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Matre, dit-il en cherchant un point solide o sappuyer, et en essayant de dilater sa poitrine, matre, vous ne pouvez vivre ici; on ny respire point.

Tu trouves?

Oh!

Jy respire cependant fort bien, moi! rpondit Althotas avec enjouement, et jy vis, comme tu vois.

Matre, matre, dit Balsamo de plus en plus tourdi, faites-y attention, et laissez-moi ouvrir une fentre, il monte de ce parquet comme une vapeur de sang.

De sang! Ah! tu trouves! De sang! scria Althotas en clatant de rire.

Oh! oui, oui, je sens les miasmes qui sexhalent dun corps frachement tu! je les pserais, tant ils sont lourds mon cerveau et mon cur.

Cest cela, dit le vieillard avec son rire ironique, cest cela, je men suis dj aperu; tu as un cur tendre et un cerveau trs fragile, Acharat.

Matre, dit Balsamo en tendant le doigt vers le vieillard, matre, vous avez du sang sur vos mains; matre, il y a du sang sur cette table; matre, il y a du sang partout, jusque dans vos yeux, qui luisent comme deux flammes; matre, cette odeur quon respire ici, cette odeur qui me donne le vertige, cette odeur qui mtouffe, cest lodeur du sang.

Eh bien, aprs? dit tranquillement Althotas; la sens-tu donc pour la premire fois, cette odeur?

Non.

Ne mas-tu jamais vu faire mes expriences? Nen as-tu jamais fait toi mme?

Mais du sang humain! dit Balsamo passant sa main sur son front ruisselant de sueur.

Ah! tu as lodorat subtil, dit Althotas. Eh bien, je naurais pas cru que lon pt reconnatre le sang de lhomme du sang dun animal quelconque.

Le sang de lhomme! murmura Balsamo.

Et comme, tout chancelant, il cherchait, pour se retenir, quelque saillie de meuble, il aperut avec horreur un vaste bassin de cuivre, dont les parois brillantes refltaient la couleur pourpre et laqueuse du sang frachement rpandu.

Lnorme vase tait moiti rempli.

Balsamo recula pouvant.

Oh! ce sang! scria-t-il; do vient ce sang?

Althotas ne rpondait pas; mais son regard ne perdait rien des fluctuations, des garements et des terreurs de Balsamo. Soudain celui-ci poussa un rugissement terrible.

Puis, sabaissant comme sil fondait sur une proie, il slana vers un point de la chambre et ramassa par terre un ruban de soie broch dargent aprs lequel pendait une longue tresse de cheveux noirs.

Aprs ce cri aigu, douloureux, suprme, un silence mortel rgna un instant dans la chambre du vieillard.

Balsamo soulevait lentement ce ruban, examinant en frissonnant les cheveux dont une pingle dor retenait lextrmit cloue dun ct la soie, tandis que, tranchs nettement de lautre, ils semblaient une frange dont le bout et t effleur par un flot de sang, car des gouttes rouges et mousseuses perlaient lextrmit de cette frange.

mesure que Balsamo relevait sa main, sa main devenait plus tremblante.

mesure que Balsamo attachait son regard plus srement sur le ruban souill, ses joues devenaient plus livides.

Oh! do vient cela? murmura-t-il, mais assez haut cependant pour que ses paroles devinssent une question pour un autre que lui-mme.

Cela? dit Althotas.

Oui, cela.

Eh bien, cest un ruban de soie enveloppant des cheveux.

Mais ces cheveux, ces cheveux, dans quoi ont-ils tremp?

Tu le vois bien, dans le sang.

Dans quel sang?

Eh! parbleu! dans le sang quil me fallait pour mon lixir, dans le sang que tu me refusais et que jai d, ton refus, me procurer moi-mme.

Mais ces cheveux, cette tresse, ce ruban, o les avez-vous pris? Ce nest point l la coiffure dun enfant.

Et qui ta dit que ce ft un enfant que jai gorg? demanda tranquillement Althotas.

Ne vous fallait-il pas, pour votre lixir, le sang dun enfant? scria Balsamo. Voyons, ne mavez-vous pas dit cela?

Ou dune vierge, Acharat, ou dune vierge.

Et Althotas allongea sa main amaigrie sur le bras du fauteuil, et y prit une fiole dont il savoura le contenu avec dlices.

Puis, de son ton le plus naturel et avec son accent le plus affectueux:

Cest bien toi, dit-il, Acharat, tu as t sage et prvoyant en plaant l cette femme sous mon plancher, presque la porte de ma main; lhumanit na pas se plaindre, la loi na rien reprendre. Eh! eh! ce nest pas toi qui mas livr la vierge sans laquelle jallais mourir; non, cest moi qui lai prise. Eh! eh! merci, mon cher lve, merci mon petit Acharat.

Et il approcha encore une fois la fiole de ses lvres.

Balsamo laissa tomber la mche de cheveux quil tenait; une horrible lumire venait dblouir ses yeux.

En face de lui, la table du vieillard, cette immense table de marbre, toujours remplie de plantes, de livres, de fioles; devant lui cette table tait recouverte dun long drap de damas blanc fleurs sombres, sur lequel la lampe dAlthotas envoyait sa rougetre lueur et dessinait de sinistres formes que Balsamo navait pas encore remarques.

Balsamo prit un des coins du drap et le tira violemment lui.

Mais alors ses cheveux se hrissrent, sa bouche ouverte ne put laisser chapper lhorrible cri touff au fond de sa gorge.

Il venait, sous ce linceul, dapercevoir le cadavre de Lorenza, de Lorenza tendue sur cette table, la tte livide et cependant souriante encore, et pendant en arrire comme entrane par le poids de ses longs cheveux.

Une large blessure souvrait bante au-dessus de la clavicule et ne laissant plus chapper une seule goutte de sang.

Les mains taient roidies et les yeux ferms sous leurs paupires violettes.

Oui, du sang, du sang de vierge, les trois dernires gouttes du sang artriel dune vierge; voil ce quil me fallait, dit le vieillard en recourant pour la troisime fois sa fiole.

Misrable! scria Balsamo, dont le cri de dsespoir sexhala enfin par chacun de ses pores, meurs donc, car, depuis quatre jours, elle tait ma matresse, mon amour, ma femme! Tu las assassine pour rien Elle ntait pas vierge!

Les yeux dAlthotas tremblrent ces paroles, comme si une secousse lectrique les et fait rebondir dans leur orbite; ses prunelles se dilatrent effroyablement; ses gencives grincrent dfaut de dents; sa main laissa chapper la fiole, qui tomba sur le parquet et se brisa en mille morceaux, tandis que lui, stupfait, ananti, frapp la fois au cur et au cerveau, il se renversait lourdement sur son fauteuil.

Quant Balsamo, il se pencha avec un sanglot sur le corps de Lorenza et svanouit en baisant ses cheveux sanglants.

Chapitre 132. Lhomme et Dieu

Les heures, ces tranges surs qui se tiennent par la main, qui passent dun vol si lent pour linfortun, si rapide pour lhomme heureux; les heures sabattirent silencieusement en repliant leurs ailes pesantes sur cette chambre pleine de soupirs et de sanglots.

Dun ct, la mort; de lautre, lagonie.

Au milieu, le dsespoir, douloureux comme lagonie, profond comme la mort.

Balsamo navait plus profr une seule parole depuis le cri qui avait dchir sa gorge.

Depuis cette foudroyante rvlation qui avait abattu la froce joie dAlthotas, Balsamo navait pas fait un mouvement.

Quant au hideux vieillard, rejet violemment dans la vie telle que Dieu la faite aux hommes, il semblait aussi dpays dans cet lment nouveau pour lui que lest loiseau atteint dun grain de plomb et tomb du haut dun nuage dans un lac, la surface duquel il se dbat, sans parvenir enfler ses ailes.

La stupfaction de cette figure livide et bouleverse rvlait lincommensurable tendue de son dsappointement.

En effet, Althotas ne prenait plus mme la peine de penser, depuis que ses penses avaient vu le but vers lequel elles se dirigeaient et auquel elles croyaient la solidit du roc, svanouir comme une fume.

Son dsespoir morne et silencieux avait quelque chose de lhbtement. Pour un esprit peu accoutum mesurer le sien, ce silence et peut-tre t un indice de recherche; pour Balsamo qui, du reste, ne le regardait mme pas, ctait lagonie de la puissance, de la raison, de la vie.