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Balsamo, aprs avoir ferm la porte, jeta donc rapidement les yeux sur le canap o il avait laiss Lorenza.

Elle ny tait plus.

Seulement, la fine mante de cachemire brode de fleurs dor, qui lenveloppait comme une charpe, tait demeure seule sur les coussins, comme un tmoignage de son sjour dans lappartement, de son repos sur ce meuble.

Balsamo demeura immobile, les yeux tendus vers le sofa vide. Peut-tre Lorenza stait-elle trouve incommode par une odeur trange qui paraissait stre rpandue dans lappartement depuis quelle en tait sortie; peut-tre, par un mouvement machinal, avait-elle usurp sur les habitudes de la vie relle, et instinctivement avait-elle chang de place.

La premire ide de Balsamo fut que Lorenza tait rentre dans le laboratoire o, un instant auparavant, elle lavait accompagn.

Il entra dans le laboratoire. Au premier aspect, il paraissait vide; mais, lombre du fourneau gigantesque, derrire la tapisserie dorient, une femme pouvait facilement se cacher.

Il souleva donc les tapisseries, il tourna donc autour du fourneau; nulle part il ne put retrouver mme la trace du passage de Lorenza.

Restait la chambre de la jeune femme, o sans doute elle tait rentre.

Cette chambre ntait une prison pour elle que dans son tat de veille.

Il courut la chambre et trouva la plaque ferme.

Ce ntait point une preuve que Lorenza ne ft point rentre chez elle. Rien ne sopposait, en effet, ce que Lorenza, dans son sommeil si lucide, se ft souvenue de ce mcanisme, et, sen souvenant, et obi aux hallucinations dun rve mal effac dans son esprit.

Balsamo poussa le ressort.

La chambre tait vide comme le laboratoire: Lorenza ne paraissait pas mme y tre entre.

Alors une pense douloureuse, une pense qui, on sen souvient, lavait dj mordu au cur, vint chasser toutes les suppositions, toutes les esprances de lamant heureux.

Lorenza aurait jou un rle; elle aurait feint de dormir, elle aurait ainsi dissip toute dfiance, toute inquitude, toute vigilance dans lesprit de son poux et, la premire occasion de libert, elle se serait enfuie de nouveau, plus sre de ce quelle avait faire, instruite quelle tait par une premire, ou plutt par une seconde exprience.

Balsamo bondit cette ide et sonna Fritz.

Puis, comme, au gr de son impatience, Fritz tardait, il slana au-devant de lui et le trouva dans lescalier drob.

La signora? dit-il.

Eh bien, matre? demanda Fritz comprenant, lagitation de Balsamo, quil se passait quelque chose dextraordinaire.

Las-tu vue?

Non, matre.

Elle nest pas sortie?

Do cela?

Mais de la maison.

Personne nest sorti que la comtesse, derrire laquelle je viens de fermer la porte.

Balsamo remonta comme un fou. Il se figura alors que la folle jeune femme, si diffrente dans le sommeil de ce quelle tait dans la veille, avait eu un moment despiglerie enfantine; quelle lisait, de quelque coin o elle tait cache, son effroi dans son cur, et quelle se divertissait lpouvanter, pour le rassurer ensuite.

Alors commena une recherche minutieuse.

Pas un coin ne fut pargn, pas une armoire oublie, pas un paravent laiss en place. Il y avait, dans cette recherche de Balsamo, quelque chose de lhomme aveugl par la passion, du fou qui ne voit plus, de lhomme ivre qui chancelle. Il navait plus de force que pour ouvrir les deux bras et pour crier: Lorenza! Lorenza! esprant que cette adore crature viendrait sy prcipiter tout coup avec un grand cri de joie.

Mais le silence seul, un morne et obstin silence, rpondit sa pense extravagante et son appel insens.

Courir, remuer les meubles, parler aux murs, appeler Lorenza, regarder sans voir, couter sans entendre, palpiter sans vivre, tressaillir sans penser, voil ltat dans lequel Balsamo passa trois minutes, cest--dire trois sicles dagonie.

Il sortit de cet tat dhallucination moiti fou, trempa sa main dans un vase deau glace, sen mouilla les tempes, puis, comprimant une de ses mains avec lautre, comme pour se forcer limmobilit, il chassa, par la volont, le bruit importun de ce battement du sang contre le crne, bruit fatal, incessant, monotone, qui, lorsquil est mouvement et silence, indique la vie, mais qui, lorsquil devient tumultueux et perceptible, signifie la mort ou la folie.

Voyons, raisonnons, dit-il; Lorenza ny est plus; plus de faux-fuyants avec moi-mme; Lorenza ny est plus; donc elle est sortie. Oui, sortie, bien sortie!

Et il regarda encore une fois autour de lui, et il appela une fois encore.

Sortie! rpta-t-il. En vain Fritz prtend-il ne lavoir pas vue: elle est sortie, bien sortie.

Deux cas se prsentent:

Ou il na rien vu en effet, ce qui, tout prendre, est possible, car lhomme est sujet lerreur, ou bien il a vu et il a t corrompu par Lorenza.

Corrompu, Fritz?

Pourquoi non? En vain sa fidlit passe plaide contre cette supposition. Si Lorenza, si lamour, si la science, ont pu ce point tromper et mentir, pourquoi la nature si fragile, si faillible dune crature humaine ne tromperait-elle pas son tour?

Oh! je saurai tout, je saurai tout! Ne me reste-t-il pas mademoiselle de Taverney?

Oui, par Andre je saurai la trahison de Fritz; par Andre, la trahison de Lorenza; et, cette fois oh! cette fois, comme lamour aura t mensonger, comme la science aura t une erreur, comme la fidlit aura t un pige oh! cette fois, Balsamo punira sans piti, sans rserve, comme un homme puissant qui se venge, ayant chass la misricorde et conserv lorgueil.

Voyons, il ne sagit plus que de sortir au plus vite, de ne rien laisser deviner Fritz et de courir Trianon.

Et Balsamo, saisissant son chapeau, qui avait roul terre, slana contre la porte.

Mais tout coup il sarrta.

Oh! dit-il, avant toute chose Mon Dieu! pauvre vieillard, je lavais oubli! Avant toute chose, il faut que je voie Althotas; pendant cet accs de dlire, pendant ce spasme damour monstrueux, jai dlaiss le malheureux vieillard. Jai t ingrat, jai t inhumain.

Et Balsamo, avec cette fivre qui animait cette heure tous ses mouvements, Balsamo sapprocha du ressort qui faisait jouer la bascule du plafond.

Aussitt le mobile chafaudage descendit rapidement.

Balsamo se plaa dessus et, laide du contrepoids, commena de monter, mais tout entier encore au trouble de son esprit et de son cur, et sans songer autre chose qu Lorenza.

peine toucha-t-il le niveau de la chambre dAlthotas, que la voix du vieillard vint frapper son oreille et le tira de sa douloureuse rverie.

Mais, au grand tonnement de Balsamo, ses premires paroles ne furent point un reproche, comme il sy attendait: ce fut un clat de gaiet naturel et simple qui laccueillit.

Llve leva sur le matre un regard tonn.

Le vieillard tait renvers sur sa chaise ressorts; il respirait bruyamment et avec dlices, comme si chaque aspiration il et repris un jour de vie; ses yeux, pleins dun feu sombre, mais dont le sourire panoui sur ses lvres gayait lexpression, ses yeux sattachaient avec importunit sur son visiteur.

Balsamo recueillit ses forces et rassembla ses ides pour ne rien laisser voir de son trouble au matre, si peu indulgent pour les faiblesses de lhumanit.

Pendant cette minute de recueillement, Balsamo sentit une oppression trange peser sur sa poitrine. Lair, sans doute, tait vici par une rsorption trop constante; une odeur lourde, fade, tide, nausabonde; cette mme odeur quil avait dj respire en bas, mais un plus faible degr, nageait dans lair, et pareille ces vapeurs qui montent des lacs et des marais en automne, au lever et au coucher du soleil, elle avait pris un corps et terni les vitres.

Dans cette atmosphre paisse et cre, le cur de Balsamo faiblit, sa tte sembarrassa, un vertige le saisit, il sentit que la respiration et les forces allaient lui manquer la fois.