteras pas cette chambre? demanda Balsamo.

Non, puisque je tattends. Oh! sois tranquille, cette Lorenza qui taime nest pas, tu le sais bien, la Lorenza que tu crains. Dailleurs

Elle sarrta en souriant.

Quoi? demanda Balsamo.

Ne vois-tu donc pas dans mon me comme je vois dans la tienne?

Hlas! non.

Dailleurs, ordonne-moi de dormir jusqu ton retour; ordonne-moi de rester immobile sur ce sofa, et je dormirai, et je resterai immobile.

Eh bien, soit, ma Lorenza chrie, dors et attends-moi.

Lorenza, luttant dj contre le sommeil, colla dans un dernier baiser ses lvres contre les lvres de Balsamo, et sen alla chancelante tomber demi renverse sur le sofa, en murmurant:

bientt, mon Balsamo, bientt, nest-ce pas?

Balsamo la salua de la main; Lorenza dormait dj.

Mais si belle, si pure avec ses longs cheveux dnous, sa bouche entrouverte, la rougeur fbrile de ses joues et ses yeux noys mais si loin de ressembler une femme, que Balsamo revint prs delle, lui prit la main, baisa ses bras et son cou, mais nosa baiser ses lvres.

Deux autres coups retentirent; la dame simpatientait, ou Fritz craignait que son matre net pas entendu.

Balsamo slana vers la porte.

Comme il la refermait derrire lui, il crut entendre un second craquement pareil celui quil avait dj entendu; il rouvrit la porte, regarda autour de lui et ne vit rien.

Rien que Lorenza couche et haletante sous le poids de son amour.

Balsamo ferma la porte et courut vers le salon sans inquitude, sans crainte, sans pressentiment, emportant le paradis dans son cur.

Balsamo se trompait: ce ntait pas seulement lamour qui oppressait la poitrine de Lorenza et faisait son souffle haletant.

Ctait une espce de rve, qui semblait tenir cette lthargie dans laquelle elle tait plonge, lthargie si voisine de la mort.

Lorenza rvait, et, dans le hideux miroir des sinistres songes, il lui semblait voir au milieu de lobscurit qui commenait tout assombrir, il lui semblait voir le plafond de chne souvrir circulairement, et quelque chose comme une grande rosace sen dtacher et descendre avec un mouvement gal, lent, mesur, accompagn dun sifflement lugubre; il lui semblait que lair lui manquait peu peu, comme si elle et t prs dtre touffe sous la pression de ce cercle mouvant.

Il lui semblait enfin, sur cette espce de trappe mobile, voir sagiter quelque chose dinforme comme le Caliban de La Tempte, un monstre visage humain un vieillard dont les yeux et les bras seuls taient vivants, et qui la regardait avec ses yeux effrayants, et qui tendait vers elle ses bras dcharns.

Et elle, la pauvre enfant, elle se tordait en vain sans pouvoir fuir, sans rien deviner du danger qui la menaait, sans rien sentir, sinon ltreinte de deux crampons vivants dont lextrmit saisissait sa robe blanche, lenlevait son sofa et la transportait sur la trappe, qui remontait lentement, lentement vers le plafond, avec ce grincement lugubre du fer glissant contre le fer, et un rire hideux, strident, qui schappait de la bouche hideuse de ce monstre face humaine qui lemportait vers le ciel, sans secousse et sans douleur.