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midi, le roi allait mieux, prenait un bouillon et mangeait une aile de perdrix, et le soir

La comtesse sarrta, regardant Balsamo avec ce sourire qui nappartenait qu elle.

Et le soir? rpta Balsamo.

Eh bien, le soir, rpta madame du Barry, Sa Majest, qui sans doute ne voulait pas rester Trianon aprs sa terreur de la veille, le soir, Sa Majest venait me trouver Luciennes, o, cher comte, je maperus, ma foi, que M. de Richelieu tait presque aussi grand sorcier que vous.

La figure triomphante de la comtesse, son geste plein de grce et de coquetterie achevrent sa pense et rassurrent compltement Balsamo lendroit de la puissance quexerait encore la favorite sur le roi.

Alors, dit-il, vous tes contente de moi, madame?

Enthousiasme, je vous jure, comte; car vous mavez, en me parlant des impossibilits que vous aviez cres, dit lexacte vrit.

Et elle lui tendit en preuve de remerciement, cette main si blanche, si douce, si parfume, qui ntait pas frache comme celle de Lorenza, mais dont la tideur avait aussi son loquence.

Et maintenant, vous, comte, dit-elle.

Balsamo sinclina en homme prt couter.

Si vous mavez prserve dun grand danger, continua madame du Barry, je crois vous avoir sauv mon tour dun pril qui ntait pas mince.

Moi, dit Balsamo, cachant son motion, je nai point besoin de cela pour vous tre reconnaissant; cependant veuillez me dire

Oui, le coffret en question.

Eh bien, madame?

Il contenait bien des chiffres que M. de Sartine a fait traduire tous ses commis; tous ont sign leur traduction faite en particulier, et toutes les traductions ont donn le mme rsultat. De sorte que M. de Sartine est arriv ce matin Versailles, tandis que jy tais, porteur de toutes ces traductions et du dictionnaire des chiffres diplomatiques.

Ah! ah! Et qua dit le roi?

Le roi a paru surpris dabord, puis effray. On est facilement cout de Sa Majest lorsquon lui parle danger. Depuis le coup de canif de Damiens, il est un mot qui russit tout le monde auprs de Louis XV, cest: Prenez garde!

Ainsi M. de Sartine ma accus de complot?

Dabord, M. de Sartine a essay de me faire sortir; mais je my suis refuse, dclarant que, comme personne ntait plus attach que moi au roi, personne navait le droit de me faire sortir lorsquon lui parlait danger. M. de Sartine insistait; mais jai rsist, et le roi a dit en souriant et me regardant dune certaine faon laquelle je me connais:

Laissez-la, Sartine, je nai rien lui refuser aujourdhui.

Alors, vous comprenez, comte, moi tant l, M. de Sartine, qui se souvenait de notre adieu si nettement formul, M. de Sartine a craint de me dplaire en vous chargeant, il sest rejet sur les mauvais vouloirs du roi de Prusse lgard de la France, sur les dispositions des esprits saider du surnaturel pour faciliter la marche de leur rbellion. Il a accus en un mot beaucoup de gens, prouvant toujours, ses chiffres la main, que ces gens taient coupables.

Coupables de quoi?

De quoi? Comte, dois-je dire le secret de ltat?

Qui est notre secret, madame. Oh! vous ne risquez rien! Jai intrt, ce me semble, ne point parler.

Oui, comte, je le sais, grand intrt. M. de Sartine a donc voulu prouver quune secte nombreuse, puissante, forme dadeptes courageux, adroits, rsolus, minaient sourdement le respect d Sa Majest royale, rpandant certains bruits sur le roi.

Quels bruits?

Disant, par exemple, que Sa Majest tait accuse daffamer son peuple.

Ce quoi le roi a rpondu?

Comme le roi rpond toujours, par une plaisanterie.

Balsamo respira.

Et cette plaisanterie, demanda-t-il, quelle est-elle?

Puisquon maccuse daffamer mon peuple, a-t-il dit, il ny a quune seule rponse faire cette accusation: nourrissons-le.

Comment cela, sire? a dit M. de Sartine.

Je prends mon compte la nourriture de tous ceux qui rpandent ce bruit, et je leur offre, de plus, un logement dans mon chteau de la Bastille.

Balsamo sentit un lger frisson courir dans ses veines, mais il demeura souriant.

Ensuite? demanda-t-il.

Ensuite, le roi sembla me consulter par un sourire.

Sire, lui dis-je alors, on ne me fera jamais croire que ces petits chiffres noirs que vous apporte M. de Sartine veulent dire que vous tes un mauvais roi.

Alors le lieutenant de police sest rcri.

Pas plus, ai-je ajout, quils ne prouveront que vos commis sachent lire.

Et qua dit le roi, comtesse? demanda Balsamo.

Que je pouvais avoir raison, mais que M. de Sartine navait pas tort.

Eh bien, alors?

Alors on a expdi beaucoup de lettres de cachet, parmi lesquelles jai vu clairement que M. de Sartine cherchait en glisser une pour vous. Mais je nai point flchi et je lai arrt dun seul mot.

Monsieur, lui ai-je dit tout haut et devant le roi, arrtez tout Paris si bon vous semble, cest votre tat; mais quon ne savise pas de toucher un seul de mes amis sinon!

Oh! oh! fit le roi, elle se fche. Gare vous, Sartine!

Mais, sire, lintrt du royaume

Oh! vous ntes pas un Sully, lui ai-je dit rouge de colre, et je ne suis pas une Gabrielle.

Madame, on veut assassiner le roi comme on a assassin Henri IV.

Pour le coup, le roi plit, trembla, passa la main sur son front.

Je me crus vaincue.

Sire, dis-je, il faut laisser monsieur continuer; car ses commis ont sans doute aussi lu dans tous ces chiffres que je conspirais contre vous.

Et je sortis.

Dame! ctait le lendemain du philtre, cher comte. Le roi prfra ma prsence celle de M. de Sartine, et courut aprs moi.

Ah! par grce, comtesse, ne vous fchez pas, dit-il.

Alors, chassez ce vilain homme, sire; il sent la prison.

Allons, Sartine, allez-vous-en, dit le roi en haussant les paules.

Et je vous dfends lavenir, non seulement de vous prsenter chez moi, ajoutai-je, mais encore de me saluer.

Pour le coup, notre magistrat perdit la tte; il vint moi, et me baisa humblement la main.

Eh bien, soit, dit-il, nen parlons plus, belle dame; mais vous perdez ltat. Votre protg, puisque vous le voulez toute force, sera respect par mes agents.

Balsamo parut plong dans une rverie profonde.

Allons, dit la comtesse, voil que vous ne me remerciez pas de vous avoir pargn la connaissance de la Bastille, ce qui et t injuste peut-tre, mais nen et pas t moins dsagrable.

Balsamo ne rpondit rien; seulement, il tira de sa poche un flacon renfermant une liqueur vermeille comme du sang.

Tenez, madame, dit-il, pour cette libert que vous me donnez, je vous donne, moi, vingt ans de jeunesse de plus.

La comtesse glissa le flacon dans son corset et partit joyeuse et triomphante.

Balsamo demeura rveur.

Ils taient sauvs peut-tre, se dit-il, sans la coquetterie dune femme. Le petit pied de cette courtisane les prcipite au plus profond de labme. Dcidment, Dieu est avec nous!

Chapitre 131. Le sang

Madame du Barry navait pas encore vu la porte de la maison se refermer derrire elle que Balsamo remontait lescalier drob et rentrait dans la chambre aux fourrures.

La conversation avec la comtesse avait t longue, et son empressement tenait deux causes.

La premire, le dsir de revoir Lorenza; la seconde, la crainte que la jeune femme ne ft fatigue; car, dans la vie nouvelle quil venait de lui faire, il ne pouvait y avoir place pour lennui; fatigue en ce quelle pouvait passer, comme cela lui arrivait quelquefois, du sommeil magntique lextase.

Or, lextase succdaient presque toujours des crises nerveuses qui brisaient Lorenza, si lintervention du fluide rparateur ne venait pas ramener un quilibre satisfaisant entre les diverses fonctions de lorganisme.